Ce prochain amour / Nora Benalia

Le parcours d’une narratrice en colère, contre les normes et les injonctions lorsque l’on est une femme.

Ce livre est une claque. Un livre plein de rage, qui marque par sa sincérité. L’autrice écrit en partie sur sa vie à travers la narratrice, sur la violence que cela représente d’être une femme dans la société aujourd’hui. Que ce soit à travers la maternité, la famille, la sexualité ou le rapport aux hommes, Nora Benalia fustige les inégalités de genre avec une justesse rare dans de courts chapitres. La narratrice s’adresse au lecteur sans détour. Le constat est amer et la plume acérée.

extraits : « C’est quand même curieux de mettre toutes ces qualités dans l’organe le plus fragile du corps humain : le courage de l’homme est dissimulé là, à un endroit qu’un simple coup de genou peut réduire à néant. »

« Courber l’échine, travailler, brader son temps et ses compétences, suivre la scolarité de ses enfants, être considérée comme une assistée en touchant la CAF, comme une mauvaise mère en n’étant pas suffisamment présente, comme une mauvaise employée en n’étant pas suffisamment investie, être une femme invisible, fatiguée et défraîchie, mauvaise en tout, bonne à rien, mais sourire bravement quand on nous flatte pour notre sacrifice, comme un chien qui remue la queue. »

« Pas un jour ne passe sans que je ne sois jugée, y compris par mes enfants, maintenant qu’ils sont adolescents. Je suis la méchante qui fait bouffer des légumes ou qui ne cuisine que des pâtes parce qu’elle en a marre, mais qui, quoiqu’il en soit, se prend toute leur colère en permanence dans la gueule, parce qu’elle est là.
Elle est là, encore, dans les cabinets de psy, les réunions de professeurs, les conseils de classe. Devant l’école, au supermarché. À dire non au cahier à spirales.
Elle est là et elle est nulle. »

Ce prochain amour, ed. Hors d’atteinte, 17 euros, 208 pages.

Bien trop petit / Manu Causse

La découverte de la sexualité à travers le regard d’un lycéen qui tente de composer avec ses complexes.

Manu Causse s’attarde sur un lycéen qui reçoit des brimades de certains élèves de sa classe. Tout commence à la piscine lorsque la taille de son sexe est moquée. Grégoire a du mal avec ces moqueries et il finit par ne plus penser qu’à cela. Puis à ne plus aller en cours du tout. Ses parents commencent à s’inquiéter, mais lui pas tant que ça puisqu’il se réfugie dans l’écriture. L’écriture de petites fictions érotiques un peu à la manière des fanfictions. Il se prend au jeu et rencontre des lecteurs en ligne avec qui il échange, notamment un lecteur mystérieux qui se passionne pour ses textes. Manu Causse écrit un roman malin qui parlera à de nombreux adolescents (et adultes). Il est question de pouvoir de la fiction, du rapport au corps pendant les années lycée ou des imaginaires érotiques qui sont véhiculés ou non à cette période de la vie. « Bien trop petit » est roman plein de justesse qui vaut le détour et qui peut ouvrir des discussions. Ajoutez à cela de petites touches d’humour vous avez un très bon petit bouquin. Définitivement une collection à découvrir.

Bien trop petit, ed. Thierry Magnier, coll. L’Ardeur, 15,90 euros, 400 pages.

La prochaine que tu mordras la poussière / Panayotis Pascot

Le récit de soi et d’une relation au père.

En revenant sur son parcours et sur sa relation à son père, Panayotis Pascot écrit un récit autobiographique dans lequel chaque mot est pesé. L’auteur est un fin observateur de nos comportements et ça se sent. Que ce soit lorsqu’il revient sur son enfance ou sur ses premières découvertes de la sexualité, Panayotis Pascot se livre sans détour en choisissant l’image juste, en mettant en évidence le ressenti qu’il a perçu à ce moment-là de sa vie. Il est aussi question de nos contradictions, à commencer par les siennes. Ce récit plein de lucidité touche le lecteur, notamment cette relation à son père qui évolue, mais qui est loin d’être simple. Passer à l’écriture, poser des mots sur ses sentiments, il a très tôt procédé de la sorte et cela fonctionne très bien dans « La prochaine fois que tu mordras la poussière ». Après avoir travaillé pour la télé puis après avoir tourné avec son spectacle, l’humoriste prend le temps de s’arrêter sur sa vie, sur ses épreuves. Le temps de l’écriture a toute son importance. La lecture est fluide et on prend beaucoup de plaisir à suivre les pensées de ce narrateur qui se cherche.

extrait : « Moi aussi j’avais cet équilibre « ça ne sort pas, ça ne rentre pas ». Puis j’ai décidé de me battre contre. J’ai commencé à vouloir faire l’inverse de mon père, à vouloir tout faire sortir. Et j’ai choisi ce métier. Parler de soi, tout le temps, partout. Vider son sac, sur scène, à la télé, dans un bouquin. Ça me fait du bien, ça m’aide à me comprendre, à me sentir, à me constater, comme on constate un accident. On voit là où il y a des dégâts puis on essaie de combler, de repeindre, de réparer. On répare mieux quand c’est dehors, quand c’est visible, concret. »

La prochaine fois que tu mordras la poussière, ed. Stock, 19,50 euros, 240 pages.

mères sans filtre / Collectif

Huit récits intimes de déclics féministes pour libérer la parole sur la maternité.

