L’homme aux mille visages / Sonia Kronlund

Une enquête autour d’un imposteur insaisissable.

Un homme se fait passer pour ce qu’il n’est pas auprès des femmes qu’il rencontre. Ces dernières ne s’en rendent pas compte et le mensonge s’enracine jusqu’au jour où elles réalisent qu’elles ont été trompées. À partir de là elle ne le revoit plus, il ne laisse aucune trace. C’est sur cette affaire que Sonia Kronlund a fait des recherches, en allant à la rencontre des femmes victimes de ce mythomane en série. Derrière les apparences se cache un homme capable de tout, aux multiples prénoms et qui en même temps crée une fascination/répulsion pour l’autrice. Il va parfois loin dans la relation avec les femmes qu’il rencontre et joue sur de nombreux tableaux. Sonia Kronlund écrit un récit singulier qui se lit comme une enquête haletante et qui renvoie à de nombreux comportements masculins détestables de nos sociétés. Une enquête qui révèle un imposteur qui se joue de la réalité.

L’homme aux mille visages, ed. Grasset, 19 euros, 180 pages.

Au nom de Chris / Claudine Desmarteau

Découverte de l’autrice avec ce roman sur le harcèlement dans lequel la tension monte crescendo.

Ce bouquin a récemment reçu le prix Vendredi, qui récompense un ouvrage en littérature jeunesse et qui a déjà vu passer des lauréats à découvrir sans hésiter (notamment Sylvain Pattieu et sa série Hypallage). Avec « Au nom de Chris » de Claudine Desmarteau, on découvre un jeune collégien qui vit avec sa mère. Sa mère qui l’élève en le surprotégeant et en étant sur son dos à chaque instant. Adrien vit très mal cette situation et a le sentiment d’étouffer chez lui. Et au collège ce n’est pas beaucoup mieux puisqu’il se fait harceler et vit un véritable calvaire. Adrien décide alors à plusieurs reprises de se rendre en forêt en vélo près de chez lui. C’est là, pendant une de ces sorties, que le jeune homme rencontre Chris. Un homme avec qui il sympathise et qui commence à lui apprendre des choses sur la vie en forêt. Adrien est subjugué dans un premier temps et cette rencontre est une vraie bulle d’oxygène dans un quotidien qui ressemble à un enfer. La suite est moins reluisante et avec une langue unique et des chapitres courts, Claudine Desmarteau écrit un roman tendu, sur le phénomène de l’emprise.

Au nom de Chris, ed. Gallimard Jeunesse, coll. Scripto, 13,90 euros, 336 pages.

Fille / Camille Laurens

Ce que naître fille veut dire.

Laurence Barraqué grandit dans les années 60 à Rouen. Elle est la narratrice de ce roman qui dévoile dès les premières pages une rencontre avec une condition. Elle est une fille et perçoit progressivement qu’il aurait été plus simple pour elle qu’elle naisse garçon. Elle est une fille et elle comprend durant son enfance que c’est mieux qu’elle se taise, que c’est mieux pour elle qu’elle s’intéresse à certains sujets et pas d’autres. Elle comprend rapidement que sa relation aux hommes peut lui poser des difficultés voire pire. On suit la narratrice jusqu’au début des années 90 lorsqu’elle devient mère. Puis on voit grandir sa fille et la relation se tisse sous les yeux du lecteur avec sa mère. Une fille qui s’affirme et qui s’intéresse aux questions féministes contemporaines en offrant un nouveau prisme à sa mère. Une mère qui regarde comment grandit son enfant à l’orée de ce nouveau prisme, mais qui regarde aussi sa jeunesse avec ce nouveau prisme. « Fille » est un roman qui restitue comme rarement la condition féminine. Tout ce que peut traverser une femme dans une vie. Camille Laurens écrit un récit très juste et plein de petites observations, dans lequel la question du corps féminin est centrale. Le lecteur voit les petites mutations qui s’opèrent chez la narratrice et les luttes que cela sous-tend pour elle. Je lis un peu à la bourre ce bouquin qui avait eu un écho important à sa sortie. Je vous le conseille vivement.

