Retour à Killybegs / Sorj Chalandon

Le roman d’une trajectoire de vie, celui d’un traitre au service de l’IRA.

Le journaliste Sorj Chalandon écrit avec « Retour à Killybegs » un roman sur une trahison, celle d’un militant irlandais de l’IRA, Tyrone Meehan. Le nom a été changé, mais les évènements sont inspirés de faits réels. Le livre s’arrête sur la découverte de l’IRA à 18 ans pour Tyrone Meehan et sur l’histoire de son enrôlement tôt. On suit le cheminement dans la tête du personnage, comment il en vient à la lutte armée et dans quel contexte. En parallèle, le récit alterne avec l’écriture des mémoires de ce même Tyrone Meehan lorsqu’il revient à Killybegs des décennies plus tard pour laisser ressurgir ses souvenirs. Il se sent d’ailleurs en danger lorsqu’il revient sur les terres de son passé, car il est maintenant un traitre au service du contrespionnage britannique aux yeux de tous. Sorj Chalandon avec l’acuité qu’on lui connait décrit l’intérieur du conflit nord-irlandais et le contexte avec beaucoup de précision. On est complètement emporté par l’écriture et le ton du livre. Petit à petit on découvre les zones d’ombre pour comprendre comment il devient un traitre. Et petit à petit on se rend compte que ses pairs se méfient de lui à raison. Sorj Chalandon questionne la place de la guerre et de la lute dans une vie avec beaucoup de justesse. Les romans de l’auteur sont marquants et celui-ci ne fait pas exception.

Retour à Killybegs, ed. Le livre de poche, 8,70 euros, 336 pages.

Minuit dans la ville des songes / René Frégni

Un récit autobiographique qui évoque une vie de lecture et en même temps une vie de lutte.

Tout démarre dans sa jeunesse dans le dernier livre de René Frégni, une jeunesse déjà bien mouvementée dans laquelle l’auteur fait les 400 coups. On suit ensuite son parcours accidenté dans la vie, de son opposition au milieu scolaire à la relation délicate qu’il entretient avec l’armée en passant par sa découverte de la littérature dans différents lieux (mais toujours avec une constante admiration). De Giono à Camus en passant par Dostoïevski, l’auteur découvre des auteurs au rythme de ses vagabondages, de ses voyages. L’auteur se livre sans fard. Il dévoile l’impact qu’a pu avoir les livres sur sa vie mais aussi l’importance de l’écriture, qu’on distingue petit à petit. Frégni ne s’est pas rêvé écrivain du jour au lendemain. Il a découvert et appréhender la puissance des mots, de la fiction. Son rapport au réel.

« Minuit dans la ville des songes » est un livre dense qui offre des réflexions sur la vie, sur notre condition. D’une écriture toujours aussi belle et accessible, on y découvre un auteur engagé qui lutte au quotidien face aux absurdités d’un monde qu’il a parfois des difficultés à comprendre. Encore une fois touché par la plume de l’auteur, je me retrouve avec un nouveau coup de coeur.

Minuit dans la ville des songes, ed. Gallimard, 19,50 euros, 256 pages.

Dans les yeux du ciel / Rachid Benzine

Une femme traverse avec sa fille le printemps arabe et tout ce que la période va charrier.

Derrière le printemps arabe de 2011 et les contestations populaires qui ont grandi dans plusieurs pays du monde arabe, Rachid Benzine se penche dans ce contexte sur la vie d’une femme prostituée et sur celle de sa fille collégienne. Nour élève seule sa fille Selma, en Tunisie sous le régime de Ben Ali. Elle ploie au quotidien devant les nombreuses injonctions qu’elle rencontre lorsque l’on est une femme. Se cacher à cause de son métier, se faire discrète dans l’espace public, car les hommes lui rappellent régulièrement que sa condition ne vaut rien. Elle décrit dans ce court récit sa vie pendant les révolutions, les risques qu’elle prend et ce qu’elle perçoit de la société en mutation. Les changements de régime politique vont-ils se faire pour le meilleur ? Les révolutions vont-elles s’essouffler ? Comme toujours des hommes bien placés sauront en profiter et l’auteur derrière une écriture sensible et poignante, dresse un portrait contrasté de ces soulèvements. Ce livre est aussi le portrait d’un poète homosexuel, Slimane, proche de Nour et qui se meut en leader pendant les contestations. Slimane monte un blog, disserte de longues heures avec Nour sur la situation, échange des vers qu’il écrit avec son amie sur ce qui fait vaciller les fondations d’une société tunisienne ancrée dans un régime autoritaire. Tout bouge autour d’eux que ce soit les croyances ou les idéaux. Rachid Benzine construit des personnages plein d’humanité qui luttent avec leurs armes, à leurs échelles. Il insuffle un singulier souffle de vie chez chacun d’entre eux.

