Petit frère / Isabelle Coutant et Yvon Atonga

Comprendre les destinées familiales.

« Petit frère » d’Isabelle Coutant et d’Yvon Atonga est un livre enquête qui s’arrête sur les trajectoires de vie de deux frères. Yvon qui a grandi dans un quartier de Villiers-le-Bel dans les années 80/90 et son frère Wilfried. Le premier s’en sort et réussit ses projets alors que le second est tué lors d’un règlement de comptes en 2016. La sociologue Isabelle Coutant, qui a rencontré une première fois Wilfried lors d’un podcast quinze ans plus tôt, a souhaité reprendre leurs trajectoires pour comprendre comment l’un a pu s’en sortir alors que l’autre n’a pas pu s’écarter d’une spirale de violence. Ce livre retrace ces deux itinéraires à travers différentes interviews d’Yvon et de l’entourage des deux frères. On distingue un impact direct des politiques publiques dans la vie des quartiers, aussi bien de manière positive que négative. Pour exemple, la suppression de la police de proximité, entérinée sous Nicolas Sarkozy a eu un impact direct sur les tensions dans les quartiers. Le travail de la sociologue est important et en même temps elle laisse les acteurs parler et décrire ces parcours de vie. « Petit frère » est un livre pour comprendre, mais aussi un livre qui rend hommage.

Petit frère, ed. Seuil, 19,50 euros, 240 pages.

Mungo / Douglas Stuart

Un roman marquant sur une relation impossible entre deux adolescents à Glasgow, dans les années 90.

J’ai redécouvert ce livre de Douglas Stuart suite à un retour de lecture sur Instagram et une fois démarré j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher. Mungo est un jeune homme qui grandit dans la banlieue de Glasgow avec sa mère alcoolique et rarement là, et sa soeur et son frère. Son grand frère étant une fois sur deux violents avec lui, une brute qui érige des valeurs machistes avant tout le reste. Le personnage vit une adolescence compliquée du haut de ses seize ans, une adolescence marquée par la précarité et par les conflits qui gangrènent la ville. Mungo va tenter de grandir avec en fond ces rivalités entre les protestants et les catholiques. Les altercations entre bandes sont nombreuses et il n’est pas rare que des jeunes perdent la vie dans cette rivalité religieuse. Le jeune homme fait une rencontre qui va chambouler son quotidien et qui va faire naitre de nouveaux sentiments pour lui. « Mungo » est un roman qui touche comme rarement et qui à travers une langue âpre restitue la condition d’un jeune homme en décalage par rapport aux autres jeunes de son âge. Un personnage qui découvre son homosexualité et qui se rend compte rapidement qu’il risque gros à la dévoiler, que ce soit dans son entourage proche ou plus largement dans la banlieue dans laquelle il habite. Mungo finira par être envoyé par sa mère dans un voyage avec deux repentis, deux hommes censés lui apprendre les valeurs qui forgent un soi-disant vrai homme, viril. C’est rare les livres qui m’embarquent comme ça et qui marquent. Plus d’une scène et plus d’un dialogue font cet effet-là dans ce roman terrible de Douglas Stuart. Une histoire qui alterne entre les moments très difficiles et des passages plus lumineux. Difficile d’en dire plus tant on ressort sonnée de cette lecture et en même temps, en ayant le sentiment d’avoir lu un sacré bouquin. À lire, vraiment.

Mungo, ed. Globe, 24 euros, 480 pages.

Blanches / Claire Vesin

Le quotidien d’un service d’urgences en banlieue parisienne.

Villedeuil, une ville fictive de région parisienne. Son hôpital public en bout de course, son service des urgences saturé les trois quarts du temps. Claire Vesin a choisi de faire évoluer sa galerie de personnages dans cet environnement. Il y a Jean-Claude, le chirurgien solitaire qui adore sa ville et qui souhaite rester travailler dans cet hôpital coute que coute malgré sa réputation et malgré les difficultés au quotidien. Il y a Laetitia, infirmière travaillant aux urgences à l’accueil et qui est née ici. Un poste difficile à l’entrée des urgences, dans lequel les soignants doivent orienter au plus vite les cas qui arrivent selon la gravité. Laetitia rencontre des difficultés avec ses nouvelles fonctions. Mais il y a aussi Aimée, une jeune interne qui a choisi les urgences de l’hôpital de Villedeuil pour son premier stage, contre toute attente. Et enfin Fabrice, un ancien médecin de l’hôpital qui travaille au SMUR, et qui va bientôt être père. Claire Vesin s’attarde sur ces vies qui gravitent autour de l’hôpital. Des trajectoires qui subissent les conditions de travail qui se dégradent en milieu hospitalier. Des infrastructures qui deviennent insalubres au peu de temps à allouer au patient, en passant par le manque cruel de moyen humain, matériel. Claire Vesin sait de quoi elle parle et avec beaucoup d’humanité elle relate cette lutte au quotidien pour continuer à soigner dans ces conditions. L’évènement grave, le dérapage n’est jamais loin. Cela retombe sur les patients de la ville, mais en réalité c’est aussi tout un tissu social qui est impacté. L’hôpital offre un soin de proximité, un soin accessible. Et comme dans de nombreux exemples, la structure est plus que jamais en danger. Claire Vesin écrit un roman important, prenant de bout en bout et qui sonne juste.

extrait : « Ce n’était pas grand-chose de plus que ça, les urgences, finalement : la somme du banal et de l’horreur, la vie qui glissait entre les doigts malgré les efforts ; la mort, omniprésente, sonnant la fin des réjouissances. »

Blanches, ed. La manufacture de livres, 18,90 euros, 304 pages.

