Clouer l’Ouest / Séverine Chevalier

Un très beau roman, sombre et à la poésie unique. Foncez découvrir l’écriture de Séverine Chevalier.

Karl est de retour. Après 20 ans et accompagné par sa fille, il revient sur ses terres, le plateau de Millevaches. C’est dans ce cadre enneigé que le fragile équilibre de la ferme familiale vacille suite à son retour. C’est toute une petite communauté reculée qui voit le retour de cet homme d’un oeil méfiant. Les non-dits ressurgissent tout comme les souvenirs. Karl est taciturne et les raisons de son retour restent floues. Ce qui est certain c’est que les tensions (re)naissent et que le roman noir peut se déployer à partir de là, sous la très belle plume de Séverine Chevalier. Une écriture toujours au plus près des sensations de ses personnages. Parfois des phrases courtes. Parfois un mot. Rien n’est laissé au hasard dans ce roman, du rythme à l’atmosphère. Un sacré bouquin dans lequel on retrouve toute la singularité de l’autrice.

Clouer l’Ouest, ed. La manufacture de livres, 15,90 euros, 180 pages.

Rien de personnel / Mahir Guven

Le parcours de l’auteur et de sa famille, son rapport à l’immigration. Un texte prenant et très bien amené.

Premier livre de Mahir Guven que je lis, « Rien de personnel » est un récit autobiographique. L’auteur, d’une écriture enlevée et qui sonne juste, décrit son parcours et celui de sa famille. Une trajectoire intime qui recoupe à plusieurs reprises une histoire collective. Au gré des rencontres on découvre un auteur curieux et plein d’énergie à revendre. Mais aussi un jeune confronté tôt aux préjugés racistes ou plus tard lorsqu’il devient père. De sa jeunesse à la création de la maison d’édition La Grenade en passant par la création avec Éric Fottorino du 1 Hebdo, le romancier ne manque pas d’idée. « Rien de personnel » est un récit à lire, sans langue de bois, qui dégage une forme d’humanité. Un livre qui donne envie de lire les deux autres fictions de l’auteur pour retrouver cet humour et ce ton.

Rien de personnel, ed. JC Lattès, 20 euros, 200 pages.

Kaddour / Rachida Brakni

Un hommage vibrant au père de l’autrice et à son vécu en France.

Comme en écho au livre de Nina Bouraoui « Grand seigneur », dans lequel l’autrice écrit sur la fin de vie de son père hospitalisé dans un service de soin parisien, Rachida Brakni écrit aussi ici sur son père, comme dans un hommage. Kaddour Brakni est un homme plutôt discret et en même temps capable de nombreuses saillies humoristiques. Un homme important dans la construction de la comédienne, dès son enfance à Athis-Mons en région parisienne. On découvre dans ce premier roman et sous la plume de Rachida Brakni, le portrait d’un père algérien dévoué pour ses enfants. Un homme qui a toujours voulu retourner en Algérie et qui a été marqué par sa vie en France par différents évènements, notamment la répression meurtrière du 17 octobre 1961 dans laquelle de nombreux Algériens moururent. La plume est sensible et touche le lecteur. Ce texte restitue le lien fort entre une fille et son père. Un lien que l’on perçoit dès le début du livre lorsque l’autrice est dans le train pour se rendre sur Paris et qu’elle vient d’apprendre sa mort le 15 aout 2020.

extraits : « Pour vous j’ai dévoré les mots, insatiable je les voulais tous, prenant le temps de les ingérer, les malaxer, les digérer afin de mieux les brandir. Au besoin, ils constitueraient un bouclier pour nous protéger, une arme dont je n’hésiterais pas à me servir non pour blesser mais pour mieux nous défendre en cas d’attaque. J’ai fait mienne la citation de Kateb Yacine, « le français est mon butin de guerre ». À travers cette langue que j’aime tant, je serais votre voix et elle, compagne indéfectible, ne me ferait pas défaut pour laver les affronts et les humiliations. »

« Si, pour nous, tout s’est arrêté depuis deux jours, le temps de ton côté a continué son ouvrage même si le froid que tu détestes tant ralentit la décomposition. La mort est ton manteau d’hiver avant que tes os ne se réchauffent sous le soleil de Tipaza. »

Kaddour, ed. Stock, 19,50 euros, 197 pages.

Djinns / Seynabou Sonko

Un regard acerbe et bien vu sur le poids des normes.

