Une présence idéale / Eduardo Berti

Un bouquin émouvant sur le soin, dans un service de fin de vie.

L’auteur est accueilli dans un service de soins palliatifs pour rencontrer et écrire autour des professionnels de ce service de santé. Dans de courts textes dans lesquels les noms ont été changés, l’auteur relate (et romance aussi) des propos recueillis. Les propos d’une infirmière, d’une aide-soignante, d’un médecin, d’intervenants extérieurs, etc. On découvre des vies derrière les patients et comment l’approche de la mort dans ce cadre très précis joue sur la relation soignant/soigné. Tout est écrit avec beaucoup de justesse. Le ressenti des personnages. Les émotions. On y aborde l’humain, la mort, la relation. On est touchés par ces petits textes, des morceaux de vie marquants, notamment sur les soignantes et les soignants. Un gros coup de cœur.

Une présence idéale, ed. La contre allée, 8,50 euros, 160 pages.

U4 : Stéphane / Vincent Villeminot

Une épidémie se propage et les jeunes entre 15 et 18 ans survivent d’une manière bien mystérieuse.

Un étrange virus se répand dans la population en quelques jours. Les adultes meurent les uns après les autres, mais les adolescents entre 15 et 18 ans survivent sans explication. C’est dans ce contexte où chacun tente de survivre que Vincent Villeminot emmène son lecteur dans la ville de Lyon au début du roman. On y suit quelques personnages et notamment Stéphane une jeune fille qui tente de savoir si son père a survécu ou non à cette épidémie foudroyante. En effet son père est un médecin reconnu qui travaille sur les épidémies et il a mystérieusement disparu après l’apparition des premiers symptômes dans la population. On suit donc des ados qui tentent de survivre dans un environnement devenu hostile où chacun souhaite sauver sa peau. Vincent Villeminot comme toujours amène un récit rythmé et prenant. On retrouve une façon bien à lui d’aborder les relations notamment les relations familiales. Ça donne envie de lire les trois autres titres qui se passent dans le même environnement et qui ont été écrits par trois autres auteurs. Chaque roman se focalise sur les péripéties d’un jeune qui tente de surnager au sein de l’épidémie.

Stéphane, ed. PKJ, 7,95 euros, 456 pages.

Encore vivant / Pierre Souchon

Un témoignage plein de justesse sur la bipolarité.

Pierre Souchon est journaliste pour le Monde diplomatique notamment et il relate dans ce livre son expérience de la bipolarité. À travers un texte émouvant et très bien écrit l’auteur aborde la question de la psychiatrie en France. Le rapport à la santé mentale de la population et le regard que portent les gens sur ces personnes stigmatisées en un rien de temps. « Encore vivant » c’est aussi un livre sur un monde qui s’éteint, le monde paysan. En effet l’auteur est issu d’une famille de paysans et voit l’environnement agricole changer sous ses yeux. On pense à la justesse du ton d’un livre comme « Pleine terre » de Corinne Royer (si vous ne l’avez pas lu celui-ci foncez). Avec l’arrivée de la concurrence, les nouvelles machines, etc, le métier d’agriculteur est en perte de sens et ce livre poignant l’illustre très bien. Avec une écriture ciselée et une gouaille bien à lui sur certains passages, on découvre un auteur qui tente de surnager à travers sa pathologie.

Encore vivant, ed. Actes Sud, 8,30 euros, 288 pages.

Cinq mains coupées / Sophie Divry

Sophie Divry tisse cinq témoignages importants. Cinq vies de manifestants, bouleversées par une répression toujours plus violente.

Dans « Cinq mains coupées », Sophie Divry part à la rencontre de cinq manifestants qui ont eu une main mutilée durant les manifestations des Gilets jaunes. Des mutilations qui font suite à l’utilisation de grenades lacrymogènes bourrées de TNT par les forces de l’ordre. La GLI-F4 (remplacée depuis début 2020).

