Le Pain nu / Mohamed Choukri

Une enfance écourtée dans le Rif marocain des années 1940.

Dans un récit autobiographique cru et sans détour, Mohamed Choukri écrit sur son enfance et sur les évènements qu’il a traversés dans sa vie et dans sa famille. De la grande pauvreté à la débrouille en passant par la vulnérabilité des enfants et la violence de son père, il décrit son enfance difficile dans le Rif Marocain des années 1940. Avec de courts dialogues et des phrases qui sonnent le lecteur, « Le pain nu » est une claque. Un court texte épuré paru en 1972. L’écriture lui permet de coucher sur le papier ses ressentis, ses souvenirs. L’auteur apprend très tard à lire et à écrire puis devient ensuite maitre d’école. Il a ce désir de s’adresser aux plus jeunes pour leur offrir ce que lui n’a pas eu dans son enfance. Une enfance terrible et écourtée que l’on découvre dans cette autobiographie. « Le pain nu » donne le sentiment qu’il ne l’a pas vécue justement cette enfance. À l’arrivée cela donne un livre réaliste au plus près des premières sensations de l’auteur.

Le Pain nu, ed. Points, 6,20 euros, 168 pages.

La Maison du commandant / Valerio Varesi

Une nouvelle enquête le long du fleuve Pô de l’incontournable inspecteur Soneri.

Au début du roman le commissaire est envoyé par son chef sur les bords du Pô, le fleuve Italien. Il doit surveiller les pêcheurs et autres braconniers du coin dans cette région, appelée la Bassa. Une découverte macabre l’attend, un pêcheur hongrois est retrouvé mort. C’est le début d’une nouvelle enquête dans laquelle les idées arrêtées de chacun à commencer par celles de Soneri lui-même vont être mises à mal. Le commissaire fait face à tout une communauté qui stigmatise les étrangers et cache ses petits secrets. On retrouve une atmosphère, un rythme singulier dans la narration et une mélancolie comme souvent dans les polars de Varesi. Sur les bords du fleuve et dans une brume inquiétante, le lecteur va tenter de comprendre les magouilles et autres conflits qui régissent la pêche et la vie de ce coin retranché. C’est toujours un plaisir de retrouver le dottore Soneri, son goût pour la bonne nourriture et son regard sur le monde. Un personnage attachant qui donne tout de suite envie de se replonger dans un autre roman de l’auteur.

Un extrait, les mots d’un ami du commissaire : « Si les délinquants gouvernent, alors moi aussi, je fais ce que je veux. C’est très pratique : chacun devient arbitre et établit ses propres règles. Qui peut l’empêcher ? Toi, le flic ? Qui tu représentes ? Tu t’es déjà posé la question ? chargea Nocio le regard brûlant. De qui tu es le gendarme ? Tu le sais ou tu le sais pas que tu es payé par ceux qui font les guerres et qui affament les peuples ? »

La Maison du commandant, ed. Agullo, 21,50 euros, 306 pages.

Chien de faïence / Andréa Camilleri

Salvo rencontre un bandit qui souhaite être arrêté. De nouvelles galères en perspective.

Toujours un plaisir de déguster une nouvelle enquête du commissaire Montalbano. Une enquête dans laquelle un savant mélange d’humour caustique, de bonnes recettes et d’énigmes fait le plaisir de lecteur. Dans celle-ci, tout commence lorsqu’un bandit réputé prend contact avec Montalbano pour organiser son arrestation. Il souhaite se rende aux forces de police pour d’obscures raisons. On se laisse porter ensuite par le talent de Camilleri, en allant de rebondissement en rebondissement dans une enquête qui ne s’essouffle pas. On y apprend des choses, on sourit au détour des dialogues et on sent que l’environnement du commissaire participe pleinement à camper l’atmosphère (la ville fictive de Vigata, inspirée d’une ville Sicilienne). Camilleri est romancier doué pour mélanger le rire et le politique. On n’a qu’une hâte, c’est de lire une autre enquête de Salvo une fois le livre refermé.