La jeune fille et le feu / Claire Raphaël

Le dernier roman noir de Claire Raphaël écrit à partir d’une expérience de terrain.

On quitte Alice Yekavian l’experte en balistique avec ce quatrième roman de Claire Raphaël. Toujours au Rouergue Noir, « La jeune fille et le feu » dresse le portrait de deux nouveaux personnages, deux policiers de terrain qui travaillent dans un commissariat de banlieue. Jasmine et son chef de brigade Tom. Deux personnages lucides sur l’état de la société, que ce soit le rapport au stigmate sous toutes ses formes en banlieue ou les difficultés internes dans l’institution policière. Les deux compères héritent d’une enquête qui en théorie doit terminer chez la brigade criminelle, mais termine chez eux. Astrid est lycéenne et vit seule chez sa mère, Émilie. Un accident survient lorsque sa mère est retrouvée morte dans son appartement après un incendie. Le duo est mis sur l’affaire et le doute s’installe, est-ce vraiment un accident ? Émilie était hantée par des addictions avant de mourir et ses deux plus jeunes enfants ont été placés. Jasmine et Tom commencent en toute logique par se tourner vers la fille d’Émilie, et l’enquête peut démarrer lorsqu’un premier indice confirme le caractère douteux de l’accident. On retrouve toute la densité et la complexité des personnages de Claire Raphaël, notamment féminins. La construction du récit est simple et ciselée. Les pages défilent à travers l’intrigue réaliste. J’avais hâte de retrouver la plume de cette autrice et l’atmosphère de ses romans. Vraiment tout ce que j’aime dans le roman noir depuis le premier. Claire Raphaël choisit souvent des thèmes peu abordés dans le polar. Elle les traite avec justesse et sans être surplombante. Ajoutez à cela un soupçon de poésie et vous avez un excellent roman noir.

La jeune fille et le feu, ed. Rouergue, coll. Rouergue Noir, 21,50 euros, 240 pages.

À la base, c’était lui le gentil / Ramsès Kefi

Un travail journalistique de fond important, à faire lire.

Ramsès Kefi est journaliste et écrit un reportage littéraire poignant avec ce petit bouquin. « À la base, c’était lui le gentil » est un livre prolongé par un entretien pour approfondir avec un chercheur la question de l’urbanisme et de la mobilité, notamment en banlieue. L’auteur a choisi de se pencher sur la question des rixes dans les quartiers en partant de la mort d’un jeune, Aboubakar. Un jeune originaire de Bagnolet tué en 2018 aux Lilas lors d’une rixe. Il est question au fil du texte de l’origine de ces rixes, du lien avec les collèges ou les lycées, de la géographie des quartiers et du cercle vicieux dans lequel de nombreux jeunes se retrouvent. On y croise des éducateurs ou des enseignants et enseignantes lucides. Le format court permet une synthèse du sujet. N’hésitez pas à découvrir cette collection de la revue XXI.

A la base, c’était lui le gentil, ed. XXI, coll. XXI reportage, 9 euros, 96 pages.

Plexiglas / Antoine Philias

Deux personnages vivent en périphérie de Cholet et tentent de s’en sortir avec de petits boulots.

On découvre un duo qui va vite devenir attachant pour le lecteur dans ce livre d’Antoine Philias. D’un côté Elliot qui du haut de ses trente ans décide de revenir dans la ville de son enfance pour y chercher du travail. Il loge dans la maison vide de son grand-père non loin de la ville sur un bord de route. Une banlieue qui vit au rythme des voitures et des centres commerciaux. De l’autre côté on a Lulu qui a soixante ans et bosse en tant que caissière chez Carrefour. Les deux vont finir par se rencontrer et lier une très belle amitié. L’auteur décrit avec beaucoup de justesse les mondes du travail dont il est question, que ce soit la grande distribution ou tous les emplois qui gravitent autour. Les personnages ont un humour noir, un ton désabusé, mais aussi une lucidité rare. On se laisse porter par la plume de l’auteur et par les alternances entre les scènes de la vie quotidienne à pôle emploi, dans la galerie marchande, dans une EHPAD ou dans la galerie marchande. J’ai particulièrement été touché par les scènes dans la maison de retraite et le regard acéré et réaliste de l’auteur sur l’accueil des résidents et les conditions de travail des personnels. Un bouquin qui marque plein d’humanité.

