Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans / Anne Plantagenet

Un livre qui restitue le parcours d’une femme détruite par l’usine, ses conditions de travail et sa logique de rentabilité.

Anne Plantagenet raconte comment le travail à la chaine et la logique de rentabilité détruisent progressivement la vie d’une femme. Une femme qui disparait à Marseille dans une clinique en juin 2022. Une femme engagée dans son entreprise et qui est écartée de façon pernicieuse par les responsables. L’autrice s’attarde sur ce destin à la suite d’une rencontre avec cette femme, Letizia Storti, qui travaille depuis plus de 36 ans dans son entreprise lors de la rencontre. Un parcours de vie qui se complique progressivement et qui finit par mener à l’hospitalisation. On pense à la justesse de Joseph Ponthus pour restituer l’impact du travail à la chaine sur les corps, sur la vie des ouvriers et des ouvrières. Un livre poignant qui s’arrête sur des vies oubliées, des marges invisibilisées.

Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans, ed. Seuil, 17,50 euros, 160 pages.

Ce prochain amour / Nora Benalia

Le parcours d’une narratrice en colère, contre les normes et les injonctions lorsque l’on est une femme.

Ce livre est une claque. Un livre plein de rage, qui marque par sa sincérité. L’autrice écrit en partie sur sa vie à travers la narratrice, sur la violence que cela représente d’être une femme dans la société aujourd’hui. Que ce soit à travers la maternité, la famille, la sexualité ou le rapport aux hommes, Nora Benalia fustige les inégalités de genre avec une justesse rare dans de courts chapitres. La narratrice s’adresse au lecteur sans détour. Le constat est amer et la plume acérée.

extraits : « C’est quand même curieux de mettre toutes ces qualités dans l’organe le plus fragile du corps humain : le courage de l’homme est dissimulé là, à un endroit qu’un simple coup de genou peut réduire à néant. »

« Courber l’échine, travailler, brader son temps et ses compétences, suivre la scolarité de ses enfants, être considérée comme une assistée en touchant la CAF, comme une mauvaise mère en n’étant pas suffisamment présente, comme une mauvaise employée en n’étant pas suffisamment investie, être une femme invisible, fatiguée et défraîchie, mauvaise en tout, bonne à rien, mais sourire bravement quand on nous flatte pour notre sacrifice, comme un chien qui remue la queue. »

« Pas un jour ne passe sans que je ne sois jugée, y compris par mes enfants, maintenant qu’ils sont adolescents. Je suis la méchante qui fait bouffer des légumes ou qui ne cuisine que des pâtes parce qu’elle en a marre, mais qui, quoiqu’il en soit, se prend toute leur colère en permanence dans la gueule, parce qu’elle est là.
Elle est là, encore, dans les cabinets de psy, les réunions de professeurs, les conseils de classe. Devant l’école, au supermarché. À dire non au cahier à spirales.
Elle est là et elle est nulle. »

Ce prochain amour, ed. Hors d’atteinte, 17 euros, 208 pages.

Bien trop petit / Manu Causse

La découverte de la sexualité à travers le regard d’un lycéen qui tente de composer avec ses complexes.

Manu Causse s’attarde sur un lycéen qui reçoit des brimades de certains élèves de sa classe. Tout commence à la piscine lorsque la taille de son sexe est moquée. Grégoire a du mal avec ces moqueries et il finit par ne plus penser qu’à cela. Puis à ne plus aller en cours du tout. Ses parents commencent à s’inquiéter, mais lui pas tant que ça puisqu’il se réfugie dans l’écriture. L’écriture de petites fictions érotiques un peu à la manière des fanfictions. Il se prend au jeu et rencontre des lecteurs en ligne avec qui il échange, notamment un lecteur mystérieux qui se passionne pour ses textes. Manu Causse écrit un roman malin qui parlera à de nombreux adolescents (et adultes). Il est question de pouvoir de la fiction, du rapport au corps pendant les années lycée ou des imaginaires érotiques qui sont véhiculés ou non à cette période de la vie. « Bien trop petit » est roman plein de justesse qui vaut le détour et qui peut ouvrir des discussions. Ajoutez à cela de petites touches d’humour vous avez un très bon petit bouquin. Définitivement une collection à découvrir.

Bien trop petit, ed. Thierry Magnier, coll. L’Ardeur, 15,90 euros, 400 pages.

Juste avant que / Joanne Richoux

Une collection à découvrir.