L’auteur porte sa focale sur les minorités opprimées et écrit avec « dans les yeux du ciel » un roman sur les espoirs du printemps arabe, mais aussi sur ses désillusions. Comme lorsque la chute du régime se solde par la montée d’un autre, qui revêt de nouvelles formes de violences. Il y a tout ça dans ce petit roman. Un condensé d’émotion.

 » […] Tu ne vois plus ce qui se passe. Nous avons chassé un tyran. Ceux-là iront encore plus loin. »

Dans les yeux du ciel, ed. Points, 6,30 euros, 160 pages.

Le sniper, son wok et son fusil / Chang Kuo-Li

Un polar savoureux entre Taipei et Rome. un réel plaisir de lecture.

Un sniper, ancien de l’armée Taïwanaise, se retrouve sur une mission à Rome où il doit éliminer une cible. Ai Li surnommé Alex est doué et une fois son travail accompli, il se rend compte qu’il est tombé dans un traquenard et qu’il est poursuivi par un autre sniper qui cherche à l’éliminer à son tour. Une fuite à travers l’Europe s’engage entre deux tueurs à gage.

En parallèle à cela, le superintendant Wu, fin limier de la police de Taipei plus très loin de la retraite, est sollicité pour deux affaires qui semblent liées à la victime d’Alex à Rome. Dans ces deux affaires, deux officiers de la Marine sont retrouvés morts. Le superintendant Wu d’un côté et Alex de l’autre ne sont pas au bout de leurs surprises.

Une très belle découverte ce roman noir, qui distille avec justesse des doses d’action, d’humour et d’histoire tout en construisant une intrigue complexe. La recette est connue mais fonctionne, on découvre avec plaisir le superintendant Wu à Taïwan et son fils plutôt geek. Alex de son côté n’est pas qu’un tireur hors pair, c’est aussi un redoutable cuistot vous le découvrirez. Le sniper, son wok et son fusil est un polar qui fait penser à la série de Camilleri avec le commissaire Montalbano où la cuisine a une place à part entière. L’auteur nous fait saliver tout en emmenant le lecteur sur des thématiques d’actualité, notamment la question du commerce des armes. Cette série débute sous les meilleurs hospices. Un polar savoureux à plus d’un titre.

Traduction (de qualité) d’Alexis Brossollet.

Le sniper, son wok et son fusil, ed. Gallimard, coll. Série noire, 19 euros, 368 pages.

La scierie / Anonyme

Un bourgeois se met à travailler dans plusieurs scieries en attendant d’être enrôlé dans la marine. Un récit au plus près des ouvriers.

C’est l’histoire d’un jeune bourgeois de 18 ans qui attend d’être enrôlé dans la marine. Il cherche du travail pendant ce temps et en trouve dans plusieurs scieries. C’est à travers ce livre qu’il raconte ces deux années de dur labeur. Avec une plume précise et une économie de mots on retrouve une très belle description du monde ouvrier avec tout ce que cela charrie de rudesse et d’images. J’ai pensé à certains moments à la justesse de Joseph Ponthus dans les descriptions, dans la restitution des sensations. On suit la métamorphose d’un homme durant ces deux années éprouvantes. Un court roman en forme d’uppercut pour le lecteur. Étonnant.

La scierie, Ed. Héros-Limite, 18 euros, 144 pages.

