Un voisin trop discret / Iain Levison

Iain Levison dans ses oeuvres.

Quel plaisir de retrouver le ton de l’inimitable Levison ! Un sens de la formule, une intrigue à rebondissements et de petits pics très bien vus sur une société américaine qui ne tourne pas rond, tout y est. Évidemment les observations fines de l’auteur distillées à droite à gauche sont valables ailleurs qu’aux USA et c’est aussi ce qui fait la force des livres de Iain Levison. Il touche du monde.

On suit plusieurs personnages qui vont finir par se croiser d’une manière ou d’une autre, du militaire à la mère de famille en passant par un homme plus énigmatique, chauffeur Uber, et qui gravite aussi dans le coin. Une réussite du début à la fin. Ça donne envie de relire les précédents livres de l’auteur, ce sont vraiment des bouquins qui font du bien et qui sont des modèles de construction narrative.

Un voisin trop discret, ed. Liana Levi, 19 euros, 224 pages.

À la folie / Joy Sorman

Une observation fine d’un service de psychiatrie.

« À l’hôpital psychiatrique, une grande part du temps infirmier est pourtant un temps informel – on s’assoit et on parle –, la bienveillance ne se chiffre pas, le plus efficace peut être imperceptible, non quantifiable. Tous le disent, on manque de soignants et les soignants manquent de temps, car ils le perdent à des tâches administratives toujours plus nombreuses, des tâches comptables qui rassurent sans doute les gestionnaires déconcertés par les pratiques incertaines de la psychiatrie, rétives à toute culture du résultat. »

Une citation parmi tant d’autres relevées, qui résume à merveille la démarche de ce livre singulier de Joy Sorman, dans lequel elle observe pendant une période un service de psychiatrie.

L’autrice ne tombe pas dans le piège du misérabilisme ni du sensationnalisme au gré des rencontres et des observations et elle restitue très bien l’atmosphère d’un service en psy. Elle prend le temps de décrire des patient.e.s et des soignant.e.s, le tout avec beaucoup de justesse et de pudeur. Le lecteur découvre de sacrés parcours de vie et des réflexions qui font vaciller la frontière entre le normal et le pathologique. Des réflexions qui font réfléchir sur la stigmatisation que subissent ces malades et plus largement l’institution psychiatrique. Quelques éléments théoriques et historiques complètent très bien les récits et les descriptions.

Un livre poignant sur la psychiatrie, sur son état actuel (dégradé et délaissé par les pouvoirs publics) et plus largement sur tous les questionnements que cette branche de la médecine soulève.

À la folie, ed. Flammarion, 19 euros, 288 pages.

Hakim / Diniz Galhos

La fuite en avant d’Hakim, un dessinateur de bd paranoïaque et ultra lucide.

Hakim va passer une semaine seul pour bosser sur sa bd. Il accompagne sa famille qui rentre au bled, à l’aéroport de Roissy. Sur le retour en RER, seul avec ses pensées et déjà en train de maronner, il tombe sur un bagage abandonné dans le wagon. Il hésite alors à prévenir tout le monde au risque d’être immédiatement suspecté avec sa couleur de peau, son jogging et sa barbe. C’est le début d’une fuite en avant pleine de paranoïa.

Hakim est le produit d’une France qui stigmatise mais Hakim est aussi une machine à digressions. C’est cette forme que va choisir l’auteur pour restituer ses pensées à partir de l’événement déclencheur. Une suite de digressions écrites à la première personne. Les pensées d’Hakim alternent entre ce qu’il se passe pour lui depuis son départ de Roissy et ce que ça va lui renvoyer sur son passé. La langue choisit donne envie de lire certains passages à haute voix. C’est rythmé avec des coupures, des détours, des raccourcis et des bons mots. Un peu déstabilisant au début, on se laisse vite porter par cette prose qui frappe dure et qui sert à merveille l’urgence dans laquelle se trouve le personnage principal. Ses réactions retranscrivent son anxiété et en même temps la conséquence d’un racisme crasse bien français. Les à priori d’Hakim n’en sont pas tant que ça à bien y regarder. Et on sent au fil du récit une forme de lucidité dans les pensées du personnage et dans son regard sur le monde.

Un roman noir tout en nuances, avec un regard sombre sur une société qui ne tourne pas rond et qui traîne de sacrés boulets. Hakim se retrouve au milieu de tout cela et illustre très bien ce poids qui le dépasse. Il est aussi d’une lucidité désarmante. Une excellente découverte des éditions Asphalte que je vous conseille.

Hakim, ed. Asphalte, 18 euros, 208 pages.

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