Sidérations / Richard Powers

Le roman poignant d’un père qui tente de tisser une relation avec son fils, malgré les accès de colère et les difficultés de ce dernier.

Premier livre que je lis de Richard Powers et première claque. « Sidérations » relate le parcours d’un homme, biologiste, qui élève seul son fils de neuf ans. Un garçon attachant et spontané, sans filtre, ce qui l’amène parfois à éprouver des difficultés relationnelles notamment à l’école. Son père l’emmène en séjour dans la nature dès le début du roman pour passer un moment privilégié avec son fils, et pour que ce dernier change d’air. Passionné d’animaux, le jeune Robin déstabilise encore son père, mais se régale durant tout le séjour. À leur retour, un scientifique approche son père pour lui proposer d’inscrire son fils dans un programme neuroscientifique expérimental et qui serait susceptible de l’aider à gérer ses émotions. Les effets ne se font pas attendre longtemps pour Robin, mais à quel prix ? Est-ce que sa mère, décédée dans des circonstances tragiques serait d’accord avec ce programme scientifique ? L’auteur écrit un roman poignant et qui marque le lecteur. Il décrit cette relation père-fils avec une acuité rare. Tout comme la personnalité de Robin en décalage régulièrement avec la société qui l’entoure, notamment lors de ses crises de colère. L’Amérique qui se désagrège dans son climat et dans sa politique percute le destin de ces deux personnages, dans un roman unique, à la charge émotionnelle rare.

Sidérations, ed. 10/18, 8,90 euros, 408 pages.

Les Décrochés / Rachid Zerrouki

Un second essai dans la continuité du travail de l’auteur, sur les élèves du système scolaire qui sont marginalisés.

Dans ce second livre Rachid Zerrouki s’attarde sur les élèves décrocheurs, des élèves que l’on perd de vu du jour au lendemain dans le système scolaire. Des élèves qui souvent subissent ce décrochage et finissent par trimer au quotidien pour s’en sortir dans des petits boulots qu’ils ont rarement choisi. Après avoir questionné sa pratique en tant que professeur en SEGPA dans son premier livre, Rachid Zerrouki s’attarde sur le profil des décrocheurs et les processus qui les emmènent vers le décrochage. Pour cela il a rencontré des élèves sortis du système scolaire pour de nombreuses raisons, et on découvre des jeunes qui ont été marginalisés tôt, qui croisent plusieurs obstacles notamment des problématiques sociales importantes. On croise par exemple une famille qui tente de s’en sortir en faisant reconnaitre le handicap de leur enfant par les institutions compétentes. Il s’agit en réalité d’un vrai chemin de croix avec un nombre de documents à remplir absurde. La définition du décrochage scolaire en théorie correspond à un élève qui multiplie les absences sur une durée plus ou moins longue avant de ne plus venir du tout. L’auteur montre que la notion de décrochage est bien plus complexe et que les jeunes donnent à voir plusieurs alertes avant de « décrocher ». En partant de son expérience, des élèves qu’il a pu rencontrer et de ses lectures, l’auteur livre un nouvel essai riche et important. Il donne à voir comment l’institution scolaire s’occupe d’une partie de ses élèves et c’est malheureusement bien plus répandu qu’on ne le pense.

Les Décrochés, ed. Robert Laffont, 19,50 euros, 224 pages.

Le grand secours / Thomas B. Reverdy

Un bouquin percutant qui se déroule dans un carrefour à Bondy et un lycée juste à coté.