Un dernier ballon pour la route / Benjamin Dierstein

Un singulier duo d’enquêteurs qui va laisser peu de répits au lecteur.

Freddie et Didier n’ont plus grand-chose à perdre et vendent leur service pour des enquêtes privées entre deux godets. Ces deux anciens de l’armée et de la police qui se complètent bien dans la loose essaient de s’en sortir avec les compétences qu’ils leur restent, autrement dit la castagne et la descente de pinte de bière. C’est dans ces conditions qu’ils mettent la main sur une jeune fille disparue pour la ramener à sa famille et plus précisément dans le bled où Freddie a grandi. Les anciennes rivalités sont loin d’être toutes résolues et le retour de Freddie sur ses terres ne va pas apaiser les choses.

Ce polar envoie du bois et mêle très bien action, humour noir et répliques cinglantes. Je découvre Benjamin Dierstein avec ce roman prenant et je ne suis pas déçu du voyage.

Un dernier ballon pour la route, ed. Les arènes, coll. Equinox, 20 euros, 416 pages.

Un voisin trop discret / Iain Levison

Iain Levison dans ses oeuvres.

Quel plaisir de retrouver le ton de l’inimitable Levison ! Un sens de la formule, une intrigue à rebondissements et de petits pics très bien vus sur une société américaine qui ne tourne pas rond, tout y est. Évidemment les observations fines de l’auteur distillées à droite à gauche sont valables ailleurs qu’aux USA et c’est aussi ce qui fait la force des livres de Iain Levison. Il touche du monde.

On suit plusieurs personnages qui vont finir par se croiser d’une manière ou d’une autre, du militaire à la mère de famille en passant par un homme plus énigmatique, chauffeur Uber, et qui gravite aussi dans le coin. Une réussite du début à la fin. Ça donne envie de relire les précédents livres de l’auteur, ce sont vraiment des bouquins qui font du bien et qui sont des modèles de construction narrative.

Un voisin trop discret, ed. Liana Levi, 19 euros, 224 pages.

L’Affaire suisse / Jean-François Paillard

Barbouzes et autres réjouissances.

J’ai eu envie de découvrir cet auteur lorsque j’ai croisé son livre précédent en librairie, Le Parisien (sorti en poche entre temps). Un polar et une histoire qui se déroule à Marseille et dont on entend parler au début de l’Affaire suisse. C’est finalement vers ce dernier que je me suis tourné. L’Affaire suisse n’est pas une suite même si l’on retrouve le même personnage, mais dans un nouveau cadre, Lausanne et sa région. Ce second roman chez Asphalte de Jean-François Paillard amène le lecteur à rencontrer Nico dit Narval, un agent double un peu en bout de course qui hésite à raccrocher. Loin de sa fille, loin de sa mère, on retrouve l’archétype de l’agent au bout du rouleau qui a fait passer son travail avant sa famille. Le barbouze qui a du métier et des années d’expérience derrière lui pense avoir une longueur d’avance lorsque Pépé le mafieux lui propose (ou plutôt lui suggère de ne pas refuser) une dernière mission dans les milieux financiers suisses.

L’écriture de Jean-François Paillard est ciselée et je trouve que l’équilibre est bon entre les scènes d’action et les descriptions plus longues. On se laisse porter par la mission de Narval. On sent tout de suite que c’est un roman documenté lorsque certains personnages issus de l’armée se remémorent des missions passées, dans tels ou tels pays. Les récits au passé sont précis et on découvre des ramifications complexes que l’on n’imaginait pas forcément derrière les conflits. Du côté du fonctionnement des renseignements généraux, du catalogue des armes, des sigles des institutions, l’auteur ne fait pas non plus les choses à moitié et réalise un travail précis pour rendre crédible son intrigue. Un lexique bienvenu sur les sigles est d’ailleurs disponible en fin d’ouvrage.

Un bon moment de lecture en somme qui me donne envie de retrouver Narval dans ses œuvres.

L’Affaire suisse, ed. Asphalte, 19 euros, 224 pages.

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