Hervé Le Corre, mélancolie révolutionnaire / Entretien par Yvan Robin

Un long échange entre deux auteurs de romans noirs passionnés.

Découvrir le parcours d’un auteur de roman noir, comment son métier et sa vie infuse dans son oeuvre. C’est une partie de ce que l’on découvre dans ce riche entretien consacré au travail du romancier Hervé Le Corre, un échange mené par Yvan Robin. L’auteur se livre et questionne sa pratique au prisme de son métier d’enseignant, de son regard politique. Il ébauche une définition du roman noir tout en nuances au fil des pages et c’est passionnant. On navigue de références en phrase bien trouvée, un régal. Foncez découvrir cette petite collection éditée par les éditions Playlist Society. Il me reste l’entretien avec DOA à lire dans la même collection et jai juste hâte.

Mélancolie révolutionnaire, ed. Playlist Society, 12 euros, 184 pages.

Petit frère / Isabelle Coutant et Yvon Atonga

Comprendre les destinées familiales.

« Petit frère » d’Isabelle Coutant et d’Yvon Atonga est un livre enquête qui s’arrête sur les trajectoires de vie de deux frères. Yvon qui a grandi dans un quartier de Villiers-le-Bel dans les années 80/90 et son frère Wilfried. Le premier s’en sort et réussit ses projets alors que le second est tué lors d’un règlement de comptes en 2016. La sociologue Isabelle Coutant, qui a rencontré une première fois Wilfried lors d’un podcast quinze ans plus tôt, a souhaité reprendre leurs trajectoires pour comprendre comment l’un a pu s’en sortir alors que l’autre n’a pas pu s’écarter d’une spirale de violence. Ce livre retrace ces deux itinéraires à travers différentes interviews d’Yvon et de l’entourage des deux frères. On distingue un impact direct des politiques publiques dans la vie des quartiers, aussi bien de manière positive que négative. Pour exemple, la suppression de la police de proximité, entérinée sous Nicolas Sarkozy a eu un impact direct sur les tensions dans les quartiers. Le travail de la sociologue est important et en même temps elle laisse les acteurs parler et décrire ces parcours de vie. « Petit frère » est un livre pour comprendre, mais aussi un livre qui rend hommage.

Petit frère, ed. Seuil, 19,50 euros, 240 pages.

Littérature et révolution / Joseph Andras et Kaoutar Harchi

Un riche dialogue qui questionne le statut du politique dans la littérature.

Le livre est un long entretien entre Joseph Andras et Kaoutar Harchi. Différentes thématiques sont abordées au fil du dialogue. Le statut d’un auteur ou d’une autrice par rapport à son oeuvre, le rapport à l’écriture, le rapport au politique ou encore le rapport au salariat d’une profession finalement très précaire. On suit avec beaucoup d’intérêt les réflexions et notamment lorsque Kaoutar Harchi et Jospeh Andras reviennent sur la genèse de leurs bouquins ou sur la réception du grand public. « Littérature et révolution » est un essai qui ouvre de nombreuses perspectives et un peu comme le livre précédent de Clémentine Beauvais, il questionne notre rapport à la lecture en profondeur. Un riche essai à découvrir qui donne envie de relire les livres des deux auteurs. J’avais beaucoup aimé « De nos frères blessés » de Joseph Andras, une lecture qui m’avait soufflé à l’époque.

À paraitre le 12 janvier.

Littérature et révolution, ed. Divergences, 16 euros, 240 pages.

À la base, c’était lui le gentil / Ramsès Kefi

Un travail journalistique de fond important, à faire lire.

Ramsès Kefi est journaliste et écrit un reportage littéraire poignant avec ce petit bouquin. « À la base, c’était lui le gentil » est un livre prolongé par un entretien pour approfondir avec un chercheur la question de l’urbanisme et de la mobilité, notamment en banlieue. L’auteur a choisi de se pencher sur la question des rixes dans les quartiers en partant de la mort d’un jeune, Aboubakar. Un jeune originaire de Bagnolet tué en 2018 aux Lilas lors d’une rixe. Il est question au fil du texte de l’origine de ces rixes, du lien avec les collèges ou les lycées, de la géographie des quartiers et du cercle vicieux dans lequel de nombreux jeunes se retrouvent. On y croise des éducateurs ou des enseignants et enseignantes lucides. Le format court permet une synthèse du sujet. N’hésitez pas à découvrir cette collection de la revue XXI.

A la base, c’était lui le gentil, ed. XXI, coll. XXI reportage, 9 euros, 96 pages.

