Le silence / Dennis Lehane

La trajectoire d’une mère face à l’indicible, dans le Boston des 70’s.

Le retour de Dennis Lehane était très attendu l’année dernière avec ce roman noir édité chez Gallmeister. « Le silence » se déroule à Boston en 1974, dans un contexte dans lequel les écoles publiques de la ville mettent en place un système de bus scolaire pour réduire la ségrégation entre les quartiers. C’est pendant cet été caniculaire que l’intrigue de l’auteur prend racine. Une mère de famille habitant South Boston, le quartier irlandais, voit sa fille de dix-sept ans disparaitre et ne plus donner signe de vie. Dans le même temps, un jeune homme noir meurt dans des circonstances troubles sur les rails du métro. Les disparitions sont nombreuses dans les polars ou dans les thrillers et on peut vite tomber dans du déjà vu, sauf que chez Dennis Lehane, l’épaisseur de ses personnages et toutes les connaissances sur le contexte urbain et politique font la différence. On est embarqués dans cette histoire derrière Mary Pat, un personnage féminin à la volonté de fer. La question de la parentalité, de la filiation est une des thématiques centrales tout au long du roman et c’est traité avec beaucoup de justesse. L’ensemble fonctionne bien et on entre en empathie avec les personnages, plus complexes et ambivalents les uns que les autres. À noter des dialogues toujours aussi réussis ce qui est loin d’être évident. J’avais déjà apprécié les dialogues de l’auteur dans « Sacré », le dernier Dennis Lehane lu.

Le silence, ed. Gallmeister, 25,40 euros, 448 pages.

Ordalie / Morgan of Glencoe

La suite des aventures du Yuri qui a bien évolué dans ce troisième tome.

Je continue la série de « La Dernière Geste » avec « Ordalie », le troisième tome des aventures de la jeune Yuri. Au début de ce troisième tome elle vit en Keltia depuis plusieurs mois, elle a muri et Louis-Philippe de son côté règne sur le royaume de France. Les deux pays ne s’entendent toujours pas et les choses vont déraper dans ce troisième roman. Une guerre mondiale couve mais des solutions existent. Yuri va devoir revenir dans le Royaume de France en tant qu’ambassadrice de Keltia pour apaiser les tensions mais elle ne sera pas la seule à agir dans ce sens. On retrouve avec beaucoup de plaisir les personnages de Morgan of Glencoe. Du jeune Pyro à Yuri en passant par le roi Louis-Philippe ou la capitaine Trente-Chênes. Les parallèles malins avec la société contemporaine et le monde imaginaire de l’autrice sont toujours aussi savoureux. C’est par exemple une altercation raciste envers les fées qui est en grande partie à l’origine des tensions entre les deux royaumes. Morgan of Glencoe rend ses personnages complexes, attachants et ils évoluent d’un bouquin à l’autre. On est embarqués dans les aventures et les passages touchants alternent avec les passages plus dramatiques. L’humour n’est pas en reste, comme dans les deux premiers romans. Je vous invite à découvrir cette très belle série de Fantasy où la diplomatie tient une place centrale dans les intrigues, que ce soit à petite échelle ou à grande échelle, les enjeux s’imbriquent très bien dans le Paris du XVIIIe siècle. C’est une pentalogie qui est annoncée et on ne peut que se réjouir de retrouver bientôt la suite (suite que l’on entraperçoit d’ailleurs à la fin du roman). On aime aussi retrouver l’art du dialogue de la romancière qui ne laisse rien au hasard, comme lorsqu’il est question du statut des personnages féminins par exemple. Du très bel ouvrage du début à la fin.

Ordalie, ed. ActuSF, 17,90 euros, 485 pages.

Manhattan Grand-Angle / Shannon Burke

Une plongée dans le quotidien d’un ambulancier de Manhattan.

