Le Pain nu / Mohamed Choukri

Une enfance écourtée dans le Rif marocain des années 1940.

Dans un récit autobiographique cru et sans détour, Mohamed Choukri écrit sur son enfance et sur les évènements qu’il a traversés dans sa vie et dans sa famille. De la grande pauvreté à la débrouille en passant par la vulnérabilité des enfants et la violence de son père, il décrit son enfance difficile dans le Rif Marocain des années 1940. Avec de courts dialogues et des phrases qui sonnent le lecteur, « Le pain nu » est une claque. Un court texte épuré paru en 1972. L’écriture lui permet de coucher sur le papier ses ressentis, ses souvenirs. L’auteur apprend très tard à lire et à écrire puis devient ensuite maitre d’école. Il a ce désir de s’adresser aux plus jeunes pour leur offrir ce que lui n’a pas eu dans son enfance. Une enfance terrible et écourtée que l’on découvre dans cette autobiographie. « Le pain nu » donne le sentiment qu’il ne l’a pas vécue justement cette enfance. À l’arrivée cela donne un livre réaliste au plus près des premières sensations de l’auteur.

Le Pain nu, ed. Points, 6,20 euros, 168 pages.

La vallée des Lazhars / Soufiane Khaloua

L’immersion dans une vallée dans laquelle deux familles entretiennent une rivalité ancestrale.

Deux familles, les Ayami et les Hokbani habitent dans une vallée non loin de la frontière marocaine, la vallée des Lazhars. Une vallée qui a vu passer plusieurs générations et qui s’apprête à voir arriver les petits derniers notamment Amir Ayami. Un jeune homme né en France qui rentre avec son père voir sa famille et son cousin Haroun pour passer l’été. Et le temps d’un été il va redécouvrir comment ses proches ont grandi, comment les relations ont évolué au fil des années et surtout Amir va découvrir l’histoire de sa famille car son père ne lui a jamais raconté. Soufiane Khaloua écrit un très beau roman sur le temps qui passe et les générations qui se suivent. Amir débarque avec ses idéaux mais aussi avec ses à priori qu’il va apprendre à remettre en question le temps d’un été. Ce livre c’est aussi l’histoire d’une jeunesse qui se cherche à travers le poids des traditions et qui souhaite s’en émanciper. On est emportés par ces rivalités entre les deux clans et dans ces relations complexes qui se sont tissées au fil des décennies et qu’Amir découvre à son arrivée dans la vallée. L’auteur questionne ce qu’est l’identité et ses contours parfois flous. Durant cet été dans lequel Amir arrive, les deux familles vont aussi rencontrer plusieurs bouleversements et certains secrets vont ressurgir. « La Vallée des Lazhars » est un premier roman prometteur avec une plume sensible. Un roman qui démontre encore une fois tout le talent de la maison Agullo pour dénicher des textes singuliers et marquants. Un peu comme « Le livre de l’Una », une autre parution récente de cette maison d’édition.

La vallée des Lazhars, ed. Agullo, 21,50 euros, 278 pages.

Le ventre des hommes / Samira El Ayachi

Un roman écrit dans une langue pleine d’images et qui alterne entre tendresse et âpreté,

Novembre 2016, la police débarque dans la classe d’Hannah pour l’emmener au poste. C’est à partir de là que l’on se rend dans le passé de la professeur des écoles pour comprendre ce qui l’a mené à cet évènement, en partant de son enfance en 1987.

Dans ce retour dans le passé, on découvre une famille du Nord dans laquelle le père est venu du sud du Maroc pour travailler dans les mines. Hannah sa fille raconte les corons du Nord, la condition d’enfant d’immigré, la vie précaire de sa famille qui s’installe. Mais aussi une relation très forte entre son père et elle. Son père Mohammed, qui prend la parole dans le roman avec une langue poignante et qui relate son arrivée en France et les luttes qu’il a menées. J’ai lu plusieurs avis plutôt mitigés sur le décalage entre les combats passés du père dans les mines et les combats plus actuels de sa fille qui tente de composer avec les luttes passées et celles importantes pour elle. J’ai au contraire trouvé que ces parallèles étaient traités avec beaucoup de justesse, notamment l’évènement en 2016 qui lui vaut sa garde à vue. Un évènement symptomatique de notre époque et très rarement questionné dans la fiction. La lecture a aussi une place importante dans le roman. Hannah se construit par les livres, par les rencontres avec les bibliothécaires ou encore par la relation amour/haine qu’elle développe pendant son enfance avec Germinal l’œuvre de Zola. Une occasion pour l’autrice de rappeler les pouvoirs de la fiction, mais aussi ses ambivalences.

Ce roman est plein d’émotion. On retrouve la langue riche de Samira El Ayachi comme dans « Les femmes sont occupées ». Le tout sonne et rien n’est laissé au hasard pour servir les parfums de révolte des personnages. Il y a un réel travail sur la langue, que ce soit celle du père ou celle d’Hannah. « Le ventre des hommes » est un très beau roman et on tourne la dernière page avec un pincement.

Extrait : « Avec toutes ces dingueries du monde adulte que je ne comprends plus, le seul lieu qui me tient à l’aise avec le mensonge, c’est la lecture. Ici on ment ; c’est le but même de l’expérience, qu’on nous mente tellement. On nous raconte des histoires, on sait que ça ment comme un arracheur de dents, elle me ment la lecture, on le sait à l’avance, on se roule dans le mensonge comme de la farine et des œufs et c’est bon. Elle ment en jurant et en me regardant droit dans les yeux. »

Le ventre des hommes, ed. de l’Aube, 360 pages, 22 euros.

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