En questionnant leur maternité, les autrices de ce recueil reviennent sur les représentations qui ont traversé ou non leur maternité. En abordant la grossesse, les réactions de l’entourage, le post-partum, l’éducation des enfants, etc. on discerne comment la maternité peut devenir un objet politique. Chaque autrice décrypte comment la maternité a été un moment clé pour creuser les thématiques autour des inégalités de sexe. Un bouquin très riche et d’actualité qui brasse les derniers enjeux autour de la maternité et qui forme une excellente synthèse sur le sujet. Cela permet aussi de creuser les livres de chaque autrice si l’on veut poursuivre avec d’autres lectures. Exemple le livre de Renée Greusard « Choisir d’être mère » à lire ou encore le livre d’Iliana Weizman sur le post-partum.

Mères sans filtre, ed. Solar, 17,90 euros, 176 pages.

Le Pain nu / Mohamed Choukri

Une enfance écourtée dans le Rif marocain des années 1940.

Dans un récit autobiographique cru et sans détour, Mohamed Choukri écrit sur son enfance et sur les évènements qu’il a traversés dans sa vie et dans sa famille. De la grande pauvreté à la débrouille en passant par la vulnérabilité des enfants et la violence de son père, il décrit son enfance difficile dans le Rif Marocain des années 1940. Avec de courts dialogues et des phrases qui sonnent le lecteur, « Le pain nu » est une claque. Un court texte épuré paru en 1972. L’écriture lui permet de coucher sur le papier ses ressentis, ses souvenirs. L’auteur apprend très tard à lire et à écrire puis devient ensuite maitre d’école. Il a ce désir de s’adresser aux plus jeunes pour leur offrir ce que lui n’a pas eu dans son enfance. Une enfance terrible et écourtée que l’on découvre dans cette autobiographie. « Le pain nu » donne le sentiment qu’il ne l’a pas vécue justement cette enfance. À l’arrivée cela donne un livre réaliste au plus près des premières sensations de l’auteur.

Le Pain nu, ed. Points, 6,20 euros, 168 pages.

La chair est triste hélas / Ovidie

Un témoignage qui sonne et qui fait réfléchir.

À travers une réflexion sur sa sexualité et sur son parcours de vie, Ovidie livre un témoignage sans détour. Avec beaucoup de sincérité elle déconstruit les comportements sexistes et violents des hommes qu’elle a pu croiser dans sa vie. L’autrice entame une grève du sexe pendant quatre ans et décide d’écrire sur son vécu par rapport aux changements que cela va occasionner dans sa vie, autour d’elle mais aussi les réflexions que cela amorcent. Ce livre découle de ce passage à l’écrit et on sent la colère qui affleure. C’est une lecture importante qui bouscule le lecteur et que je vous recommande. Vraiment un bouquin à partager autour de soi.

La chair est triste hélas, ed. Julliard, 18 euros, 160 pages.

L’inconduite / Emma Becker

Chronique d’une vie amoureuse et sexuelle sous la plume d’Emma Becker.

Emma Becker questionne l’arrivée d’un enfant dans un couple dans ce nouveau livre, l’impact que cela peut avoir sur le désir dans un couple hétéro. Elle aborde son quotidien et ses relations avec les hommes (relations amoureuses, famille, amis) tout en réfléchissant à son statut d’écrivaine dans tout ça, au sens que peut prendre l’écriture lorsqu’elle ressent le besoin de relater ce qu’elle vit. « L’inconduite » est un livre qui aborde le désir et les questions autour de ce désir sans tabou, avec la justesse propre à Emma Becker. On retrouve le ton singulier de « La Maison », son second livre qui relatait son expérience dans une maison close berlinoise. On distingue les injonctions qui pèsent sur les femmes, notamment avec le corps des femmes. L’écriture percute et Emma Becker pleine d’auto dérision met les hommes face à leurs comportements, et reste toujours fine dans ses analyses. C’est cru et sans filtre tout en étant d’une lucidité désarmante. Un bouquin qui peut être clivant mais c’est aussi en cela qu’il peut être intéressant.

L’inconduite, ed. Albin Michel, 21,90 euros, 368 pages.

La Treizième Heure / Emmanuelle Bayamack-Tam

Farah grandit au milieu de l’église de La Treizième Heure, une église pas tout à fait comme les autres.

