Le syndrome de l’imposteur / Claire Le Men

Parcours d’une interne en psychiatrie.

Claire Le Men est interne en psychiatrie et décide de s’inspirer de ses débuts dans le métier (en UMD, une unité pour malades difficiles) pour dessiner et écrire ce roman graphique.

Ce récit inspiré de la vie de l’autrice croise fiction et réalité. On y déconstruit des à priori sur la psychiatrie. La notion de norme est remise en question tout comme le regard que l’on porte sur la maladie mentale. Une bd accessible, à la fois drôle et pédagogique notamment lorsque Claire Le Men aborde les enjeux d’une hospitalisation en psychiatrie. C’est aussi l’occasion pour le lecteur de découvrir le parcours d’une étudiante en médecine et le cheminement qui mène jusqu’au métier de médecin (ici psychiatre). Un roman graphique très intéressant.

Le syndrome de l’imposteur, Ed. La Découverte, 17 euros, 96 pages.

La révolte de la psychiatrie / Mathieu Bellahsen Rachel et Knaebel

Les ripostes à la catastrophe gestionnaire.

Passionnant cet essai de Mathieu Bellahsen et Rachel Knaebel. Comme en écho au livre d’Emmanuel Venet que j’ai lu l’année dernière « Manifeste pour une psychiatrie artisanale », ce livre « La révolte de la psychiatrie » prolonge à merveille la réflexion en apportant de nombreux exemples de pratiques qui renouvellent la psychiatrie. Des pratiques en réponse à une gestion étatique qui détruit petit à petit les hôpitaux publics (suppression des lits, suppression des dispositifs comme les clubs thérapeutiques, normes des ARS toujours plus nombreuses à respecter dans les soins, moins de temps pour le relationnel, pour l’écoute, des protocoles qui se multiplient, des services qui ferment, des structures de soins qui fusionnent en rendant l’accès plus difficile en terme de distance pour les patients, etc.). La première partie du livre s’attache de son côté à dresser un panorama des évolutions rencontrées par la psychiatrie ces dernières décennies. On y découvre les effets des politiques mises en place. Cela permet de contextualiser et de comprendre comment la logique néolibérale (« du temps compressé et de l’urgence ») fait autant de dégâts aujourd’hui dans les services de soins et comment « la casse de l’hôpital public » (pour reprendre l’expression du livre de Frédéric Pierru et Pierre-André Juven) touche aussi la psychiatrie.

À noter la réflexion intéressante sur le fait que la négociation avec l’État est devenue inutile et qu’il est plus aisé aujourd’hui de mettre en place des contre-pouvoirs localement (agir/expérimenter au quotidien sur les terrains).

« La psychiatrie est un observatoire privilégié de l’évolution de la société dans sa tolérance aux plus fragiles, aux plus déviants et « hors normes ». Elle peut aussi être un lieu d’expérimentation, à partir de cette marge, de formes démocratiques nouvelles, de nouvelles façons d’instituer la société où l’existence de tout un chacun serait à la fois respectée et moteur d’une transformation collective, aussi minimale soit-elle. »

« […] il faut revenir sur cette idée que la personne délirante « marche sur la tête », car marcher sur la tête quand le monde est à l’envers constitue peut-être une façon raisonnable de s’y mouvoir. »

« Destruction des services publics, réduction des espaces de négociation démocratique, atteintes aux libertés, fichage… Ce qui mine la psychiatrie est un miroir grossissant de ce qui se passe dans l’ensemble des sphères sociales et politiques. »

La révolte de la psychiatrie, Ed. La Découverte, 19 euros, 246 pages.

À la folie / Joy Sorman

Une observation fine d’un service de psychiatrie.