Fille, ed. Folio, 8,70 euros, 256 pages.

Une fièvre impossible à négocier / Lola Lafon

Un premier roman plein de colère à l’écriture unique.

Lola Lafon écrit l’histoire de Landra, une jeune femme qui a été violée par l’homme en qui elle avait confiance un 14 septembre. Une date qui est un tournant pour elle et qui l’a fait entrer dans la seconde partie de sa vie. Une partie de sa vie dans laquelle elle va lutter pour avancer avec ce traumatisme. Mais aussi une partie de sa vie où elle décide de vivre dans des squats et où elle se rapproche des mouvements autonomes dans les manifestations. Des groupes qui participent à des actions qui ciblent directement des symboles du capitalisme lors des manifestations. Dans une langue qui restitue les émotions et les sensations avec une justesse rare, Lola Lafon écrit un roman à forte teneur autobiographique. Landra décide de convertir sa colère dans des actes solidaires, à travers la contestation. On suit ce personnage au regard lucide qui perçoit au fil de ses expériences la violence du monde et notamment celle des hommes. « Une fièvre impossible à négocier » aborde cette violence subie par les femmes et l’emprise souvent sous-jacente derrière les comportements des hommes. On distingue déjà les thèmes qui vont revenir dans les livres de l’autrice comme dans son dernier roman « Chavirer ». « Une fièvre impossible à négocier » est un premier roman qui met une vraie claque.

Une fièvre impossible à négocier, ed. J’ai Lu, 6,20 euros, 288 pages.

De femme en femme / Hélène Couturier

Un singulier roman noir sur la violence faite aux femmes et ses origines.

Ilyas à 40 ans, il fait du Krav-Maga et adore danser. Dans ce polar il se raconte à la première personne, que ce soit dans son rapport aux femmes qu’il rencontre ou dans son rapport à sa mère. Il entretient un singulier respect pour les femmes qui l’entoure, avec une idée bien à lui de ce respect. Un soir, il fait la rencontre d’une flic et les évènements vont se précipiter à partir de là. Le lecteur découvre progressivement la personnalité de cet homme et la tension augmente crescendo. On est dans la tête d’un personnage torturé, qui insinue petit à petit une forme de malaise chez le lecteur. On découvre aussi des portraits de femmes sous la plume d’Hélène Couturier et à travers les yeux d’Ilyas. « De femme en femme » laisse sonner le lecteur une fois la dernière page tournée. Un sacré roman noir dans lequel on a le sentiment qu’une violence sourde n’est jamais bien loin.

De femme en femme, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 20 euros, 280 pages.

L’homme que je ne devais pas aimer / Agathe Ruga

Les méandres d’une relation toxique.

Ariane vit avec son mari et ses trois enfants un quotidien qui la comble jusqu’au jour où elle croise un homme dans un bar qui va devenir une obsession. Un homme qui va littéralement chambouler son quotidien et en même temps qui va lui rappeler les figures masculines qu’elle a croisées tout au long de sa vie, à commencer par son père. Agathe Ruga écrit avec beaucoup de réalisme sur les sentiments, le couple et les épreuves du temps sans tomber dans le cliché ou dans le pathos. C’est tout en nuances que l’on découvre la vie d’Ariane avec ses enfants et les sentiments qu’elle éprouve depuis cette rencontre. Des sentiments qu’elle tente de refouler à certains moments, parfois en vain. Souvent en vain. L’emprise se découvre petit à petit. C’est aussi un roman sur la famille, notamment les familles recomposées et c’est assez rare pour être surlignés. Ce sujet est rarement traité dans les romans ou du moins peu en profondeur.

L’homme que je ne devais pas aimer, ed. Flammarion, 19 euros.

La fille qu’on appelle / Tanguy Viel

Les rouages insidieux d’une emprise, celle d’un homme politique sur une jeune femme.

On ne sait pas ce que Laura a traversé mais elle doit se rendre au commissariat. L’accueil y est compliqué mais elle doit s’y rendre. Les propos sont confus mais elle souhaite témoigner. Pour quelle raison ? Le lecteur ne le sait pas au début de ce roman.