Pour cette démarche, l’autrice s’est déplacée et a enregistré cinq entretiens. Après relectures, ce livre témoignages a pu voir le jour. Un livre qui touche et qui raconte sans pathos, en donnant la parole aux premiers concernés. Les victimes de ces violences policières. On parle d’étudiants, d’ouvriers. Des gens venus manifester avec les gilets jaunes, parfois pour le climat. Et qui vont voir le cours de leurs vies basculer face à une répression violente, soudaine, sans imaginer une seule seconde en faire les frais à ce point. Sans imaginer une seconde que ces choses-là peuvent arriver en manif. Sans imaginer que la police lance ses grenades sans sommation.

Ces témoignages sont forts et on distingue d’abord la sidération puis la colère et la douleur de reconstruire une vie chez les cinq manifestants. Les difficultés se multiplient avec les soins à organiser qui s’ajoutent à la précarité déjà présente. L’entourage est touché. Comment peut-on en arriver là ? Comment peut-on comme le dit très bien l’autrice perdre une main lorsque l’on manifeste à la base pour une revalorisation du SMIC ? Pour éviter la casse du service public ? Le livre de Sophie Divry donne à voir le réel avec beaucoup de justesse. Un livre important.

extrait : « Mais je suis lucide. Si ces cinq hommes m’ont parlé, ils ne m’ont pas tout dit. Il faut donc entendre derrière les expressions comme « c’est difficile » ou « c’est compliqué » sans doute bien plus que des difficultés, bien plus que de la complexité. Mais ils le disent avec leurs mots et je voulais que ce soit eux qui racontent. J’ai seulement fait de ce quintet de souffrance un chœur avec des solos. »

Cinq mains coupées, ed. J’ai lu, 6,50 euros, 128 pages.

Réparer les vivants / Maylis De Kerangal

Un très beau roman sur le don d’organes et sur les soignant.e.s.

C’est l’histoire d’une transplantation cardiaque, une histoire qui se déroule sur 24 heures et qui est racontée au fil des personnages qui la compose. L’écriture est magnifique et on se laisse porter par l’atmosphère que campe l’autrice. Le lecteur est touché et rapidement au centre des sensations et des émotions des personnages, et cela dès le début du roman où l’on suit trois copains qui vont surfer à l’aube. J’avais un très bon souvenir de Corniche Kennedy, un précédent livre de la romancière qui mettait en scène des jeunes sur la côte Marseillaise. Cette façon bien à elle d’écrire était déjà présente, sur les corps, sur les atmosphères. Le corps a d’ailleurs souvent une place bien particulière dans les livres de Maylis de Kerangal et l’on retrouve cette façon d’aborder l’humain dans Réparer les vivants. Les descriptions sont précises et rien n’est laissé au hasard sans pour autant tomber dans une caricature par rapport au sujet. C’est aussi un livre sur les soignants et ce que peut représenter un soin, notamment dans les services où la mort est présente. Tout sonne juste dans ce récit et c’est au final sonné que l’on quitte cette lecture, belle et triste à la fois.

Réparer les vivants, ed. Verticales, 18,90 euros, 298 pages.

En souvenir d’André / Martin Winckler

Un récit juste et tout en retenue sur un sujet rare.

Martin Winckler a toujours une façon bien à lui de raconter les histoires. Il les raconte de telle façon que l’on est embarqué par les personnages réalistes et par le sujet. Ici il est question de la fin de vie et c’est l’occasion d’aborder un thème que l’on voit rarement sur les étals des libraires. Avec beaucoup de justesse on y rencontre des questionnements sur le soin palliatif et sur l’accompagnement des proches en fin de vie notamment lorsque l’on n’est pas un professionnel du soin. C’est un roman plein de pudeur et qui sonne juste comme souvent chez l’auteur. La notion de gestion de la douleur est centrale et c’est un autre point que je trouve très intéressant dans ce livre. Le personnage central fait partie d’une équipe mobile d’un hôpital qui propose des aides aux patients en se déplaçant dans différents services pour soulager des douleurs chroniques. Martin Winckler s’est d’ailleurs penché plus récemment sur cette question dans l’essai « Tu comprendras ta douleur » que je n’ai pas encore lu et où l’on retrouve cette thématique encore peu discutée dans le domaine des soins.