Emmanuelle Bayamack-Tam dresse le portrait d’une singulière communauté, l’église de la Treizième Heure. Une communauté qui recueille des marginaux et leur offre une écoute et bien plus encore sans ressembler à ce que l’on se représente dans l’église traditionnelle actuelle. L’Église de la Treizième Heure s’en démarque et c’est ce qui fait une partie de la saveur de ce roman original. L’autrice s’attarde sur le point de vue de la jeune Farah, qui se forge des idées bien précises sur la question de l’Église et sur ce que met en place son père dans cette communauté. Malgré des divergences avec l’Église traditionnelle, Farah n’est pas dupe sur certains points qu’elle trouve dogmatiques dans ce micro cosme moderne. En parallèle à sa curiosité insatiable, elle mène son enquête sur l’identité de sa mère et les circonstances de sa naissance. Son père Lenny, est aussi le narrateur dans une autre partie du livre. Il met en perspective l’histoire de sa fille en racontant son point de vue, comment il a vécu sa naissance et tout ce qui s’ensuivit. Emmanuelle Bayamack-Tam aborde différents questionnements, de la notion de genre à la parentalité en passant par ce que peut représenter une famille aujourd’hui. Qu’est-ce que « faire famille » ? Rarement les romans abordent la question avec autant de nuances. La Treizième Heure est donc une fiction d’une grande richesse servie par le ton d’Emmanuelle Bayamack-Tam. Les dialogues percutent, la question des corps n’est jamais loin. Un nouveau livre dense et prenant, qui a obtenu récemment le Landerneau.

La Treizième Heure, ed. P.o.l, 23 euros, 512 pages.

Romance in Marseille / Claude Mckay

Le périple d’un docker entre Marseille et les États-Unis.

Un roman important et méconnu de l’auteur afro américain Claude Mckay, voilà ce que cache cette très belle couverture. Initialement paru chez Heliotropismes, on y croise des thèmes forts qui vont des conséquences du colonialisme aux regards sur les minorités, sur la pauvreté ou encore sur le handicap. « Romance in Marseille », écrit entre 1933 et 1934, suit un jeune homme dans la cité phocéenne. Lafala perd l’usage de ses jambes suite à une traversée de l’Atlantique qui dégénère, il revient ensuite à Marseille avec une somme importante donnée par la compagnie maritime. Une compensation financière obtenu à l’aide d’un avocat (véreux) aux USA. Il retrouve sur les quais et à Marseille des figures qu’il a connues et c’est l’occasion pour lui de découvrir leurs réactions face à sa nouvelle richesse et face à son handicap. Un court roman avec des personnages aux personnalités fortes, qui se déroule dans les années 1920 et qui aborde des questions d’une singulière modernité pour l’époque.

Roman in Marseille, ed. J’ai Lu, 256 pages, 8 euros.

Dans les yeux du ciel / Rachid Benzine

Une femme traverse avec sa fille le printemps arabe et tout ce que la période va charrier.

Derrière le printemps arabe de 2011 et les contestations populaires qui ont grandi dans plusieurs pays du monde arabe, Rachid Benzine se penche dans ce contexte sur la vie d’une femme prostituée et sur celle de sa fille collégienne. Nour élève seule sa fille Selma, en Tunisie sous le régime de Ben Ali. Elle ploie au quotidien devant les nombreuses injonctions qu’elle rencontre lorsque l’on est une femme. Se cacher à cause de son métier, se faire discrète dans l’espace public, car les hommes lui rappellent régulièrement que sa condition ne vaut rien. Elle décrit dans ce court récit sa vie pendant les révolutions, les risques qu’elle prend et ce qu’elle perçoit de la société en mutation. Les changements de régime politique vont-ils se faire pour le meilleur ? Les révolutions vont-elles s’essouffler ? Comme toujours des hommes bien placés sauront en profiter et l’auteur derrière une écriture sensible et poignante, dresse un portrait contrasté de ces soulèvements. Ce livre est aussi le portrait d’un poète homosexuel, Slimane, proche de Nour et qui se meut en leader pendant les contestations. Slimane monte un blog, disserte de longues heures avec Nour sur la situation, échange des vers qu’il écrit avec son amie sur ce qui fait vaciller les fondations d’une société tunisienne ancrée dans un régime autoritaire. Tout bouge autour d’eux que ce soit les croyances ou les idéaux. Rachid Benzine construit des personnages plein d’humanité qui luttent avec leurs armes, à leurs échelles. Il insuffle un singulier souffle de vie chez chacun d’entre eux.

L’auteur porte sa focale sur les minorités opprimées et écrit avec « dans les yeux du ciel » un roman sur les espoirs du printemps arabe, mais aussi sur ses désillusions. Comme lorsque la chute du régime se solde par la montée d’un autre, qui revêt de nouvelles formes de violences. Il y a tout ça dans ce petit roman. Un condensé d’émotion.

 » […] Tu ne vois plus ce qui se passe. Nous avons chassé un tyran. Ceux-là iront encore plus loin. »

Dans les yeux du ciel, ed. Points, 6,30 euros, 160 pages.

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