Alice Zeniter, une écrivaine au travail / Richard Gaitet

Écrire, c’est le plus drôle de tous les jeux.

Deuxième livre que je lis dans cette collection, qui est une adaptation de l’excellent podcast de Richard Gaitet « Bookmakers ». Le livre reprend les entretiens enregistrés avec Arte Radio, entre Richard Gaitet et une autrice ou un auteur, et avec des passages inédits et supplémentaires dans l’édition papier. On découvre Alice Zeniter et ses méthodes de travail, sa vision de la lecture, de l’écriture. Mais aussi un sens de la répartie bien agréable à lire. J’avais adoré « L’art de perdre » lors de sa lecture et c’est un réel plaisir de la (re)découvrir à travers son univers en entrant un peu dans sa fabrique, dans ses routines de travail ou encore dans son rapport à la fiction (n’hésitez pas au passage à lire « Toute une moitié du monde » un essai qu’elle a écrit sur la question). Comme avec Nicolas Mathieu l’entretien est passionnant de bout en bout et permet de faire des découvertes au gré des références qu’Alice Zeniter cite tout en permettant de questionner tout le travail derrière la création des bouquins. Hâte de lire le suivant tout simplement.

Alice Zeniter, une écrivaine autravail, ed. Points, 10,90 euros, 144 pages.

Les motifs / Laurent Mauvignier

Entretiens sur l’écriture de Laurent Mauvignier avec Pascaline David.

J’avais adoré découvrir la plume de Laurent Mauvignier dans son roman « Histoires de la nuit ». Et j’étais curieux de découvrir ce petit bouquin édité chez Diagonale, qui retranscrit un entretien entre l’auteur et Pascaline David, une des deux fondatrices des éditions Diagonale (avec Ann-Gaëlle Dumont). Pascaline David prend le temps de questionner Laurent Mauvignier sur son parcours, sur son approche de l’écriture et sur sa façon d’aborder la construction de ses romans. C’est passionnant de bout en bout. L’auteur s’attarde sur ses procédés narratifs sans donner forcément de recettes. On entre dans les coulisses de ses livres (« Continuer », Histoires de la nuit », etc.) et c’est vraiment intéressant d’avoir son point de vue après lecture. On perçoit par exemple des personnages sous un nouveau jour. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, Laurent Mauvignier a un ton bien à lui, une écriture singulière. On retrouve de longues phrases et toute une réflexion sur le rythme dans son travail. Et même si à première vue cela semble idéal pour perdre le lecteur ce n’est pas du tout le cas et on se laisse porter dans ses histoires. Dans « Les motifs » on retrouve toute la singularité de l’auteur et son sens du détail. Un riche entretien à découvrir.

Les motifs, ed. Diagonale,

Nicolas Mathieu, un écrivain au travail / Bookmakers par Richard Gaitet

La littérature est une manière de rendre les coups.

Au départ il y a la « Nova book box », une émission littéraire sur radio nova, un peu confidentielle et animée par Richard Gaitet. On y découvre des bouquins oubliés ou méconnus, avec la certitude de passer un moment hors du temps lorsque l’animateur lit des passages notamment. L’émission s’arrête et Richard Gaitet à l’occasion de poursuivre un projet similaire autour du livre sur les ondes d’Arte Radio. Il propose un podcast dans lequel il recevrait des autrices et des auteurs pour parler techniques derrière les bouquins, discuter des recettes autour de la création, des habitudes de travail ou encore de l’argent. Et avec de longs entretiens en plusieurs parties et un montage aux petits ognons comme souvent sur Arte Radio, on assiste à la création du podcast « Bookmakers ». Les premiers invités rendent les émissions intéressantes (Jaenada, Dany Laferrière ou Lola Lafon) et le concept de s’arrêter en profondeur sur le travail des écrivains fonctionne très bien. C’est tout récemment que la retranscription papier chez Points de ces entretiens permet de les redécouvrir sous un nouveau jour. À commencer par la retranscription de l’épisode sur Nicolas Mathieu où l’on découvre le parcours d’un auteur qui se lance tardivement dans l’écriture et qui discute toutes en nuances de ses différents bouquins. À noter au passage que l’on trouve des parties inédites ajoutées justement à l’occasion de ce passage papier du podcast. Que l’on ait déjà écouté ou pas les épisodes de « Bookmakers », on lit ces échanges autour de l’écriture avec beaucoup d’intérêt.

Nicolas Matheiu, un écrivain au travail, ed. Points, 10,90 euros, 144 pages.