Chien de faïence, ed. Pocket, 5,95 euros, 288 pages.

Le sniper, son wok et son fusil / Chang Kuo-Li

Un polar savoureux entre Taipei et Rome. un réel plaisir de lecture.

Un sniper, ancien de l’armée Taïwanaise, se retrouve sur une mission à Rome où il doit éliminer une cible. Ai Li surnommé Alex est doué et une fois son travail accompli, il se rend compte qu’il est tombé dans un traquenard et qu’il est poursuivi par un autre sniper qui cherche à l’éliminer à son tour. Une fuite à travers l’Europe s’engage entre deux tueurs à gage.

En parallèle à cela, le superintendant Wu, fin limier de la police de Taipei plus très loin de la retraite, est sollicité pour deux affaires qui semblent liées à la victime d’Alex à Rome. Dans ces deux affaires, deux officiers de la Marine sont retrouvés morts. Le superintendant Wu d’un côté et Alex de l’autre ne sont pas au bout de leurs surprises.

Une très belle découverte ce roman noir, qui distille avec justesse des doses d’action, d’humour et d’histoire tout en construisant une intrigue complexe. La recette est connue mais fonctionne, on découvre avec plaisir le superintendant Wu à Taïwan et son fils plutôt geek. Alex de son côté n’est pas qu’un tireur hors pair, c’est aussi un redoutable cuistot vous le découvrirez. Le sniper, son wok et son fusil est un polar qui fait penser à la série de Camilleri avec le commissaire Montalbano où la cuisine a une place à part entière. L’auteur nous fait saliver tout en emmenant le lecteur sur des thématiques d’actualité, notamment la question du commerce des armes. Cette série débute sous les meilleurs hospices. Un polar savoureux à plus d’un titre.

Traduction (de qualité) d’Alexis Brossollet.

Le sniper, son wok et son fusil, ed. Gallimard, coll. Série noire, 19 euros, 368 pages.

Lettre à mes tueurs / René Frégni

Un roman sombre et teinté de poésie, du pur Frégni.

Lire René Frégni c’est retrouvé une plume familière et pleine de poésie, qui dépeint les atmosphères et les personnages comme personne. Notamment dans sa région Marseillaise qu’il connait très bien et qu’il ne se lasse pas de décrire dans ses romans. Comme dans « Lettre à mes tueurs », les thèmes chers à Frégni reviennent tout au long de son oeuvre et ce très beau polar ne fait pas exception. ll est question de prison, d’enfermement, mais aussi d’écriture et de création ou encore des liens familiaux et de ce qui compte dans une vie. L’auteur n’en fait pas des caisses et aborde ces questions avec beaucoup de justesse.

L’intrigue porte sur un romancier en panne d’inspiration qui se retrouve à accueillir chez lui en catastrophe un ami d’enfance. Sauf que cet ami d’enfance est un truand et pas l’un des moins connus du coin, loin de là. La suite est inattendue pour ce personnage qui se retrouve extrait par la force des choses de son quotidien. Les chapitres sont courts et les scènes campées en quelques lignes. René Frégni va à l’essentiel, mais n’oublie pas de poser une ambiance et c’est très agréable à lire. Il fait partie des auteurs et autrices qui prennent le temps de s’arrêter sur un plat de nourriture pour faire saliver (on pense à Izzo, Camilleri) ou sur la vue d’un paysage qui fait naitre des sensations chez les personnages (et chez les lecteurs). Toujours un régal ses polars et ses romans.

Lettre à mes tueurs, ed. Folio, coll. Folio Policier, 8,10 euros, 256 pages.