Penda vit avec sa grand-mère, mami Pirate, dans le 10e arrondissement de Paris. Mami Pirate veille sur elle depuis que son père l’a abandonné et que sa mère est morte. Mami pirate est revenu du Sénégal pour s’occuper d’elle et de sa grande soeur Shango. Elle décroche le téléphone au début du bouquin et apprend par hasard que son voisin Jimmy a été arrêté par la police puis transféré dans un hôpital psychiatrique pour sa schizophrénie. Elle décide d’apprendre les talents de guérisseuse de Mami Pirate pour aider Jimmy. Des talents pour lesquels elle a une prédisposition lorsqu’elle croise son djinn, un peu comme dans une double personnalité. Ce djinn apparaissant dans des attitudes qui déstabilisent Penda mais qui lui permettent en même temps d’apprendre à se connaitre. Tout commence ensuite par sa démission du job dans la supérette dans laquelle elle travaille en bas de chez elle. Elle croise à nouveau ses proches, de Chico un dealer avec qui elle a grandi à Sally une amie à elle dont elle s’est éloignée. La langue de Seynabou Sonko est unique, c’est un mélange d’oralité, d’images marquantes, de puchlines. Elle décrit la marge, le regard stigmatisant notamment sur la maladie mentale. Le tout à travers le regard de Penda sur une situation qui n’a pas prévu de s’améliorer pour elle. Un roman à l’écriture travaillée, hâte de lire le prochain roman de cette autrice.

Djinns, ed. Grasset, 18,50 euros, 180 pages.

Amour chrome / Sylvain Pattieu

Hypallage – Tome 1

« Amour chrome » inaugure la série Hypallage, une série avec quatre romans en littérature jeunesse édités à l’école des loisirs. Sylvain Pattieu s’attarde dans chaque bouquin sur un des personnages d’une bande de potes. Dans « Amour chrome » il est question de Mohammed-Ali, un 3e avec de bons résultats et qui termine son collège tranquillement. La nuit il a une passion à l’abri des regards et sort de chez lui à l’insu de ses parents pour taguer. Il se passionne pour le graff et éprouve un sentiment de liberté unique lorsqu’il tague. Le reste du temps, il vaque entre ses potes et ses sentiments pour Aimée, une fille de sa classe qui ne vit que pour le football. Sylvain Pattieu écrit un roman sur des jeunes qui se cherchent. Les réactions et les dialogues sonnent juste ce qui loin d’être évident et on voit des amis se questionner sur les relations ou sur le monde qui les entoure. L’auteur n’en rajoute pas et laisse ses personnages vivre leur amitié, rencontrer des galères ou faire leurs expériences. À l’image d’une jolie scène dans laquelle Mohammed-Ali demande à son père de lui apprendre à se raser pour la première fois. Ce dernier se met alors en quatre et rend la chose importante, rendant le passage touchant. « Amour chrome » c’est aussi le roman d’une adolescence qui passe, du passage à l’âge adulte avec une fin inattendue. Sylvain Pattieu écrit un premier tome qui recoupe de nombreuses problématiques adolescentes, un bouquin que l’on a envie de faire lire autour de soi. Hâte de lire la suite.

Amour chrome, ed. l’école des loisirs, 14 euros, 192 pages.

Les étoiles s’éteignent à l’aube / Richard Wagamese

Un très très beau roman sur le périple d’un fils et de son père en fin de vie.

Frank Starlight est un jeune homme qui a été élevé dans la nature par un ancien qui lui a appris à devenir autonome. Il a peu voire pas du tout connu son père jusqu’au jour où au début du roman il est appelé à son chevet, car ce dernier est mourant. Eldon son père lui demande une dernière faveur. Il souhaite qu’il l’accompagne dans un dernier voyage jusqu’à des montagnes pour y être enterré. Les voilà partis tous les deux dans l’arrière-pays de la Colombie Britannique avec tout ce qu’elle a de sauvage. Frank découvre alors un père affaibli par l’alcool et hanté par de sombres souvenirs. Ce périple sera l’occasion pour Eldon de raconter à son fils des passages importants de sa vie qui l’ont détruit, mais qui l’ont aussi construit. Richard Wagamese a un sens du détail rare, il campe une atmosphère unique tout au long du roman et donne une grande place aux émotions de ses personnages. La souffrance est omniprésente, mais il y a aussi de très beaux passages beaucoup plus lumineux. On a le sentiment qu’aucun mot n’est choisi au hasard et c’est aussi pour cela que j’aime autant cet auteur. On ne tombe pas dans le cliché et le périple tout comme le vécu des personnages sonnent juste. L’origine indienne du père et du fils est aussi un thème à part entière et plus largement un thème que l’on retrouve dans les livres de l’auteur. Un auteur à part pour moi.