« À l’hôpital psychiatrique, une grande part du temps infirmier est pourtant un temps informel – on s’assoit et on parle –, la bienveillance ne se chiffre pas, le plus efficace peut être imperceptible, non quantifiable. Tous le disent, on manque de soignants et les soignants manquent de temps, car ils le perdent à des tâches administratives toujours plus nombreuses, des tâches comptables qui rassurent sans doute les gestionnaires déconcertés par les pratiques incertaines de la psychiatrie, rétives à toute culture du résultat. »

Une citation parmi tant d’autres relevées, qui résume à merveille la démarche de ce livre singulier de Joy Sorman, dans lequel elle observe pendant une période un service de psychiatrie.

L’autrice ne tombe pas dans le piège du misérabilisme ni du sensationnalisme au gré des rencontres et des observations et elle restitue très bien l’atmosphère d’un service en psy. Elle prend le temps de décrire des patient.e.s et des soignant.e.s, le tout avec beaucoup de justesse et de pudeur. Le lecteur découvre de sacrés parcours de vie et des réflexions qui font vaciller la frontière entre le normal et le pathologique. Des réflexions qui font réfléchir sur la stigmatisation que subissent ces malades et plus largement l’institution psychiatrique. Quelques éléments théoriques et historiques complètent très bien les récits et les descriptions.

Un livre poignant sur la psychiatrie, sur son état actuel (dégradé et délaissé par les pouvoirs publics) et plus largement sur tous les questionnements que cette branche de la médecine soulève.

À la folie, ed. Flammarion, 19 euros, 288 pages.

Mes fous / Jean-Pierre Martin

Un très beau roman sur des marginaux dont on parle peu.

Sandor souffre ou du moins est atteint d’un « excès d’empathie ». Il capte et reconnaît les personnes qu’il croise dans les rues de Lyon et qui lui semble en décalage avec le monde extérieur. Il répère les « fous » et revient les fréquenter ensuite au détour de ses déambulations, en revenant tailler le bout de gras avec eux par exemple. Sandor déambule car il est en arrêt de travail et il a le temps d’exercer ce drôle de passe-temps. Il est aussi un fin observateur de sa famille proche. Une famille que l’on pourrait qualifier de dysfonctionnelle et qui ne se trouve pas bien loin des « fous » que Sandor côtoie.

Avec « Mes fous », l’auteur écrit un très beau livre sur les nuances qui existent entre le normal et le pathologique. Il relève à travers les points de vue de son personnage Sandor, un point de vue plus global. Celui que porte la société sur la folie, sur la psychiatrie et sur ces personnages en marge. Des personnages qu’on laisse de côté, qui ne mérite plus notre attention. Des « corps errants » pour reprendre la très belle expression de l’auteur.

Sans être dénué d’empathie et avec un ton très juste, Jean-Pierre Martin invite les lectrices et les lecteurs à une réflexion sur la question. Sandor développe sa pensée au fil du récit et ce n’est jamais manichéen bien au contraire. Le personnage principal est touché par ces marginaux et à la lecture de ce livre nous aussi.

« J’ai aussi une fibre ethnographique. J’aurais volontiers pratiqué l’observation participante ».

« C’est vrai que j’ai tendance à voir la folie partout, à débusquer sa menace, chez moi ou chez les autres, à travers des signes légers : une parole exagérément volubile, l’hystérie d’un geste, le mutisme glaçant d’un poisson froid, la logorrhée d’un monologuiste. Les fous et les demi-fous me magnétisent. À moins que ce ne soit le contraire. Je ne peux pas détourner mon regard. Je suis prêt à les suivre tel un privé qui aurait renoncé à la filature et adopté la méthode directe.
Fou n’est pas le mot, même si je le prononce avec affection. Je préfère dire : corps errants. Je les appelle ainsi pour tenter de leur rendre un peu de leur noblesse. »

« Est-ce que j’attire les fous, ou bien est-ce que c’est moi qui cherche leur compagnie ? Quelquefois j’aimerais échapper à cette manie qui est la mienne, décider de ne plus prêter attention. Mais les corps errants saisissent comme personne les fragilités alentour. »

Mes fous, Ed. de l’Olivier, 17 euros, 160 pages.