Sortir au jour / Amandine Dhée

Une rencontre avec Gabriele une thanatopractrice offre à l’autrice la matière de son nouveau livre.

J’attendais avec impatience le dernier livre d’Amandine Dhée depuis que j’ai découvert le ton singulier de cette autrice dans « La femme brouillon ». Un petit bouquin sur la maternité qui touche et qui est sorti en 2017. Dans ce nouvel essai il est question de la mort, suite à une rencontre dans une librairie pour un livre précédent. Amandine Dhée croise une thanatopractrice et plusieurs échanges vont découler de cette rencontre. Ce livre en restitue une partie et questionne le statut de la mort dans notre société, que ce soit lorsqu’on en parle avec des enfants ou lorsqu’on se représente la mort d’une manière ou d’une autre. Comme souvent chez Amandine Dhée son approche est intéressante et amène de nombreux questionnements. Le ton n’est pas dénué d’humour et nous met facilement face à nos contradictions. Un réel plaisir de lecture.

Sortir au jour, ed. La contre allée, 16 euros, 128 pages.

Vallées secrètes / Bernard Minier

Entretiens avec Fabrice Lardreau.

Dans la collection Versant intime chez Arthaud, une autrice ou un auteur revient sur son parcours, son enfance, son rapport a un lieu ou encore à l’écriture. C’est au tour de Bernard Minier de se prêter au jeu dans Vallées secrètes, un court livre composé d’entretiens avec Fabrice Lardreau. L’auteur à succès revient sur son enfance et sur son rapport à la nature, notamment les Pyrénées, région dans laquelle il a grandit et qui est particulièrement importante pour lui. C’est d’ailleurs dans cet environnement qu’il situe plusieurs de ses polars. On remarque au fil des réponses que la montagne et l’imaginaire qui l’entoure ont beaucoup compté pour l’auteur, que ce soit dans son parcours d’écrivain ou plus globalement dans son rapport au monde. Bernard Minier en profite pour s’arrêter sur ces sources d’inspiration, sur ce qui fait le sel des ses livres en creusant un peu cette question. Une belle idée cette collection qui mélange la nature et les différents processus créatifs des écrivains.

Vallées secrètes, ed. Arthaud, 13 euros, 160 pages.

Cinq mains coupées / Sophie Divry

Sophie Divry tisse cinq témoignages importants. Cinq vies de manifestants, bouleversées par une répression toujours plus violente.

Dans « Cinq mains coupées », Sophie Divry part à la rencontre de cinq manifestants qui ont eu une main mutilée durant les manifestations des Gilets jaunes. Des mutilations qui font suite à l’utilisation de grenades lacrymogènes bourrées de TNT par les forces de l’ordre. La GLI-F4 (remplacée depuis début 2020).

Pour cette démarche, l’autrice s’est déplacée et a enregistré cinq entretiens. Après relectures, ce livre témoignages a pu voir le jour. Un livre qui touche et qui raconte sans pathos, en donnant la parole aux premiers concernés. Les victimes de ces violences policières. On parle d’étudiants, d’ouvriers. Des gens venus manifester avec les gilets jaunes, parfois pour le climat. Et qui vont voir le cours de leurs vies basculer face à une répression violente, soudaine, sans imaginer une seule seconde en faire les frais à ce point. Sans imaginer une seconde que ces choses-là peuvent arriver en manif. Sans imaginer que la police lance ses grenades sans sommation.

Ces témoignages sont forts et on distingue d’abord la sidération puis la colère et la douleur de reconstruire une vie chez les cinq manifestants. Les difficultés se multiplient avec les soins à organiser qui s’ajoutent à la précarité déjà présente. L’entourage est touché. Comment peut-on en arriver là ? Comment peut-on comme le dit très bien l’autrice perdre une main lorsque l’on manifeste à la base pour une revalorisation du SMIC ? Pour éviter la casse du service public ? Le livre de Sophie Divry donne à voir le réel avec beaucoup de justesse. Un livre important.

extrait : « Mais je suis lucide. Si ces cinq hommes m’ont parlé, ils ne m’ont pas tout dit. Il faut donc entendre derrière les expressions comme « c’est difficile » ou « c’est compliqué » sans doute bien plus que des difficultés, bien plus que de la complexité. Mais ils le disent avec leurs mots et je voulais que ce soit eux qui racontent. J’ai seulement fait de ce quintet de souffrance un chœur avec des solos. »

Cinq mains coupées, ed. J’ai lu, 6,50 euros, 128 pages.

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