Retour à Killybegs / Sorj Chalandon

Le roman d’une trajectoire de vie, celui d’un traitre au service de l’IRA.

Le journaliste Sorj Chalandon écrit avec « Retour à Killybegs » un roman sur une trahison, celle d’un militant irlandais de l’IRA, Tyrone Meehan. Le nom a été changé, mais les évènements sont inspirés de faits réels. Le livre s’arrête sur la découverte de l’IRA à 18 ans pour Tyrone Meehan et sur l’histoire de son enrôlement tôt. On suit le cheminement dans la tête du personnage, comment il en vient à la lutte armée et dans quel contexte. En parallèle, le récit alterne avec l’écriture des mémoires de ce même Tyrone Meehan lorsqu’il revient à Killybegs des décennies plus tard pour laisser ressurgir ses souvenirs. Il se sent d’ailleurs en danger lorsqu’il revient sur les terres de son passé, car il est maintenant un traitre au service du contrespionnage britannique aux yeux de tous. Sorj Chalandon avec l’acuité qu’on lui connait décrit l’intérieur du conflit nord-irlandais et le contexte avec beaucoup de précision. On est complètement emporté par l’écriture et le ton du livre. Petit à petit on découvre les zones d’ombre pour comprendre comment il devient un traitre. Et petit à petit on se rend compte que ses pairs se méfient de lui à raison. Sorj Chalandon questionne la place de la guerre et de la lute dans une vie avec beaucoup de justesse. Les romans de l’auteur sont marquants et celui-ci ne fait pas exception.

Retour à Killybegs, ed. Le livre de poche, 8,70 euros, 336 pages.

Les Salauds devront payer / Emmanuel Grand

Une histoire de vengeance très bien amenée dans une bourgade du nord de la France.

Direction une petite ville du Nord pas loin de Valenciennes où le chômage est roi. Une jeune fille est retrouvée assassinée dans un terrain vague et tout porte à croire que ce meurtre est lié à un règlement de compte. En effet, une boîte du coin diversifie ses activités en proposant des prêts aux particuliers pour remplacer les banques. Sauf que lorsque le particulier en question rencontre des difficultés à rembourser son prêt, les choses peuvent facilement dégénérer avec une équipe de gros bras dans le secteur. Les choses ne sont pas si simples autour de cet assassinat et l’auteur prend le temps d’inscrire son intrigue en lien avec un passé trouble, de la guerre d’Indochine à la fermeture d’une usine importante de la région dans les années 80, le lecteur n’est pas au bout de ses surprises. On est typiquement dans une veine de polar social, l’auteur prend le temps de décrire l’environnement et l’atmosphère, tout en portant sa focale sur les marges et ce qui laisse des traces à travers les générations. Notamment les conditions de travail des ouvriers et les luttes syndicales. À travers une galerie de personnages réussie et une enquête que l’on a beaucoup de plaisir à suivre, Emmanuel Grand écrit un roman noir aboutit qui ne s’essouffle pas un seul instant. J’avais beaucoup aimé Kinsanga et Terminus Beltz. Une nouvelle fois je vous conseille ce roman noir et cette virée dans le nord de la France.

Les Salauds devront payer, ed. Le livre de poche, 7,90 euro, 480 pages.

Le ventre des hommes / Samira El Ayachi

Un roman écrit dans une langue pleine d’images et qui alterne entre tendresse et âpreté,

Novembre 2016, la police débarque dans la classe d’Hannah pour l’emmener au poste. C’est à partir de là que l’on se rend dans le passé de la professeur des écoles pour comprendre ce qui l’a mené à cet évènement, en partant de son enfance en 1987.