Un peu comme dans l’excellent 911 (un roman noir réédité récemment chez Sonatine que je vous conseille les yeux fermés), Shannon Burke s’inspire à nouveau de son expérience en tant qu’ambulancier à New York pour écrire ses fictions. C’est à partir de là que l’on se retrouve avec ce roman noir réaliste qui suit Frank, un ambulancier photographe à ses heures perdues. Mais un genre de photographie un peu particulier vous le découvrirez par vous-même. On est au milieu d’un quotidien sombre dans un quartier qui épargne peu de monde, y compris au sein de la brigade des ambulanciers. Un peu plus loin dans le roman le personnage va faire une rencontre qui va justement faire évoluer ce quotidien.L’auteur écrit un très bon polar qui zoome avec beaucoup de justesse sur de petites existences de Manhattan. On découvre les galères, les poisses dans lesquelles sont empêtrés certains, les marginaux. L’auteur a écrit « Manhattan Grand-Angle » avant « 911 » et on repère déjà le talent singulier de ce romancier dans ces chapitres courts qui s’enchaînent et qui posent une véritable atmosphère. Un bouquin âpre et sans pathos, à découvrir.

Manhattan Grand-Angle, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 17,15 euros, 225 pages.

Arène / Négar Djavadi

Radiographie d’une ville qui sombre dans la violence sous toutes ses formes.

Direction Belleville dans ce roman de Négar Djavadi. Un quartier populaire de Paris à l’intersection de plusieurs arrondissements. La romancière tisse au fur et à mesure des histoires parallèles, jusqu’à un événement qui va faire éclater les trajectoires des personnages. Un jeune d’un quartier est retrouvé mort par une policière non loin d’un canal parisien. Chaque personnage va alors être mêlé de près ou de loin au drame. Un événement qui va littéralement mettre le feu aux poudres à plusieurs niveaux dans Paris. Négar Djavadi aborde dans ce roman sombre et urbain le pouvoir des images, du storytelling, le choc de différents mondes ou encore la ségrégation urbaine. On est happé par cette histoire qui questionnent de nombreuses thématiques. Une histoire plausible qui tend à plusieurs reprises vers le roman noir. « Arène » offre une galerie de personnages marquants qui restent en tête une fois le livre refermé.

Arène, ed. Liana Levi, 12,50 euros, 464 pages.

Marseille en résistances / Michel Peraldi, Michel Samson

Fin de règnes et luttes urbaines.

L’anthropologue Michel Peraldi et la journaliste Michel Samson oscillent entre la chronique politique d’une ville et une réflexion sociologique. Les deux auteurs partent des évènements du 5 novembre 2018 rue d’Aubagne à Marseille, lorsque deux immeubles s’effondrent en emportant huit vies et en provoquant la colère des habitants. Cet évènement met en lumière les dysfonctionnements de la politique de la ville. Plusieurs portraits sont dressés de personnages publics plus ou moins importants et qui vont graviter autour de cet évènement. On découvre comment la ville de Marseille a évolué ces vingt dernières années. Comment un tel évènement a pu arriver. Michel Peraldi et Michel Samson s’attardent sur les promoteurs opportunistes, sur les manipulations des politiques (locales ou non) mais aussi sur les forces des collectifs. On découvre comment une ville fait évoluer ou non son tissu urbain. « Marseille en résistance » est un bouquin passionnant qui donne à réfléchir sur les luttes passées et celles à venir. Une photographie précise et dense, d’un paysage politique et urbain.

Marseille en résistances, ed. La Découverte, 19 euros, 228 pages.

Casino Amazonie / Edyr Augusto

Le dernier roman d’Edyr Augusto, une plongée dans les bas-fonds de Belém au Brésil.