Les étoiles s’éteignent à l’aube, ed. 10/18, 8 euros, 312 pages.

Reste / Adeline Dieudonné

Un couple traverse un drame et réagit en conséquence.

Dès le début on entre dans la tête d’une femme qui réalise ce qu’elle traverse. Elle relate à la première personne son histoire, ce qu’elle a vécu. Elle passe un moment avec son conjoint dans un coin reculé à la campagne et sans trop en dire, le personnage va traverser un drame qui va chambouler ce quotidien. Adeline Dieudonné écrit un roman tendu et très bien écrit, qui sort complètement le lecteur de sa zone de confort. Comme souvent ses personnages sont ambiguës et c’est prenant du début à la fin. On suit les pensées de la narratrice en allant de découverte en découverte. Un nouveau roman et une nouvelle réussite pour une romancière qui renouvelle avec beaucoup de talent le paysage littéraire.

Reste, ed. L’iconoclaste, 20 euros, 350 pages.

Le Soldat désaccordé / Gilles Marchand

Une singulière enquête dans la France de l’après guerre.

Direction le Paris des années 20, dans l’après guerre. Un ancien soldat blessé tôt durant la première guerre mondiale est chargé de retracer le parcours de certains soldats perdus de vue par leurs familles. Il se transforme pet à petit en enquêteur dans ces étranges années d’après guerre. Il mène des enquêtes qui peuvent prendre des années, en mettant le nez dans les affaires de famille pour comprendre où peut être le soldat recherché ou s’il est encore vivant. Dans ce roman original et très bien écrit de Gilles Marchand, le narrateur écrit sur ses propres souvenirs de guerre et sur son enquête en cours. Un nouveau soldat disparu qui, il semblerait, cacherait une histoire d’amour. Le récit est d’une justesse rare sur la guerre, sur ses atrocités, sur l’état d’esprit des soldats parfois dépassés par les évènements. Ajoutez à cela l’humour caustique et la poésie de Gilles Marchand et vous avez un bouquin touchant avec « Le soldat désaccordé ». Un livre au ton unique qui offre un très bon moment de lecture.

Le Soldat désaccordé, ed. Aux forges de vulcain, 18 euros, 208 pages.

Soleil amer / Lilia Hassaine

Suivre une famille algérienne qui arrive en France dans les années 50 et qui assiste aux mutations du pays durant les décennies suivantes.

Tout débute à la fin des années 50 lorsqu’une mère de famille élève seule ses trois enfants en Algérie. Naja voit son mari Saïd partir en France pour travailler dans une usine Renault. On suit alors l’évolution de cette famille lorsque Saïd gagne assez d’argent pour faire venir sa famille en France. Malheureusement les choses ne vont pas être si simples pour la famille. Naja attend un nouveau bébé mais le couple ne peut plus se permettre d’avoir un nouvel enfant financièrement. Le lecteur voit la cellule familiale réagir à tous ces évènement et les années passent tant bien que mal. Mai 68 puis les années 70 et 80. On découvre l’accueil de cette famille algérienne en France et en même temps toutes les embuches, préjugés et comportements racistes qu’ils rencontrent. L’autrice s’attarde sur une société française en mutation en partant du point de vue d’une famille algérienne.

Soleil amer, ed. Folio, 7,50 euros, 192 pages.

Riposte / Louisa Reid

Un roman fort sur le harcèlement, qu’on lit comme un souffle.

Lily vit très mal ses années collège, elle est harcelée à cause de son poids. Comme un cercle vicieux, elle ne voit pas d’issue et tente de garder toute cette souffrance pour elle. Elle ne veut pas en rajouter auprès de ses parents, qui s’inquiètent quand même. Et son père décide un jour de l’inscrire à un cours de boxe pour qu’elle essaie. Qu’elle puisse avoir du répondant, que quelque chose change. Lily septique au début se prend au jeu et c’est pour elle le début d’une toute nouvelle période. Elle se redécouvre au contact de ce sport et cela va ensuite aller au-delà. « Riposte » aborde avec justesse la question du harcèlement, en utilisant une forme unique. Les phrases très courtes s’enchainent, se réduisent, s’étirent, au gré des sentiments qui traversent la jeune adolescente. On est au plus près de ce que vit le personnage et c’est bien vu. On ne tombe pas dans la caricature et sa vie est vraisemblable dans son collège. Tout comme les réactions des autres. Un roman jeunesse qui permet une porte d’entrée sur le harcèlement et sur la grossophobie.

Riposte, ed. Bayard, 14,90 euros, 256 pages.

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