Dans ce retour dans le passé, on découvre une famille du Nord dans laquelle le père est venu du sud du Maroc pour travailler dans les mines. Hannah sa fille raconte les corons du Nord, la condition d’enfant d’immigré, la vie précaire de sa famille qui s’installe. Mais aussi une relation très forte entre son père et elle. Son père Mohammed, qui prend la parole dans le roman avec une langue poignante et qui relate son arrivée en France et les luttes qu’il a menées. J’ai lu plusieurs avis plutôt mitigés sur le décalage entre les combats passés du père dans les mines et les combats plus actuels de sa fille qui tente de composer avec les luttes passées et celles importantes pour elle. J’ai au contraire trouvé que ces parallèles étaient traités avec beaucoup de justesse, notamment l’évènement en 2016 qui lui vaut sa garde à vue. Un évènement symptomatique de notre époque et très rarement questionné dans la fiction. La lecture a aussi une place importante dans le roman. Hannah se construit par les livres, par les rencontres avec les bibliothécaires ou encore par la relation amour/haine qu’elle développe pendant son enfance avec Germinal l’œuvre de Zola. Une occasion pour l’autrice de rappeler les pouvoirs de la fiction, mais aussi ses ambivalences.

Ce roman est plein d’émotion. On retrouve la langue riche de Samira El Ayachi comme dans « Les femmes sont occupées ». Le tout sonne et rien n’est laissé au hasard pour servir les parfums de révolte des personnages. Il y a un réel travail sur la langue, que ce soit celle du père ou celle d’Hannah. « Le ventre des hommes » est un très beau roman et on tourne la dernière page avec un pincement.

Extrait : « Avec toutes ces dingueries du monde adulte que je ne comprends plus, le seul lieu qui me tient à l’aise avec le mensonge, c’est la lecture. Ici on ment ; c’est le but même de l’expérience, qu’on nous mente tellement. On nous raconte des histoires, on sait que ça ment comme un arracheur de dents, elle me ment la lecture, on le sait à l’avance, on se roule dans le mensonge comme de la farine et des œufs et c’est bon. Elle ment en jurant et en me regardant droit dans les yeux. »

Le ventre des hommes, ed. de l’Aube, 360 pages, 22 euros.

La langue chienne / Hervé Prudon

Hervé Prudon dans ses œuvres avec un roman noir qui tâche.

Ce livre est inspiré d’un fait réel dans lequel une femme et son amant font vivre un enfer au mari, jusqu’à un tragique dénouement. Hervé Prudon fait le choix d’utiliser ce fait divers comme base et dans une langue crue et imagée, l’auteur retranscrit une atmosphère pesante et dérangeante dans un pavillon de Marquebuse, une petite cité maritime du Pas-de-Calais. C’est un roman bien sombre à l’humour grinçant que l’on découvre avec La langue chienne. Les personnages sont des laissés pour compte qui tentent de s’en sortir de toutes les manières et de percevoir des parcelles de lumière dans des vies bien moroses où les désillusions ne sont jamais loin. Et lorsque Franck débarque chez Gina et Martin, ce grand champion de char à voile qui est du coin ne va pas améliorer les choses. Ce roman noir est aussi la radiographie d’une région, le nord de la France. Sur la quatrième de couverture Manchette est cité parlant en bien de Prudon et à la lecture de ce singulier roman noir on comprend pourquoi. Si vous souhaitez lire un polar qui vous sort de votre zone de confort notamment dans le travail de la langue, foncez.,

La langue chienne, ed. Gallimard, coll. La petit vermillon, 8,70 euros, 320 pages.

L’homme de la plaine du Nord / Sonja Delzongle

Découverte de la profileuse Hanah Baxter.

Hanah Baxter la célèbre profileuse est de retour à New-York depuis peu, lorsqu’elle se fait rattraper par son passé. Un passé trouble qui va l’amener à traverser l’Atlantique pour faire ressurgir d’anciens souvenirs plus ou moins glauques. Notamment celui de son mentor qui lui a appris de nombreuses choses sur son métier à l’époque et qui a été assassiné depuis.

Sonja Delzongle écrit un roman noir haletant qui est de plus en plus prenant au fil des chapitres même si cela met un peu de temps à décoller au début. C’est efficace, bien ficelé et construit avec des personnages qui ont une certaine épaisseur. On finit par s’attacher d’une manière ou d’une autre à plusieurs d’entre eux. Je vais me pencher sur les livres précédents car je crois que l’on retrouve cette singulière profileuse dans d’autres romans de l’autrice.

L’homme de la plaine du Nord, Ed. Folio, coll. Folio policier, 8,60 euros, 448 pages.

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