Djinns / Seynabou Sonko

Un regard acerbe et bien vu sur le poids des normes.

Penda vit avec sa grand-mère, mami Pirate, dans le 10e arrondissement de Paris. Mami Pirate veille sur elle depuis que son père l’a abandonné et que sa mère est morte. Mami pirate est revenu du Sénégal pour s’occuper d’elle et de sa grande soeur Shango. Elle décroche le téléphone au début du bouquin et apprend par hasard que son voisin Jimmy a été arrêté par la police puis transféré dans un hôpital psychiatrique pour sa schizophrénie. Elle décide d’apprendre les talents de guérisseuse de Mami Pirate pour aider Jimmy. Des talents pour lesquels elle a une prédisposition lorsqu’elle croise son djinn, un peu comme dans une double personnalité. Ce djinn apparaissant dans des attitudes qui déstabilisent Penda mais qui lui permettent en même temps d’apprendre à se connaitre. Tout commence ensuite par sa démission du job dans la supérette dans laquelle elle travaille en bas de chez elle. Elle croise à nouveau ses proches, de Chico un dealer avec qui elle a grandi à Sally une amie à elle dont elle s’est éloignée. La langue de Seynabou Sonko est unique, c’est un mélange d’oralité, d’images marquantes, de puchlines. Elle décrit la marge, le regard stigmatisant notamment sur la maladie mentale. Le tout à travers le regard de Penda sur une situation qui n’a pas prévu de s’améliorer pour elle. Un roman à l’écriture travaillée, hâte de lire le prochain roman de cette autrice.

Djinns, ed. Grasset, 18,50 euros, 180 pages.

Encore vivant / Pierre Souchon

Un témoignage plein de justesse sur la bipolarité.

Pierre Souchon est journaliste pour le Monde diplomatique notamment et il relate dans ce livre son expérience de la bipolarité. À travers un texte émouvant et très bien écrit l’auteur aborde la question de la psychiatrie en France. Le rapport à la santé mentale de la population et le regard que portent les gens sur ces personnes stigmatisées en un rien de temps. « Encore vivant » c’est aussi un livre sur un monde qui s’éteint, le monde paysan. En effet l’auteur est issu d’une famille de paysans et voit l’environnement agricole changer sous ses yeux. On pense à la justesse du ton d’un livre comme « Pleine terre » de Corinne Royer (si vous ne l’avez pas lu celui-ci foncez). Avec l’arrivée de la concurrence, les nouvelles machines, etc, le métier d’agriculteur est en perte de sens et ce livre poignant l’illustre très bien. Avec une écriture ciselée et une gouaille bien à lui sur certains passages, on découvre un auteur qui tente de surnager à travers sa pathologie.

Encore vivant, ed. Actes Sud, 8,30 euros, 288 pages.

Mes fous / Jean-Pierre Martin

Un très beau roman sur des marginaux dont on parle peu.

Sandor souffre ou du moins est atteint d’un « excès d’empathie ». Il capte et reconnaît les personnes qu’il croise dans les rues de Lyon et qui lui semble en décalage avec le monde extérieur. Il répère les « fous » et revient les fréquenter ensuite au détour de ses déambulations, en revenant tailler le bout de gras avec eux par exemple. Sandor déambule car il est en arrêt de travail et il a le temps d’exercer ce drôle de passe-temps. Il est aussi un fin observateur de sa famille proche. Une famille que l’on pourrait qualifier de dysfonctionnelle et qui ne se trouve pas bien loin des « fous » que Sandor côtoie.

Avec « Mes fous », l’auteur écrit un très beau livre sur les nuances qui existent entre le normal et le pathologique. Il relève à travers les points de vue de son personnage Sandor, un point de vue plus global. Celui que porte la société sur la folie, sur la psychiatrie et sur ces personnages en marge. Des personnages qu’on laisse de côté, qui ne mérite plus notre attention. Des « corps errants » pour reprendre la très belle expression de l’auteur.

Sans être dénué d’empathie et avec un ton très juste, Jean-Pierre Martin invite les lectrices et les lecteurs à une réflexion sur la question. Sandor développe sa pensée au fil du récit et ce n’est jamais manichéen bien au contraire. Le personnage principal est touché par ces marginaux et à la lecture de ce livre nous aussi.

« J’ai aussi une fibre ethnographique. J’aurais volontiers pratiqué l’observation participante ».

« C’est vrai que j’ai tendance à voir la folie partout, à débusquer sa menace, chez moi ou chez les autres, à travers des signes légers : une parole exagérément volubile, l’hystérie d’un geste, le mutisme glaçant d’un poisson froid, la logorrhée d’un monologuiste. Les fous et les demi-fous me magnétisent. À moins que ce ne soit le contraire. Je ne peux pas détourner mon regard. Je suis prêt à les suivre tel un privé qui aurait renoncé à la filature et adopté la méthode directe.
Fou n’est pas le mot, même si je le prononce avec affection. Je préfère dire : corps errants. Je les appelle ainsi pour tenter de leur rendre un peu de leur noblesse. »

« Est-ce que j’attire les fous, ou bien est-ce que c’est moi qui cherche leur compagnie ? Quelquefois j’aimerais échapper à cette manie qui est la mienne, décider de ne plus prêter attention. Mais les corps errants saisissent comme personne les fragilités alentour. »

Mes fous, Ed. de l’Olivier, 17 euros, 160 pages.

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