Le Dernier Frère de Nathacha Appanah et Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle

Deux romans qui s’attardent sur des trajectoires de vie. Deux fictions inspirées d’un fait réel.

Les deux dernières lectures. Un ancien roman de Nathacha Appanah, « Le Dernier Frère ». Raj, un petit garçon de dix ans qui vit sur l’ile Maurice et qui voit un autre petit garçon, David, arriver et être retenu dans un camp. Ce petit garçon vient de débarquer sur l’ile avec un bateau dans lequel des juifs en exil échappent à la guerre sur le continent européen. L’autrice a toujours une façon bien à elle de raconter les histoires et en partant une nouvelle fois d’un fait réel, elle tisse le destin de deux petits garçons avec une justesse rare. Poignant. Jean-Luc Seigle de son côté s’attarde sur la vie de Pauline Dubuisson, une femme qui fuit la France en 1961 après avoir vu le film de Clouzot avec Brigitte Bardot, « La vérité ». Un film inspiré de sa vie et qui revient sur un évènement marquant. Le livre est écrit à la première personne et on découvre une femme marquée, qui a été prise en grippe par une société tout entière. Difficile de savoir ce qui est romancé ou non dans le livre de Jean-Luc Seigle et du coup ça pose question sur le choix de l’écrivain de se mettre à la place de Pauline Dubuisson. Une figure controversée de cette époque.

Le Dernier Frère, ed. Points, 7,50 euros, 224 pages.

Je vous écris dans le noir, ed. Flammarion, 18 euros, 240 pages.

Druss la légende / David Gemmell

Une nouvelle aventure avec Druss, ça cogne dur et c’est toujours autant rythmée.

Après avoir découvert l’univers de David Gemmell dans « Légende » je retrouve Druss le héros taciturne et redoutable dans « Druss la légende ». Cette fois-ci l’auteur décide de s’attarder sur sa vie et notamment sa jeunesse. Alors que dans « Légende » on suivait un guerrier au milieu d’une guerre à grande échelle dans cet opus on découvre une grande partie de la vie du personnage, qui commence dans un petit village dans lequel il vit avec son père. Il y effectue régulièrement des travaux sur le bois et s’en contente très bien jusqu’au jour où une troupe de pillards dévaste le village, tue le père de Druss et embarque sa femme. Druss qui laisse déborder toute sa colère décide de se lancer dans une quête pour la retrouver. C’est le début de l’aventure pour lui, une aventure qui va prendre racine sur plusieurs années et qui va nous permettre de découvrir ce personnage plus en profondeur. Comme souvent chez l’auteur on trouve des passages avec de la bonne castagne mais aussi des passages non dénués d’humour. On se laisse complètement embarquer dans l’univers et à aucun moment le récit s’essouffle. Malgré certains traitements des personnages féminins qui n’ont pas toujours bien vieillis (le bouquin date de 1996 je crois) le tout reste de très bonne facture. David Gemmell est un conteur hors pair et une fois le bouquin refermé on a hâte de retrouver ce ton singulier, cette empathie pour ses personnages.

Druss la légende, ed. Bragelonne, 8,20 euros, 512 pages.

Mathilde ne dit rien / Tristan Saule

Chroniques de la Place Carrée – Tome 1

La place carrée est un quartier dans une ville moyenne. On va retrouver cette place dans plusieurs romans de cette nouvelle série de Tristan Saule intitulée « Chroniques de la place carrée » et éditée chez la très recommandable maison d’édition Le Quartanier. « Mathilde ne dit rien » est le premier tome de cette série. Mathilde justement est une travailleuse sociale et au début du roman on ne sait pas grand-chose d’autre sur son passé qui semble flou. C’est un personnage sensible qui cache bien des choses mais qui pour autant, ne semble pas résigné. Même si elle ne dit pas grand-chose elle à l’habitude d’aider ses voisins. C’est d’ailleurs en aidant une famille qui habite non loin de chez elle qu’elle se retrouve dans une galère. La famille en question est menacée d’expulsion car la fin de la trêve hivernale approche et Mathilde va agir. Elle ne peut pas laisser passer cela. L’auteur restitue très bien les conditions de vie de ses personnages marginaux qui peuplent ce roman et qui rencontrent des difficultés à boucler les fins de mois. Des personnages qui luttent au quotidien notamment contre le stigmate des populations plus aisées et qui trempent une fois sur deux dans de petites combines. « Mathilde ne dit rien » est un roman noir réaliste aux personnages attachants. On a très envie de retrouver son atmosphère et son cadre dans la suite des chroniques de la place carré. A partir d’une première scène mémorable, la tension monte ensuite progressivement et on est pris dedans en ayant du mal à lâcher le bouquin.