Plexiglas, ed. Asphalte, 21 euros, 240 pages.

Shit ! / Jacky Schwartzmann

Le CPE d’un bahut non loin de Besançon fait une rencontre inattendue.

Thibault est CPE dans un bahut de la Planoise, un quartier en banlieue de Besançon. On découvre un CPE au taquet dans son taf qui connait les combines de son établissement scolaire et qui mène bien sa barque. Et comme on est dans un Jacky Schwartzmann on sait qu’à un moment ou à un autre Thibault le personnage principal va mettre les pieds dans une emmerde à son insu. Tout commence lorsqu’il entend des coups de feu dans son bâtiment au rez-de-chaussée et qu’il se rend sur place avec sa voisine pour voir ce qu’il s’y trame avant l’arrivée de la police. Et là tout part en live. Et la petite vie plutôt rangée du CPE va changer du tout au tout. Évidement ce serait dommage d’en dire plus à ce stade, mais rassurez vous on retrouve le ton de l’auteur qui fonctionne très bien. Avec de l’humour noir, des dialogues qui donnent le sourire et quelques scènes d’anthologie. On est bien dans un polar de Jacky Schwartzmann et honnêtement on dévore cette dernière fournée en date.

Shit !, ed. Seuil, 19,50 euros, 320 pages.

La guerre des bouffons / Idir Hocini

Une enfance dans Bondy racontée avec un ton et un regard unique.

Idir est un jeune habitant de Bondy qui raconte sa jeunesse avec ses potes et la vie de sa famille. Avec une gouaille d’enfer, on suit les aventure du jeune Idir dans ce roman autobiographique au rythme soutenu. On découvre avec lui les affres d’une scolarité qui est loin d’être un long fleuve tranquille, il est d’ailleurs confronté tôt au racisme. Les tournures et les observations du quartier, tout comme les habitudes de chacun font sourire. Chaque personnage qui entoure Idir a une personnalité bien à lui qui détonne. « La guerre des bouffons » est un bouquin bourré de petites réflexions intéressantes et de références qui le sont tout autant, des années 80 aux années 90. On sent que l’auteur y a mis ses tripes et le tout offre un très bon moment de lecture.

La guerre des bouffons, ed. Clique, 20 euros, 400 pages.

Fief / David Lopez

Une troupe de potes et des vies qui s’écoulent. Un roman marquant.

« Fief » au risque de répéter ce qui a été dit et redit lors de sa sortie est avant tout un roman avec une langue travaillée, qui marque. La langue d’un auteur qui a trouvé sa plume et qui décrit avec beaucoup de justesse les vies de jeunes marginaux vivant en banlieue. Ni dans une très grande ville, ni dans une campagne perdue. On rencontre Jonas et ses potes, on découvre leurs quotidiens et on les suit du club de boxe aux soirées plus ou moins galères en passant par les souvenirs de leurs enfances. Comme dans le roman récent de Diaty Diallo, David Lopez s’attarde sur ses jeunes sans jugement ni pathos. Il y a un réalisme et une vraie atmosphère qui se dégage de ce roman, l’intrigue n’est pas l’enjeu. On visualise tout de suite les scènes et en même temps on sent que l’auteur n’est pas dénué d’empathie pour ses personnages, notamment Jonas le roi de l’esquive, le personnage principal. « Fief » est une belle découverte.

extrait : « Alors que nous ce sont des bleus, des poumons encrassés et quelques neurones qu’on sème sur un chemin qui ne fait rien d’autre que tracer une boucle. »

Fief, ed. Points, 7,60 euros, 240 pages.

Nueve Cuatro / Nicolas Laquerrière

Un roman noir avec des situations déjantées et de l’humour savamment dosé.

A la manière d’un Jacky Schwartzmann dans « Demain c’est loin », Nicolas Laquerrière propose à son lecteur avec Nueve Cuatro un polar déjanté à souhait et plein de vie. Bienvenue dans le 94, celui de Soul, un recouvreur de dettes qui tente de s’en sortir et d’oublier ses envies de devenir flic. Ce 94 c’est aussi celui d’Henri, un ancien à la répartie d’enfer qui n’a pas peur de grand chose à part que son orteil fantôme de diabétique lui fasse souffrir plus que de mesure. Nueve Cuatro c’est aussi le 94 d’un caïd sur le déclin qui perd la boule ou encore celui de Kamel, un jeune débrouillard redouté qui joue double jeu dans le quartier.

Dans ce roman noir plein de bons mots, on n’a pas le temps de s’ennuyer et il suffit de la disparition inquiétante de la voisine d’Henri en début de roman pour lancer la machine. Nueve Cuatro allie humour, action et références bien senties avec réussite, ce qui est loin d’être évident. Un grand merci à Babelio pour la découverte de ce premier roman dans le cadre d’une masse critique. Un polar qui offre un très bon moment de lecture et qui fait sourire plus d’une fois.

Nueve Cuatro, ed. Harper Collins, 19 euros, 448 pages.

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