L’éducation (vraiment) positive / Béatrice Kammerer

Des nuances et des questionnements intéressants, sur les injonctions dans la parentalité.

Béatrice Kammerer écrit un bouquin stimulant en questionnant l’éducation positive et tout ce qu’elle recouvre. Que ce soit avec l’aspect commercial ou avec les injonctions qu’elle peut véhiculer, la notion est plus complexe qu’elle en a l’air. L’éducation positive est loin d’être simple à définir et elle ne s’arrête pas simplement à des bonnes pratiques qui auraient des effets quantifiables sur les enfants. L’autrice prend le temps de déconstruire les impensés derrière cette notion et c’est vraiment intéressant. Du statut des sacro sainte neurosciences aux discours de certaines autrices qui vendent beaucoup dans le domaine de la parentalité aujourd’hui, elle met en perspective pas mal d’éléments. Le tout permet de relativiser l’éducation des enfants et le rôle des parents dans notre société. Un riche essai qui ouvre des questionnements.

L’éducation (vraiment) positive, ed. Larousse, 14,95 euros, 256 pages.

La révolte de la psychiatrie / Mathieu Bellahsen Rachel et Knaebel

Les ripostes à la catastrophe gestionnaire.

Passionnant cet essai de Mathieu Bellahsen et Rachel Knaebel. Comme en écho au livre d’Emmanuel Venet que j’ai lu l’année dernière « Manifeste pour une psychiatrie artisanale », ce livre « La révolte de la psychiatrie » prolonge à merveille la réflexion en apportant de nombreux exemples de pratiques qui renouvellent la psychiatrie. Des pratiques en réponse à une gestion étatique qui détruit petit à petit les hôpitaux publics (suppression des lits, suppression des dispositifs comme les clubs thérapeutiques, normes des ARS toujours plus nombreuses à respecter dans les soins, moins de temps pour le relationnel, pour l’écoute, des protocoles qui se multiplient, des services qui ferment, des structures de soins qui fusionnent en rendant l’accès plus difficile en terme de distance pour les patients, etc.). La première partie du livre s’attache de son côté à dresser un panorama des évolutions rencontrées par la psychiatrie ces dernières décennies. On y découvre les effets des politiques mises en place. Cela permet de contextualiser et de comprendre comment la logique néolibérale (« du temps compressé et de l’urgence ») fait autant de dégâts aujourd’hui dans les services de soins et comment « la casse de l’hôpital public » (pour reprendre l’expression du livre de Frédéric Pierru et Pierre-André Juven) touche aussi la psychiatrie.

À noter la réflexion intéressante sur le fait que la négociation avec l’État est devenue inutile et qu’il est plus aisé aujourd’hui de mettre en place des contre-pouvoirs localement (agir/expérimenter au quotidien sur les terrains).

« La psychiatrie est un observatoire privilégié de l’évolution de la société dans sa tolérance aux plus fragiles, aux plus déviants et « hors normes ». Elle peut aussi être un lieu d’expérimentation, à partir de cette marge, de formes démocratiques nouvelles, de nouvelles façons d’instituer la société où l’existence de tout un chacun serait à la fois respectée et moteur d’une transformation collective, aussi minimale soit-elle. »

« […] il faut revenir sur cette idée que la personne délirante « marche sur la tête », car marcher sur la tête quand le monde est à l’envers constitue peut-être une façon raisonnable de s’y mouvoir. »

« Destruction des services publics, réduction des espaces de négociation démocratique, atteintes aux libertés, fichage… Ce qui mine la psychiatrie est un miroir grossissant de ce qui se passe dans l’ensemble des sphères sociales et politiques. »

La révolte de la psychiatrie, Ed. La Découverte, 19 euros, 246 pages.

Mes fous / Jean-Pierre Martin

Un très beau roman sur des marginaux dont on parle peu.

Sandor souffre ou du moins est atteint d’un « excès d’empathie ». Il capte et reconnaît les personnes qu’il croise dans les rues de Lyon et qui lui semble en décalage avec le monde extérieur. Il répère les « fous » et revient les fréquenter ensuite au détour de ses déambulations, en revenant tailler le bout de gras avec eux par exemple. Sandor déambule car il est en arrêt de travail et il a le temps d’exercer ce drôle de passe-temps. Il est aussi un fin observateur de sa famille proche. Une famille que l’on pourrait qualifier de dysfonctionnelle et qui ne se trouve pas bien loin des « fous » que Sandor côtoie.

Avec « Mes fous », l’auteur écrit un très beau livre sur les nuances qui existent entre le normal et le pathologique. Il relève à travers les points de vue de son personnage Sandor, un point de vue plus global. Celui que porte la société sur la folie, sur la psychiatrie et sur ces personnages en marge. Des personnages qu’on laisse de côté, qui ne mérite plus notre attention. Des « corps errants » pour reprendre la très belle expression de l’auteur.

Sans être dénué d’empathie et avec un ton très juste, Jean-Pierre Martin invite les lectrices et les lecteurs à une réflexion sur la question. Sandor développe sa pensée au fil du récit et ce n’est jamais manichéen bien au contraire. Le personnage principal est touché par ces marginaux et à la lecture de ce livre nous aussi.

« J’ai aussi une fibre ethnographique. J’aurais volontiers pratiqué l’observation participante ».

« C’est vrai que j’ai tendance à voir la folie partout, à débusquer sa menace, chez moi ou chez les autres, à travers des signes légers : une parole exagérément volubile, l’hystérie d’un geste, le mutisme glaçant d’un poisson froid, la logorrhée d’un monologuiste. Les fous et les demi-fous me magnétisent. À moins que ce ne soit le contraire. Je ne peux pas détourner mon regard. Je suis prêt à les suivre tel un privé qui aurait renoncé à la filature et adopté la méthode directe.
Fou n’est pas le mot, même si je le prononce avec affection. Je préfère dire : corps errants. Je les appelle ainsi pour tenter de leur rendre un peu de leur noblesse. »

« Est-ce que j’attire les fous, ou bien est-ce que c’est moi qui cherche leur compagnie ? Quelquefois j’aimerais échapper à cette manie qui est la mienne, décider de ne plus prêter attention. Mais les corps errants saisissent comme personne les fragilités alentour. »

Mes fous, Ed. de l’Olivier, 17 euros, 160 pages.

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