Tout démarre sur le pont de Bondy qui enjambe l’A3, une altercation éclate et commence à faire dégénérer les choses au milieu d’une circulation dense. En parallèle, Thomas B. Reverdy emmène son lecteur un peu plus loin dans le lycée à côté du carrefour. Un lycée dans lequel Candice une prof de français surmotivée s’apprête à accueillir Paul un écrivain qui a accepté de rencontrer sa classe pour une intervention. Non loin de là c’est Mo, un des élèves de la classe de Candice qui arrive au lycée. On suit ces différents personnages dans cette journée qui on le sent rapidement va se tendre. L’atmosphère est particulière et pourtant les évènements s’enchaînent, Paul arrive au lycée et démarre son intervention. On se rend compte que l’auteur a fait un travail de fond important pour rendre crédible la classe, les réactions des profs ou la vie plus globalement d’un établissement. Reverdy a une plume enlevée et ne tombe pas dans les clichés malgré les thèmes choisis. Je découvre cet auteur avec ce bouquin et ça a été une vraie bonne surprise. Aussi bien dans le traitement des questions qui traversent le bouquin (racisme, orientation, avenir des jeunes, violences policières, ségrégation spatiale, etc.) que dans la forme. On a du mal à lâcher le livre une fois démarré et les dialogues percutent bien. Les inégalités sociales entrainent les inégalités scolaires dans un cercle vicieux redoutable. On croise des élèves marginalisés, des comportements d’enseignants abusés, mais qui existent. Un roman à découvrir.

Le grand secours, ed. Flammarion, 21,50 euros, 320 pages.

Un garçon ordinaire / Joseph d’Anvers

Un roman sensible, sur un groupe de potes qui grandit dans les années 90.

Nous sommes en 1994 et le roman débute sur un groupe de jeunes qui apprend la mort de Kurt Cobain. On prend le point de vue d’un des jeunes qui vit ses premiers amours, ses premières expériences à fond avec ses potes. Notamment avec son groupe de musique. Le narrateur a 17 ans et grandit dans une ville de province banale. Il voit approcher le bac sans trop s’inquiéter mais en ayant tout de même le sentiment qu’une page de sa jeunesse va bientôt se tourner. Joseph d’Anvers restitue très bien toute l’atmosphère d’une époque mais aussi les questionnements que les jeunes rencontrent lors de cette période de leur vie. « Un garçon ordinaire » sonne juste et l’auteur arrête sa focale sur les micro évènements qui changent une vie à 17 ans. Un jolie roman sur une jeunesse qui tente maladroitement un passage vers l’âge adulte sans forcément saisir tout ce qu’il se joue.

Un garçon ordinaire, ed. Rivages, 20 euros, 219 pages.

Voyage au bout de l’enfance / Rachid Benzine

La vie d’un enfant bascule lorsque ses parents quittent la France pour la Syrie.

Un jeune enfant dans une école de Sarcelles est passionné de poésie. Un jour, il est amené à présenter ses poèmes à sa classe et il n’a qu’une hâte, partager ses écrits. Il n’aura jamais l’occasion de les présenter car ses parents décident de partir la veille rejoindre Raqqa en Syrie et l’Etat Islamique. Ils emmènent leur fils avec eux et Fabien qui n’a rien vu venir ne comprend plus rien. Du jour au lendemain sa vie change et une fois la colère passée, l’incompréhension le frappe de plein fouet. Il va vivre à sa hauteur ce que représente le fait d’être un enfant dans l’Etat Islamique. Rachid Benzine restitue ce regard dans ce court roman poignant. L’auteur s’efface derrière son personnage, un personnage témoin des désillusions de ses parents. Fabien découvre l’horreur et va tenter de surnager, notamment à travers sa passion pour la poésie.

Voyage au bout de l’enfance, ed. du Seuil, 13 euros, 84 pages.

De chair et de fer / Charlotte Puiseux

Vivre et lutter dans une société validiste.

À travers son parcours, de son enfance à son engagement militant, Charlotte Puiseux livre un récit sensible et plein de justesse. Un récit qui questionne le rapport entre la société française et les personnes handicapées. Plusieurs notions sont explicitées par l’autrice, du validisme à l’intersectionnalité. On comprend l’impact négatif que peut avoir une émission comme le téléthon et comment cela peut être perçu. On comprend aussi les injonctions qui pèsent sur les personnes handicapées notamment lorsque la société encense des sportifs de haut niveau pendant les jeux paralympiques. La personne handicapée est alors essentialisée, c’est-à-dire résumée à son handicap. L’autrice déconstruit avec beaucoup de clarté toutes ces violences non visibles du quotidien. Le validisme en tête. Des violences qui parfois peuvent revêtir l’apparence d’une fausse bienveillance, à l’école, au travail, à la maternité, etc. « De chair et de fer » est un excellent bouquin sur la question du handicap, une synthèse des questionnements qui ont émergés ces dernières années. Le parcours personnel de l’autrice qui est rapporté ici rend compréhensible ces évolutions.