Le sang de la cité Tome 1 / Guillaume Chamanadjian

Capitale du Sud

Ce premier tome des aventures de Nox, jeune commis d’épicerie, nous emmène dans une ville portuaire où des familles dirigent des quartiers et où les effluves des étals se mélangent aux intrigues. Obtenir des territoires, des denrées ou encore du prestige, toutes les raisons sont bonnes pour manipuler et arriver à ses fins dans cette ville vivante et pleine de surprises. Guillaume Chamanadjian prend le temps de construire une singulière cité et des personnages attachants dans ce premier tome et on a hâte de découvrir la suite dans cet univers prometteur.

Le sang de la cité Tome 1, Ed. Aux forges de vulcain, 20 euros, 416 pages.

Le tour de la bouée / Andréa Camilleri

Rien ne vaut un bon vieux Camilleri. Cette fois-ci l’intrigue permet à l’auteur d’aborder l’immigration clandestine des mineurs. C’est toujours aussi juste dans le regard qu’il porte sur la société Italienne et encore une fois ce n’est pas reluisant, loin de là. On peut d’ailleurs aisément retrouver des comportements similaires au delà des frontières italiennes. Les politiques en prennent pour leur grade (à raison) mais on découvre aussi des personnages abjectes qui sont de véritables rouages dans les trafics des mineurs. On sent qu’Andréa Camilleri qui connaît ses sujets n’est jamais loin de la réalité.

La bonne bouffe, l’humour (plutôt noir) du commissaire Montalbano et les situations burlesques sont évidemment de la partie. Un très bon roman noir.

Le tour de la bouée, Ed. Fleuve noir, 18,50 euros, 240 pages.

Tirez sur le caviste / Chantal Pelletier

Un polar cynique qui titille les papilles.

Sur les recommandations des docteurs Polar de l’excellent site « Fondu au noir », j’ai découvert Chantal Pelletier avec ce court roman noir. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce petit roman ne manque pas de titiller les papilles. L’autrice se régale dans les descriptions de plats plus tentants les uns que les autres en parallèle à l’intrigue. Du côté de l’intrigue justement, tout commence lorsque Viviane rate son cèleri rémoulade et que son vigneron de mari s’emporte et la tue, rien que ça. L’histoire est lancée et le rythme ne va plus faiblir. Le tout enrobé de cynisme. Une belle découverte ce polar. Si jamais vous avez un autre titre à conseiller, je suis preneur.

Tirez sur le caviste, ed. Pocket, 2,90 euros, 78 pages.

Jusqu’à la bête / Timothée Demeillers

Une vie dans un abattoir.

Jusqu’à la bête est un roman qui remue, le lecteur est pris à la gorge dès le début par un quotidien crasseux et rude, celui d’un ouvrier dans un abattoir de l’ouest de la France, non loin d’Angers. Erwan raconte son quotidien ou plutôt une lente descente aux enfers. Un travail à la chaîne au milieu du sang et des carcasses, dans la partie réfrigérée du circuit que suivent les bêtes avant d’être tuées. Tous les sens des travailleurs sont saturés, que ce soit l’odorat avec le sang ou l’ouïe avec les bruits de la chaîne ou des pistolets pour tuer les bêtes. L’auteur restitue cette saturation à travers l’histoire d’Erwan, une histoire racontée comme un flot quasi ininterrompu. La forme sans chapitres peut rendre l’entrée dans le roman pas évidente au début, mais au bout de quelques pages, je me suis complètement laissé porter.

Timothée Demeillers écrit là un livre important sur la condition ouvrière avec un sujet peu traité. Rien n’est épargné au lecteur, les conditions dans lesquelles les ouvriers travaillent dans les abattoirs, les effets du travail à la chaîne sur ces ouvriers, les effets sur leurs entourages, les rôles de la hiérarchie ou encore la maltraitance animale. J’ai rarement lu un roman où les sensations étaient aussi bien restituées. Ce roman noir et sombre est une claque. Une claque nécessaire. Lisez-le.

Jusqu’à la bête, ed. Asphalte, 16 euros, 160 pages.

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