Le Dernier Baiser / James Crumley

Les aventures de Sugrhue, un privé pragmatique et cynique, dans l’ouest américain.

Sugrhue est détective et se retrouve à pister Trahaerne, un auteur à succès qui a un léger penchant pour la picole. Ce dernier s’égare de bar en bar au gré des fugues dont il est coutumier. Une fois Trahaerne retrouvé dans un bar de la côte ouest, Sugrhue s’engage dans une nouvelle enquête afin de retrouver Betty Sue Flowers, une jeune fille disparue dix ans auparavant. Les deux personnages vont se trouver des centres d’intérêt commun et c’est à deux qu’ils se lancent dans cette nouvelle enquête aux multiples pistes et surprises.

James Crumley écrit un roman noir poisseux et bien sombre. On y découvre un privé cynique et porté sur la boisson qui se laisse embarquer dans des péripéties qui le dépassent parfois, mais qui ne l’empêchent pas de garder sa gouaille et sa répartie d’enfer. James Crumley a aussi le sens des images. On visualise les scènes facilement sans s’empêtrer dans des descriptions à rallonge. La première scène du livre avec un bouledogue qui picole en est une parfaite illustration. L’ambiance est posée. Crumley crée des personnages complexes que l’on n’oublie pas et notamment de très beaux personnages féminins. Dans ce roman noir, on y rencontre des paumés à la façon d’un Harry Crews ou d’un Donald Ray Pollock. Le tout forme un polar très bien construit avec une traduction de Jacques Mailhos de qualité. Une vraie réussite (et une belle découverte pour ma part). Un peu comme Abdel Hafed Benotman dont je parlais récemment, James Crumley et son œuvre mériteraient plus de visibilité.

Le Dernier Baiser, ed. Gallmeister, 23,50 euros, 384 pages.

La révolte de la psychiatrie / Mathieu Bellahsen Rachel et Knaebel

Les ripostes à la catastrophe gestionnaire.

Passionnant cet essai de Mathieu Bellahsen et Rachel Knaebel. Comme en écho au livre d’Emmanuel Venet que j’ai lu l’année dernière « Manifeste pour une psychiatrie artisanale », ce livre « La révolte de la psychiatrie » prolonge à merveille la réflexion en apportant de nombreux exemples de pratiques qui renouvellent la psychiatrie. Des pratiques en réponse à une gestion étatique qui détruit petit à petit les hôpitaux publics (suppression des lits, suppression des dispositifs comme les clubs thérapeutiques, normes des ARS toujours plus nombreuses à respecter dans les soins, moins de temps pour le relationnel, pour l’écoute, des protocoles qui se multiplient, des services qui ferment, des structures de soins qui fusionnent en rendant l’accès plus difficile en terme de distance pour les patients, etc.). La première partie du livre s’attache de son côté à dresser un panorama des évolutions rencontrées par la psychiatrie ces dernières décennies. On y découvre les effets des politiques mises en place. Cela permet de contextualiser et de comprendre comment la logique néolibérale (« du temps compressé et de l’urgence ») fait autant de dégâts aujourd’hui dans les services de soins et comment « la casse de l’hôpital public » (pour reprendre l’expression du livre de Frédéric Pierru et Pierre-André Juven) touche aussi la psychiatrie.

À noter la réflexion intéressante sur le fait que la négociation avec l’État est devenue inutile et qu’il est plus aisé aujourd’hui de mettre en place des contre-pouvoirs localement (agir/expérimenter au quotidien sur les terrains).

« La psychiatrie est un observatoire privilégié de l’évolution de la société dans sa tolérance aux plus fragiles, aux plus déviants et « hors normes ». Elle peut aussi être un lieu d’expérimentation, à partir de cette marge, de formes démocratiques nouvelles, de nouvelles façons d’instituer la société où l’existence de tout un chacun serait à la fois respectée et moteur d’une transformation collective, aussi minimale soit-elle. »

« […] il faut revenir sur cette idée que la personne délirante « marche sur la tête », car marcher sur la tête quand le monde est à l’envers constitue peut-être une façon raisonnable de s’y mouvoir. »

« Destruction des services publics, réduction des espaces de négociation démocratique, atteintes aux libertés, fichage… Ce qui mine la psychiatrie est un miroir grossissant de ce qui se passe dans l’ensemble des sphères sociales et politiques. »

La révolte de la psychiatrie, Ed. La Découverte, 19 euros, 246 pages.

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