De plus en plus, elle adore retrouver son meilleur pote dans sa chambre, chez lui. Elle se rend compte qu’elle a une attirance qui grandit pour lui et que ça dépasse les limites de l’amitié. Ça la trouble. Elle a du mal à suivre ce trop-plein qui la submerge. Et lorsque les deux amis se retrouvent de nouveau dans sa chambre à lui, les évènements vont aussi s’accélérer à l’extérieur. Est-ce que ce sont des manifestations qui dégénèrent ? Est-ce que le climat est définitivement en train de partir en live ? Le réseau saute, internet aussi. Les repères volent en éclat. Rien n’est certain, mais ce qui est sûr c’est qu’un sentiment d’urgence s’invite chez les deux adolescents au fil du récit. On apprend à les découvrir dans ce contexte et sous la plume de Joanne Richoux qui sonne juste. Leurs relations, leur façon d’appréhender leur corps, le corps des autres, la famille, le sentiment d’urgence permet de se dévoiler. « Juste avant que » est un roman étonnant et prenant, très bien écrit. Je découvre la collection « L’ardeur » chez Thierry Magnier et je suis très curieux d’en lire un autre.

extrait : « On regarde alentour. Plusieurs bagnoles freinent le trafic, elles sont en diagonale, leurs capots fument. Des pompiers klaxonnent, les dépassent. Y a plus urgent ailleurs ? »

Juste avant que, ed. Thierry Magnier, coll. L’ardeur, 13,90 euros, 119 pages.

Tumeur ou tutu / Léna Ghar

Un premier roman qui déploie toute une vision de la société avec lucidité.

Dans un récit qui restitue le langage d’une enfant de trois ans puis d’une enfant qui grandit jusqu’à ses vingt-cinq ans, Léna Ghar travaille la langue et la forme de manière singulière. On découvre une narratrice qui à travers des inventions langagières tente de comprendre le monde qui l’entoure, sa famille proche. Et elle y parvient avec précision et en même temps a un regard désabusé. On sent qu’elle traine un traumatisme au fond d’elle-même, qu’il est là tout au long du texte, mais qu’il n’est jamais dit. Les questions du corps et des sensations sont aussi essentielles dans le travail de la romancière et dans les différentes expériences que traverse sa narratrice. C’est toute une vision de la vie qui transparait derrière la parole de l’enfant. Une parole en construction qui est souvent mise en opposition à celle de l’adulte. « Tumeur ou tutu » est un premier roman à découvrir, pas forcément évident d’entrer dans la langue au début, mais ça vaut le coup de se laisser porter.

extrait : « La meute obscène me salit tout à l’intérieur, comme si des loups s’entretuaient jour et nuit dans ma rivière de vase. Ma nuque se gorge de boue en plein milieu de n’importe quoi, n’importe quand, surtout quand je m’amuse et que pour une fois je ne pense pas à elle, comme le jour où Grandoux est revenu nous chercher avec Petit Prince pour qu’on aille se baigner. »

Tumeur ou tutu, ed. Verticales, 19,50 euros, 224 pages.

Une maman parfaite / Marie-Fleur Albecker

Une trentenaire et son rapport à la maternité, avec toutes les injonctions sous-jacentes.

Du désir d’enfant à l’accouchement en passant par le post-partum, Marie-Fleur Albecker prend le temps de décrire l’expérience d’une trentenaire de l’intérieur. Le regard des autres sur le corps de la femme enceinte, les changements dans la relation intime d’un couple, les injonctions toujours plus nombreuses provenant de la famille, du gynécologue, des amies. Anne est féministe et engagée et conçoit ce projet d’avoir un enfant comme celui d’un couple. Un projet réfléchi et qui renforce tous les acteurs. La réalité va être amère et bien plus complexe. Le sentiment fusionnel espéré (et ressenti par son amie Louise, mère célibataire) est loin de se mettre en place. Anne rame et lutte. La fatigue, le regard des autres toujours, le manque de sommeil, la dépression du post-partum, tout y est. Et pourtant Anne réalise qu’elle fait comme elle peut. Elle compose avec ses jugements, tâtonne, utilise son expérience de professeur des écoles mais surtout culpabilise de moins en moins. Marie-Fleur Albecker écrit sur la grossesse et tout ce qui l’entoure et un peu comme dans « In carna » de Caroline Hinault, ce livre offre un témoignage sensible et à partager sur un sujet qui charrie de nombreuses idées reçues.

extrait : « Les femmes sont quand même les seules à qui on arrive à faire croire que souffrir est un pouvoir.
Non, souffrir c’est souffrir : si les mecs accouchaient, on serait sur des césariennes programmées avec assistance post-partum depuis la fin du XIXe siècle, croyez-moi. »

A paraître le 26 janvier.

Une maman parfaite, ed. Aux forges de vulcain, 20 euros, 272 pages.