extrait : « À travers le partage de mon expérience, j’ai tenté de rendre compte des réalités du validisme, et j’espère que ce récit aura permis de faire émerger une autre perspective. En rembobinant le film de ma vie, en rendant publics des instantanés de mon parcours, j’ai voulu montrer que tout peut être pensé différemment, que rien n’est figé. »

De chair et de fer, ed. La découverte, 17 euros, 160 pages.

Minuit dans la ville des songes / René Frégni

Un récit autobiographique qui évoque une vie de lecture et en même temps une vie de lutte.

Tout démarre dans sa jeunesse dans le dernier livre de René Frégni, une jeunesse déjà bien mouvementée dans laquelle l’auteur fait les 400 coups. On suit ensuite son parcours accidenté dans la vie, de son opposition au milieu scolaire à la relation délicate qu’il entretient avec l’armée en passant par sa découverte de la littérature dans différents lieux (mais toujours avec une constante admiration). De Giono à Camus en passant par Dostoïevski, l’auteur découvre des auteurs au rythme de ses vagabondages, de ses voyages. L’auteur se livre sans fard. Il dévoile l’impact qu’a pu avoir les livres sur sa vie mais aussi l’importance de l’écriture, qu’on distingue petit à petit. Frégni ne s’est pas rêvé écrivain du jour au lendemain. Il a découvert et appréhender la puissance des mots, de la fiction. Son rapport au réel.

« Minuit dans la ville des songes » est un livre dense qui offre des réflexions sur la vie, sur notre condition. D’une écriture toujours aussi belle et accessible, on y découvre un auteur engagé qui lutte au quotidien face aux absurdités d’un monde qu’il a parfois des difficultés à comprendre. Encore une fois touché par la plume de l’auteur, je me retrouve avec un nouveau coup de coeur.

Minuit dans la ville des songes, ed. Gallimard, 19,50 euros, 256 pages.

Le ventre des hommes / Samira El Ayachi

Un roman écrit dans une langue pleine d’images et qui alterne entre tendresse et âpreté,

Novembre 2016, la police débarque dans la classe d’Hannah pour l’emmener au poste. C’est à partir de là que l’on se rend dans le passé de la professeur des écoles pour comprendre ce qui l’a mené à cet évènement, en partant de son enfance en 1987.

Dans ce retour dans le passé, on découvre une famille du Nord dans laquelle le père est venu du sud du Maroc pour travailler dans les mines. Hannah sa fille raconte les corons du Nord, la condition d’enfant d’immigré, la vie précaire de sa famille qui s’installe. Mais aussi une relation très forte entre son père et elle. Son père Mohammed, qui prend la parole dans le roman avec une langue poignante et qui relate son arrivée en France et les luttes qu’il a menées. J’ai lu plusieurs avis plutôt mitigés sur le décalage entre les combats passés du père dans les mines et les combats plus actuels de sa fille qui tente de composer avec les luttes passées et celles importantes pour elle. J’ai au contraire trouvé que ces parallèles étaient traités avec beaucoup de justesse, notamment l’évènement en 2016 qui lui vaut sa garde à vue. Un évènement symptomatique de notre époque et très rarement questionné dans la fiction. La lecture a aussi une place importante dans le roman. Hannah se construit par les livres, par les rencontres avec les bibliothécaires ou encore par la relation amour/haine qu’elle développe pendant son enfance avec Germinal l’œuvre de Zola. Une occasion pour l’autrice de rappeler les pouvoirs de la fiction, mais aussi ses ambivalences.

Ce roman est plein d’émotion. On retrouve la langue riche de Samira El Ayachi comme dans « Les femmes sont occupées ». Le tout sonne et rien n’est laissé au hasard pour servir les parfums de révolte des personnages. Il y a un réel travail sur la langue, que ce soit celle du père ou celle d’Hannah. « Le ventre des hommes » est un très beau roman et on tourne la dernière page avec un pincement.