En souvenir d’André, ed. Folio, 6,90 euros, 176 pages.

Le syndrome de l’imposteur / Claire Le Men

Parcours d’une interne en psychiatrie.

Claire Le Men est interne en psychiatrie et décide de s’inspirer de ses débuts dans le métier (en UMD, une unité pour malades difficiles) pour dessiner et écrire ce roman graphique.

Ce récit inspiré de la vie de l’autrice croise fiction et réalité. On y déconstruit des à priori sur la psychiatrie. La notion de norme est remise en question tout comme le regard que l’on porte sur la maladie mentale. Une bd accessible, à la fois drôle et pédagogique notamment lorsque Claire Le Men aborde les enjeux d’une hospitalisation en psychiatrie. C’est aussi l’occasion pour le lecteur de découvrir le parcours d’une étudiante en médecine et le cheminement qui mène jusqu’au métier de médecin (ici psychiatre). Un roman graphique très intéressant.

Le syndrome de l’imposteur, Ed. La Découverte, 17 euros, 96 pages.

La révolte de la psychiatrie / Mathieu Bellahsen Rachel et Knaebel

Les ripostes à la catastrophe gestionnaire.

Passionnant cet essai de Mathieu Bellahsen et Rachel Knaebel. Comme en écho au livre d’Emmanuel Venet que j’ai lu l’année dernière « Manifeste pour une psychiatrie artisanale », ce livre « La révolte de la psychiatrie » prolonge à merveille la réflexion en apportant de nombreux exemples de pratiques qui renouvellent la psychiatrie. Des pratiques en réponse à une gestion étatique qui détruit petit à petit les hôpitaux publics (suppression des lits, suppression des dispositifs comme les clubs thérapeutiques, normes des ARS toujours plus nombreuses à respecter dans les soins, moins de temps pour le relationnel, pour l’écoute, des protocoles qui se multiplient, des services qui ferment, des structures de soins qui fusionnent en rendant l’accès plus difficile en terme de distance pour les patients, etc.). La première partie du livre s’attache de son côté à dresser un panorama des évolutions rencontrées par la psychiatrie ces dernières décennies. On y découvre les effets des politiques mises en place. Cela permet de contextualiser et de comprendre comment la logique néolibérale (« du temps compressé et de l’urgence ») fait autant de dégâts aujourd’hui dans les services de soins et comment « la casse de l’hôpital public » (pour reprendre l’expression du livre de Frédéric Pierru et Pierre-André Juven) touche aussi la psychiatrie.

À noter la réflexion intéressante sur le fait que la négociation avec l’État est devenue inutile et qu’il est plus aisé aujourd’hui de mettre en place des contre-pouvoirs localement (agir/expérimenter au quotidien sur les terrains).

« La psychiatrie est un observatoire privilégié de l’évolution de la société dans sa tolérance aux plus fragiles, aux plus déviants et « hors normes ». Elle peut aussi être un lieu d’expérimentation, à partir de cette marge, de formes démocratiques nouvelles, de nouvelles façons d’instituer la société où l’existence de tout un chacun serait à la fois respectée et moteur d’une transformation collective, aussi minimale soit-elle. »

« […] il faut revenir sur cette idée que la personne délirante « marche sur la tête », car marcher sur la tête quand le monde est à l’envers constitue peut-être une façon raisonnable de s’y mouvoir. »

« Destruction des services publics, réduction des espaces de négociation démocratique, atteintes aux libertés, fichage… Ce qui mine la psychiatrie est un miroir grossissant de ce qui se passe dans l’ensemble des sphères sociales et politiques. »

La révolte de la psychiatrie, Ed. La Découverte, 19 euros, 246 pages.