Vierge / Constance Rutherford

Un premier roman malin qui questionne avec justesse les normes autour du désir et du corps.

Maxine a vingt-cinq et se pose pas mal de questions. Le reste du temps, elle est surveillante dans un collège et observe les jeunes se chercher entre eux. Son entourage et ses potes ont des relations, font l’amour et elle de son côté est encore loin de se projeter dans tout ça. Elle vit chez sa grand-mère avec qui elle s’entend à merveille et qui va lui offrir un stage de théâtre. C’est dans ce stage que Maxine va être confrontée à ses angoisses et à ses obsessions. Constance Rutherford écrit un premier roman plein d’humour, avec un regard aiguisé sur toute une génération. On assiste à quelques scènes bien pensées, à tout un questionnement sur le corps et sur le désir. Merci à Babelio pour la découverte de ce titre original qui sort le 23 août chez Harper Collins et qui ne se résume pas au simple roman d’apprentissage.

Vierge, ed. Harper Collins, 19,90 euros, 208 pages.

Le Pain nu / Mohamed Choukri

Une enfance écourtée dans le Rif marocain des années 1940.

Dans un récit autobiographique cru et sans détour, Mohamed Choukri écrit sur son enfance et sur les évènements qu’il a traversés dans sa vie et dans sa famille. De la grande pauvreté à la débrouille en passant par la vulnérabilité des enfants et la violence de son père, il décrit son enfance difficile dans le Rif Marocain des années 1940. Avec de courts dialogues et des phrases qui sonnent le lecteur, « Le pain nu » est une claque. Un court texte épuré paru en 1972. L’écriture lui permet de coucher sur le papier ses ressentis, ses souvenirs. L’auteur apprend très tard à lire et à écrire puis devient ensuite maitre d’école. Il a ce désir de s’adresser aux plus jeunes pour leur offrir ce que lui n’a pas eu dans son enfance. Une enfance terrible et écourtée que l’on découvre dans cette autobiographie. « Le pain nu » donne le sentiment qu’il ne l’a pas vécue justement cette enfance. À l’arrivée cela donne un livre réaliste au plus près des premières sensations de l’auteur.

Le Pain nu, ed. Points, 6,20 euros, 168 pages.

Fille / Camille Laurens

Ce que naître fille veut dire.

Laurence Barraqué grandit dans les années 60 à Rouen. Elle est la narratrice de ce roman qui dévoile dès les premières pages une rencontre avec une condition. Elle est une fille et perçoit progressivement qu’il aurait été plus simple pour elle qu’elle naisse garçon. Elle est une fille et elle comprend durant son enfance que c’est mieux qu’elle se taise, que c’est mieux pour elle qu’elle s’intéresse à certains sujets et pas d’autres. Elle comprend rapidement que sa relation aux hommes peut lui poser des difficultés voire pire. On suit la narratrice jusqu’au début des années 90 lorsqu’elle devient mère. Puis on voit grandir sa fille et la relation se tisse sous les yeux du lecteur avec sa mère. Une fille qui s’affirme et qui s’intéresse aux questions féministes contemporaines en offrant un nouveau prisme à sa mère. Une mère qui regarde comment grandit son enfant à l’orée de ce nouveau prisme, mais qui regarde aussi sa jeunesse avec ce nouveau prisme. « Fille » est un roman qui restitue comme rarement la condition féminine. Tout ce que peut traverser une femme dans une vie. Camille Laurens écrit un récit très juste et plein de petites observations, dans lequel la question du corps féminin est centrale. Le lecteur voit les petites mutations qui s’opèrent chez la narratrice et les luttes que cela sous-tend pour elle. Je lis un peu à la bourre ce bouquin qui avait eu un écho important à sa sortie. Je vous le conseille vivement.

Fille, ed. Folio, 8,70 euros, 256 pages.

La chair est triste hélas / Ovidie

Un témoignage qui sonne et qui fait réfléchir.

À travers une réflexion sur sa sexualité et sur son parcours de vie, Ovidie livre un témoignage sans détour. Avec beaucoup de sincérité elle déconstruit les comportements sexistes et violents des hommes qu’elle a pu croiser dans sa vie. L’autrice entame une grève du sexe pendant quatre ans et décide d’écrire sur son vécu par rapport aux changements que cela va occasionner dans sa vie, autour d’elle mais aussi les réflexions que cela amorcent. Ce livre découle de ce passage à l’écrit et on sent la colère qui affleure. C’est une lecture importante qui bouscule le lecteur et que je vous recommande. Vraiment un bouquin à partager autour de soi.

La chair est triste hélas, ed. Julliard, 18 euros, 160 pages.

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