Mathilde ne dit rien, ed. Folio, 8,90 euros, 320 pages.

Loin des humains / Pascal Dessaint

Un magnifique roman noir plein d’humanité.

Dans un texte noir et d’une rare profondeur, Pascal Dessaint s’arrête sur la vie de Jacques Lafleur, un personnage que l’on retrouve tué par un sécateur au début du roman. Un homme à la vie cassée qui tente de vivre, de survivre. Le lecteur va découvrir petit à petit son passé avant sa mort à travers son journal, en parallèle à l’enquête de police. Avec son ton inimitable et plein d’empathie pour ses personnages, l’auteur écrit un polar bien construit. La nature a toujours une place à part comme souvent chez l’auteur, et elle participe à la mise en place de l’ambiance (on découvre des oiseaux, on croise des reptiles). Les règlements de compte au sein d’une famille et les non-dits émergent petit à petit et c’est un redoutable mécanisme qui se met en place dans la narration. Félix le flic abîmé, Rémi l’ouvrier d’une usine pour les ordures, chaque bout d’humanité entre dans l’intrigue. L’auteur s’attarde dans ce roman sur les marginaux, sur les conséquences des catastrophes provoquées par l’homme (AZF pour ne pas la citer). Pascal Dessaint est talentueux et « Loin des humains » est un très bon roman noir que je vous invite à découvrir si vous n’avez pas encore lu cet auteur. Un coup de coeur.

Loin des humains, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 8 euros, 288 pages.

Le coeur et le Chaos / Jennifer Murzeau

Zoom sur trois vies minuscules, dans un Paris futuriste et touché de plein fouet par le dérèglement climatique.

Bienvenue à Paris dans un futur proche et en même temps très réaliste. On y croise trois destins. Un livreur à vélo qui rêve d’un ailleurs sur un voilier et qui économise dans ce but. Une chef de clinique en radiologie, la quarantaine, qui cherche à échapper à son quotidien morose avec son conjoint. Et une ancienne virtuose du piano qui vit seule dans son immense appartement, éloignée de ses grands enfants et qui tend vers la démence. Trois personnages qui finissent par se croiser dans un Paris détérioré par les pénuries de pétrole et par le climat qui se dérègle de plus en plus. On s’attache vite à ces personnages qui tentent de s’accrocher au peu d’humanité qu’il reste dans cette société en mutation. Ils tentent de surnager dans un monde en fin de vie, un monde qui change. Un monde où les incendies sont légion, où les températures affolent les compteurs, où les émeutes se multiplient. Jennifer Murzeau écrit un très beau roman avec un regard d’une justesse rare sur les relations humaines et sur ses travers, notamment la relation poignante entre l’ancienne pianiste et le jeune livreur. Un roman à découvrir.

extrait : « Les privations de liberté vont être de plus en plus nombreuses, parce que c’est ce qui arrive quand la panique s’installe. Et ce sera elle, la reine de ces prochaines années, la panique. L’humanité a voulu planquer ses soucis sous le tapis, mais voilà, le tapis n’est pas assez grand. Ça déborde. »

Le coeur et le Chaos, ed. Julliard, 19 euros, 240 pages.

Traverser la nuit / Hervé Le Corre

Un polar très sombre sur les violences faites aux femmes.

Sombre et poisseux, le dernier roman noir d’Hervé Le Corre met une jolie claque lors de sa lecture. Une jeune femme, Louise, élève seule son fils et tente de survivre à un compagnon violent qui revient inlassablement l’agresser. Jourdan de son côté, commandant de police de son état, enchaîne les affaires sordides où des femmes sont les victimes d’hommes violents et sans scrupules, que ce soit dans le cadre de violences conjugales ou dans le cadre de proxénétisme. Le commandant est désabusé et marqué par ces affaires qui se suivent et qui finissent par l’affecter. Pourtant il ne peut s’empêcher de laisser affleurer une colère sourde à chaque affaire qu’il rencontre, une colère sourde contre ces hommes qui prennent les femmes pour des moins que rien. Un des personnages qui n’est autre que le tueur va encore plus loin dans cette aversion pour les femmes. Le commandant s’engage alors dans une enquête à rebondissements qui va révéler de nombreuses zones d’ombres.

Hervé Le Corre n’a pas son pareil pour camper une scène, une atmosphère. Les phrases concises font apparaître des images aux lecteurs en quelques lignes et c’est fort. Les personnages ne sont pas en reste et construit sans manichéisme, ils font preuve d’ambiguïté dans leurs décisions et dans leurs actions.

Ce polar est plus que recommandable. Si vous ne connaissez pas la plume de cet auteur il ne faut pas hésiter une seconde.

Traverser la nuit, ed. Rivages, 20,90 euros, 320 pages.

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