À la folie / Joy Sorman

Une observation fine d’un service de psychiatrie.

« À l’hôpital psychiatrique, une grande part du temps infirmier est pourtant un temps informel – on s’assoit et on parle –, la bienveillance ne se chiffre pas, le plus efficace peut être imperceptible, non quantifiable. Tous le disent, on manque de soignants et les soignants manquent de temps, car ils le perdent à des tâches administratives toujours plus nombreuses, des tâches comptables qui rassurent sans doute les gestionnaires déconcertés par les pratiques incertaines de la psychiatrie, rétives à toute culture du résultat. »

Une citation parmi tant d’autres relevées, qui résume à merveille la démarche de ce livre singulier de Joy Sorman, dans lequel elle observe pendant une période un service de psychiatrie.

L’autrice ne tombe pas dans le piège du misérabilisme ni du sensationnalisme au gré des rencontres et des observations et elle restitue très bien l’atmosphère d’un service en psy. Elle prend le temps de décrire des patient.e.s et des soignant.e.s, le tout avec beaucoup de justesse et de pudeur. Le lecteur découvre de sacrés parcours de vie et des réflexions qui font vaciller la frontière entre le normal et le pathologique. Des réflexions qui font réfléchir sur la stigmatisation que subissent ces malades et plus largement l’institution psychiatrique. Quelques éléments théoriques et historiques complètent très bien les récits et les descriptions.

Un livre poignant sur la psychiatrie, sur son état actuel (dégradé et délaissé par les pouvoirs publics) et plus largement sur tous les questionnements que cette branche de la médecine soulève.

À la folie, ed. Flammarion, 19 euros, 288 pages.

Mémoire en cage / Thierry Jonquet

Un polar sur le regard que peut porter une société sur les corps et sur le handicap.

Changement d’horizon et retour sur un classique avec « Mémoire en cage », de Thierry Jonquet. Cynthia est en fauteuil roulant et est suivi dans un centre de soins pour les enfants handicapés. Elle déteste sa mère et un mystérieux personnage qu’elle appelle « l’autre salaud » et le lecteur va rapidement apprendre à suivre le court de ses pensées. En effet, Thierry Jonquet s’amuse avec des passages en italique à faire parler à la première personne ses personnages. Des personnages qui ne sont d’ailleurs pas tous recommandables voire carrément détestables pour certains. Comme Alain par exemple, jeune étudiant embauché depuis peu dans le centre de soins pour l’été. Un bonhomme détestable qui prend littéralement les femmes pour des moins que rien et plus encore. Les personnages apparaissent au fil de l’histoire, comme le divisionnaire de la pj Gabelou et on découvre un univers original et peu abordé d’une manière générale, celui de l’hôpital et des soins pour les enfants. Ici, il s’agit plus des soins traumatiques et du handicap.

J’ai beaucoup entendu dire que le corps avait une place centrale dans l’œuvre de l’auteur et je comprends tout de suite pourquoi avec cette lecture. Thierry Jonquet questionne l’impact des handicaps mais aussi les représentations que chacun et chacune s’en fait. Le vocabulaire utilisé a parfois mal vieilli (« débile », etc.) mais on sent tout de même le regard aiguisé de l’auteur qui s’inspire de la réalité pour questionner les lecteurs. Il en profite au passage pour dénoncer le fonctionnement aberrant de certaines structures de soins et la toute puissance de certains corps médicaux.

Je suis ressorti plutôt conquis de cette lecture, de ce roman noir bien mené. Et ce qui est sûr c’est que j’ai bien envie de découvrir d’autres bouquins de l’auteur, pour voir comment Thierry Jonquet choisit et traitent ces thèmes singuliers.

Mémoire en cage, Ed. Folio, coll. Folio policier, 6,90 euros, 160 pages.

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