Manifeste pour une psychiatrie artisanale / Emmanuel Venet

Un texte important sur l’état de la psychiatrie en France.

Ce livre est un cri d’alarme, la psychiatrie publique est en danger. La logique néolibérale est à l’œuvre et a un impact direct sur la qualité des soins. Le psychiatre et auteur Emmanuel Venet dénonce « une psychiatrie industrielle, quantitative, protocolisée, standardisée, numérisable, objectivante, désincarnée, ultrarapide et inégalitaire ». Ce passage relevé sur le site des éditions Verdier, dans la présentation du livre, illustre parfaitement ce contre quoi les défenseurs d’une psychiatrie artisanale se battent.

L’auteur livre un manifeste important et très bien documenté, à lire sans hésiter.

Manifeste pour une psychiatrie artisanale, Ed. Verdier, 7 euros, 96 pages.

La santé mentale / Mathieu Bellahsen

Vers un bonheur sous contrôle.

Cet essai du psychiatre Mathieu Bellahsen, édité à La fabrique en 2014 est particulièrement adapté pour mettre au jour les problématiques rencontrées par la psychiatrie. Problématiques toujours d’actualité, comme on peut le constater lorsque l’on voit les mouvements de contestations des personnels soignants dans certains hôpitaux psychiatriques en 2018 (comme à Saint-Étienne-Du-Rouvray). Un second livre que j’ai hâte de découvrir est d’ailleurs sorti cette année sur ce thème, coécrit par Mathieu Bellahsen de nouveau et Rachel Knaebel  (et intitulé La révolte de la psychiatrie).

Dans celui-ci, l’auteur dresse un panorama historique de la discipline clair et accessible afin de comprendre son évolution en France (on y distingue l’évolution des pratiques soignantes, des terminologies, à chaque fois liée à un contexte sociétal ou politique au fil des décennies). Ce panorama permet de comprendre les enjeux qui se cachent derrière les nouvelles conceptions du soin en psychiatrie. Un soin adapté en fonction de critères précis, un soin faussement individualisé qui responsabilise le patient au détriment de son histoire de vie, un soin en quête d’une « santé mentale positive », une expression ambivalente vous le verrez et qui fait les affaires des politiques néolibérales sous couvert d’une quête d’un soi-disant bien-être.

Ce panorama historique permet aussi de présenter la nouvelle gestion de l’hôpital, délétère aussi bien pour les patients et leurs familles que pour le personnel. Il s’agit de « l’hôpital-entreprise » où l’on réduit le coût des soins à grand renfort de grilles d’évaluation dans les réponses données aux patients, où l’on augmente l’accompagnement ambulatoire faute de place dans les services, où les pratiques innovantes sont réduites au détriment de pratiques standardisées et étayées scientifiquement (neurologie et neuroscience ont pignon sur rue). L’auteur finit par ouvrir des perspectives en réfléchissant à de nouveaux espaces, des espaces innovants où les pratiques ne sont pas figées et où les patients rencontrent l’inattendu tout en tissant du lien social (l’exemple du club dans l’hôpital, où les patients pourraient se retrouver pour discuter et manger).

C’est un essai essentiel pour qui s’intéresse  aux problématiques liées à la psychiatrie aujourd’hui. On retrouve d’ailleurs les procédés de marginalisation du gouvernement actuel qui ne sont pas à l’oeuvre uniquement dans le champ de la psychiatrie. N’hésitez pas à vous attarder au passage sur la très belle préface de Jean Oury, stimulante et qui laisse à penser. Je vous conseille vivement cette lecture.

la santé mentale un bonheur sous contrôle bis
La présentation de l’éditeur.

La santé mentale, Vers un bonheur sous contrôle, ed. La fabrique, 13 euros, 192 pages.

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