Quel plaisir de retrouver la plume d’Edyr Augusto dans « Casino Amazonie ». Nous sommes de nouveau à Bélem, au Brésil. Une ville avec ses trafics et ses truands. Comme dans ses précédents romans, on retrouve une atmosphère tendue où les choses peuvent dégénérer rapidement. Tout part d’un auteur de roman qui cherche à rencontrer un grand bandit local. Ce dernier méfiant dans un premier temps finit par se décider à lui raconter toute son histoire. C’est là que l’on découvre des personnages plantés en quelques lignes, du docteur qui décide de varier ses activités en ouvrant des salles de jeux clandestines au jeune homme qui vient de la rue et qui gravit les échelons en passant par la jeune fille surdouée pour le poker. J’ai toujours apprécié le travail de cet auteur et une nouvelle fois ce roman noir est une réussite. On est embarqués et surpris par les revirements alors même que l’on sait que l’on s’engage dans un récit rythmé qui va envoyer du bois. Le lecteur est au cœur des trafics, de la corruption ou des combines des forces de l’ordre de la ville amazonienne. Les dialogues sont fondus dans la narration ce qui participe au rythme du récit. « Casino Amazonie » est un roman noir qui marque et qui laisse un goût amer lorsque que l’on quitte ces personnages. A noter l’excellent travail de traduction de Diniz Galhos qui restitue toutes les nuances du roman et ce style dans l’écriture.

PS : Je vous conseille le visionnage de la rencontre littéraire « Vleel » sur youtube, avec l’auteur et son traducteur pour compléter la lecture. Et si vous ne connaissiez pas l’auteur, penchez vous sur ces premiers romans noirs (Moscow, Belém, Pssica et Nid de vipères).

Casino Amazonie, ed. Asphalte, 20 euros, 208 pages.

Le Carré des indigents / Hugues Pagan

Premier Pagan et première claque. Un polar à l’atmosphère unique.

Le lieutenant Schneider est muté dans une ville qu’il a connu par le passé. Nous sommes dans les années 70. Il vient de Paris et a déjà fait ses preuves. Flic taciturne et mélancolique, il n’est pas là pour s’entendre avec ses collègues ni pour faire traîner les affaires sur lesquelles il travaille. Le lecteur découvre rapidement qu’il a un passé plutôt sombre avec son lot de casseroles. Dans le nouvel environnement dans lequel il travaille, le cadavre d’une adolescente est retrouvée au début du roman. Schneider qui fait partie de la criminelle est mis sur cette affaire, une affaire qui va virer à certains moments à l’obsession. « Le carré des indigents » est un sacré roman noir très bien écrit. On sent que l’auteur connaît son sujet, même si l’enquête n’est pas des plus originales tout le reste fait de ce polar un roman à part. Hugues Pagan a beaucoup de talents pour faire naître des images et des atmosphères chez le lecteur. On retrouve toute une brochette de personnages, du flic raciste en passant par le chef qui hurle tout le temps mais que personne n’écoute. C’est un régal du début à la fin, du polar de haute volée. L’auteur en profite pour adopter un regard plein de lucidité et de réalisme sur l’institution policière. La police sert les puissants et ne va pas une seule seconde dans le sens des marginaux. Le lieutenant Schneider est le premier à ressentir de la colère lorsqu’il voit les traitements différents selon le statut de la victime. Ce personnage de flic pourrait paraître distant de part son caractère mais il n’en est rien, on sent un personnage complexe derrière les apparences et on a qu’une seule envie c’est de le suivre dans les méandres de ses pensées torturées. Je découvre l’œuvre d’Hugues Pagan avec cette lecture et évidemment j’ai très envie de prolonger la découverte avec ses anciens romans.

Le Carré des indigents, ed. Rivages noir, 20,50 euros, 384 pages.