Extrait : « Avec toutes ces dingueries du monde adulte que je ne comprends plus, le seul lieu qui me tient à l’aise avec le mensonge, c’est la lecture. Ici on ment ; c’est le but même de l’expérience, qu’on nous mente tellement. On nous raconte des histoires, on sait que ça ment comme un arracheur de dents, elle me ment la lecture, on le sait à l’avance, on se roule dans le mensonge comme de la farine et des œufs et c’est bon. Elle ment en jurant et en me regardant droit dans les yeux. »

Le ventre des hommes, ed. de l’Aube, 360 pages, 22 euros.

Hétéro, l’école ? / Gabrielle Richard

Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité.

Le livre de Gabrielle Richard donne la parole aux adolescent.e.s. Il aborde la question de l’éducation à la sexualité à l’école avec beaucoup de pertinence et d’une manière que je n’avais encore jamais vue. On y découvre de nombreuses ressources en parallèle aux témoignages d’élèves LGBTQ. L’autrice propose des solutions et des perspectives.

Une des solutions envisagées est la pédagogie antioppressive. Cette pédagogie ne s’arrête pas à l’inclusion des élèves stigmatisé.e.s, dits marginaux. Au lieu de s’intéresser à ce qui est perçu comme marginal, les enseignant.e.s pourraient s’intéresser aux façons de discuter, de mettre en évidence, de remettre en question les normes sociales qui régissent l’école en ce qui concerne la sexualité (l’hétéronormativité, la binarité du genre, etc.). La pédagogie antioppressive questionne ces normes, c’est-à-dire leur existence, les conditions de leur création ou encore les moyens de leur maintien.

Je vous conseille cette lecture, un essai qu’il serait intéressant de croiser dans le cadre de la formation des enseignant.e.s et qui ferait du bien pour remettre en question ses pratiques.

Hétéro, l’école ?, ed. du remue-ménage, 14 euros, 168 pages.

Et père et maître – Retrouver l’école / Jean-Baptiste Labrune

Témoignage sur l’enseignement en école élémentaire et sur la paternité.

L’auteur réussit à mettre un coup de projecteur sur de nombreux procédés mis en œuvre dans le métier d’enseignant.e au quotidien. Des procédés pas toujours visibles pour les élèves ni pour les parents et parfois même peu visibles pour les enseignants eux-mêmes (l’exemple des normes scolaires peu comprises par les parents et/ou par les enfants est significatif). Jean-Baptiste Labrune porte un regard très juste sur une profession (et plus particulièrement sur les professeurs des écoles dans le 1er degré, son expérience à lui). Ce regard est réaliste, sans pathos, avec plusieurs remises en question rencontrées au fil de son expérience dans sa classe.

C’est aussi un regard qui n’omet pas le contexte politique actuel. Un contexte qui induit des décalages toujours plus nombreux entre les injonctions hiérarchiques de l’Éducation nationale et les problématiques de terrain (la souffrance au travail augmente chez les personnels enseignants et cette rentrée dans des conditions sanitaires singulière n’arrange rien).

Cette expérience est mise en parallèle avec celle de la paternité. Et c’est là le second point intéressant dans ce livre, cette mise en perspective de ce que représente l’éducation, que cela soit dans la sphère privée avec son enfant ou dans la sphère professionnelle avec ses élèves.

L’auteur fait appel ponctuellement à des références dans plusieurs disciplines et de nombreux auteurs et autrices que j’ai déjà rencontrés dans le monde de l’éducation sont convoqués (le sociologue Bernard Lahire notamment avec l’excellent ouvrage « Enfances de classe – De l’inégalité parmi les enfants », Philippe Meirieu, Géraldine Farges, Julien Netter, etc.) ce qui enrichit grandement le propos. Un livre très juste qui prend le temps de décrire cette institution qu’est l’école, dans toute sa complexité et ses contradictions.

Et père et maître, ed. Flammarion, 18 euros, 224 pages.

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