Et petit à petit, au fil des retours en arrière on commence à comprendre ce qu’il lui est arrivé. Elle, la fille du boxeur connu du coin. Elle qui est rentrée de Rennes pour retrouver sa ville natale et pour habiter chez son père. Arrivée depuis peu, Laura cherche un logement. Son père sans imaginer la suite une seconde, lui propose de rencontrer le maire pour que Laura le sollicite dans ce sens. C’est là que tout commence.

Tanguy Viel restitue une emprise qui s’insinue progressivement. « La fille qu’on appelle » est très bien écrit et aborde avec beaucoup de justesse la question du consentement et l’emprise des hommes, notamment les hommes de pouvoir. L’auteur capte toutes les nuances chez la victime comme chez l’agresseur, on sent l’engrenage se mettre en place et réduire au silence les prises de décision de Laura.

extrait : « Donc vous l’avez fait de votre propre volonté ?
Non, je vous dis, c’était ce que je devais faire, ça ne veut pas dire que c’était ma volonté.
Et les deux flics commençaient à s’agacer […] »

La fille qu’on appelle, ed. de Minuit, 16 euros, 176 pages.

Le Mal-épris / Bénédicte Soymier

Un roman sur l’emprise et la violence des hommes envers les femmes.

Paul vit seul dans son appartement et travaille au guichet d’une poste. Il tente de surnager dans un quotidien qu’il trouve bien morose jusqu’au jour où une nouvelle voisine emménage en face de chez lui. Cela va chambouler ses habitudes et le lecteur entre dans la tête d’un personnage qui tend vers le malsain et développe une attirance pour cette femme. On se retrouve dans les pensées de Paul et on voit arriver inéluctablement des évènements que l’on redoute. L’auteure questionne les raisons qui font que Paul change, devient obsessionnel devant les rencontres qu’il fait.

Bénédicte Soymier avec une écriture scandée et sans fioriture, nous fait entrer dans la tête de ce personnage introverti, à l’enfance difficile. L’économie de mots va droit au but. Les sonorités participent à l’immersion dans l’histoire. Derrière les traits de caractère de Paul on distingue des comportements sexistes, misogynes ou égoïstes. Plus globalement, des comportements et des mécanismes que l’on peut retrouver chez de nombreux hommes. Et c’est une des forces de ce roman, mettre la lectrice ou le lecteur sur une ligne de crête entre ce qu’il va advenir et le passé de Paul qui pourrait expliquer des choses. L’auteure insinue très bien ce sentiment de malaise, qui diffuse au fil du récit. On distingue les mécanismes d’emprise, les états qui mènent à la sidération d’un coté chez une femme. Et d’un autre côté on distingue un passé, un environnement familial qui amène contre le gré du lecteur à développer de l’empathie pour le personnage principal et ses réactions. Ce roman remue et questionne, tout en faisant apparaître au grand jour des façons de faire plus courantes qu’on le pense chez les hommes.

Le Mal-épris, ed. Calmann-Levy, 18,50 euros, 336 pages.

Chavirer / Lola Lafon

Un livre incontournable.

Je découvre Lola Lafon avec ce roman de la rentrée littéraire et c’est une véritable claque. Le ton singulier et les chapitres courts maintiennent le lecteur dans le récit et j’ai été happé du début à la fin. L’auteure traite les mécanismes de prédation des hommes sur des adolescentes mais aussi la culpabilité subit par les femmes plus tard dans leurs vies (et les ambivalences pour elles qui vont avec).

Les pensées et les fonctionnements des nombreux personnages autour de Cléo sont très bien retranscrits et cela favorise l’immersion dans le récit. C’est un livre qu’on a envie de relire pour réfléchir à des passages, à des réflexions. Un livre important à prêter autour de soi pour en discuter.

« …elle s’est fabriqué un lexique du silence. L’horizon est empoissonné. »

Au passage je vous conseille l’écoute de l’émission récente de Marie Richeux (Par les temps qui courent sur France Culture) où Lola Lafon est invitée. Cet entretien prolonge à merveille la lecture du roman.

Chavirer, Ed. Actes Sud, 20,50 euros, 352 pages.

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