Mathilde ne dit rien / Tristan Saule

Chroniques de la Place Carrée – Tome 1

La place carrée est un quartier dans une ville moyenne. On va retrouver cette place dans plusieurs romans de cette nouvelle série de Tristan Saule intitulée « Chroniques de la place carrée » et éditée chez la très recommandable maison d’édition Le Quartanier. « Mathilde ne dit rien » est le premier tome de cette série. Mathilde justement est une travailleuse sociale et au début du roman on ne sait pas grand-chose d’autre sur son passé qui semble flou. C’est un personnage sensible qui cache bien des choses mais qui pour autant, ne semble pas résigné. Même si elle ne dit pas grand-chose elle à l’habitude d’aider ses voisins. C’est d’ailleurs en aidant une famille qui habite non loin de chez elle qu’elle se retrouve dans une galère. La famille en question est menacée d’expulsion car la fin de la trêve hivernale approche et Mathilde va agir. Elle ne peut pas laisser passer cela. L’auteur restitue très bien les conditions de vie de ses personnages marginaux qui peuplent ce roman et qui rencontrent des difficultés à boucler les fins de mois. Des personnages qui luttent au quotidien notamment contre le stigmate des populations plus aisées et qui trempent une fois sur deux dans de petites combines. « Mathilde ne dit rien » est un roman noir réaliste aux personnages attachants. On a très envie de retrouver son atmosphère et son cadre dans la suite des chroniques de la place carré. A partir d’une première scène mémorable, la tension monte ensuite progressivement et on est pris dedans en ayant du mal à lâcher le bouquin.

Mathilde ne dit rien, ed. Folio, 8,90 euros, 320 pages.

Nuages baroques / Antonio Paolacci et Paola Ronco

La découverte du sous préfet Nigra, un personnage attachant qui préfigure une série intéressante.

Un jeune homme est retrouvé agonisant par un joggeur dans les rues de Gênes, à l’aube. Le joggeur tente tant bien que mal de le réanimer mais en vain. Le jeune a été battu à mort. Une fois les secours sur place, le sous-préfet Paolo Nigra est mis sur l’affaire. Un nouveau personnage réjouissant. Entouré d’une troupe de collègues et de proches aussi attachants les uns que les autres, la section de la criminelle va faire des pieds et des mains pour comprendre ce qui est arrivé à ce jeune architecte en sortant de sa soirée. Un crime homophobe ? Un règlement de compte familial ? On apprend au fil de l’intrigue à recomposer le puzzle d’ensemble dans un polar qui prend son temps et qui nous fait découvrir une ville que l’on voit peu dans le roman noir. Gênes, une ville notamment marquée par les violences autour du G8 en 2001. Des évènements qui font partie intégrantes de ce roman noir qui est une belle surprise. Un roman intéressant donc dans ses thématiques, écrit à quatre mains avec beaucoup de plaisirs, ça se sent. Les influences (revendiquées) sont bien là de Camilleri à Carlo Lucarelli. L’humour caustique n’est pas bien loin non plus tout comme la bonne nourriture sur certains passages. Une fois la dernière page tournée, on a bien envie de retrouver le sous préfet dans une nouvelle enquête. Une réussite.

Nuages baroques, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 22 euros, 352 pages.

Deux secondes d’air qui brûle / Diaty Diallo

Une bande de potes fait face à un drame.

Lecture coup de poing ce roman de Diaty Diallo. Un premier roman qui aborde la question des violences policières mais aussi les répercutions sur le quartier, les vies de chacun, les quotidiens qui basculent. « Deux secondes d’air qui brûle » campe une atmosphère pleine de sons et d’amitiés. On y croise les paroles de SCH, des X-Men ou encore de PNL. On y croise un groupe de potes qui connaît les rouages aussi bien du quartier que les réactions prévisibles de la police. Il y a vraiment une forme de débrouille mise en évidence par l’autrice qui marque le lecteur. La violence et le stigmate que subissent ces jeunes quotidiennement sont loin d’être les seuls propos. Diaty Diallo s’arrête sur ce qui fait le quotidien des quartiers. Les motos à réparer, les barbecues montés, la solidarité. C’est tout un environnement qui se déploie sous la très belle plume de cette autrice, des parkings à une dalle de béton en passant par les toits des tours.

Deux secondes d’air qui brûle, ed. Seuil, 17,50 euros, 176 pages.

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