Rouvrir le roman / Sophie Divry

Un nouvel essai sur l’art du roman mais surtout un essai à l’approche originale.

Un essai stimulant sur le roman et ses définitions multiples. L’autrice s’attarde sur ce qui forme une fiction, de l’accueil en maison d’édition au contenu en passant par la question du temps de création, l’art du dialogue ou le genre littéraire. « Rouvrir le roman » est un essai clair et documenté qui donne aussi envie de découvrir de nouvelles lectures. Un peu comme dans le livre de David Meulemans aux forges de vulcain sur la question de la création, l’approche est originale ici aussi. C’est percutant, ça laisse à penser et si vous ne connaissez pas la romancière ça fait une jolie porte d’entrée dans son travail.

Rouvrir le roman, ed. J’ai lu, 7,10 euros, 196 pages.

Okavango / Caryl Ferey

Le dernier polar de Caryl Ferey avec la question du trafic des animaux sauvages pour thème central.

Dernier polar en date de Caryl Ferey et cette fois-ci direction une réserve animilière à la frontière namibienne, non loin du fleuve Okavango. La ranger Solanah Betwase est sollicitée pour se rendre sur la réserve à la suite de la découverte d’un corps sans vie. Un jeune homme qui semble avoir été assassiné au milieu de la brousse. La ranger qui n’a pas l’habitude de gérer des meurtres se retrouve sur cette affaire car il semblerait que ce meurtre soit lié a du braconnage, une pratique interdite et courante dans la région, qui brasse des sommes astronomiques d’argent. Solanah et son collègue Seth ne sont pas au bout de leurs surprises lorsqu’il font la connaissance du gérant de la réserve animalière, l’énigmatique John Latham. Ce propriétaire de réserve est un personnage complexe et on a bien du mal dès le début du roman noir à comprendre si cet homme peut devenir un ennemi ou un ami pour Solanah. Sa relation aux animaux notamment est ambiguë et Solanah se méfie. Le rythme est toujours aussi enlevé comme souvent chez l’auteur, la documentation est fournie et c’est tout un trafic autour des animaux sauvages que l’on découvre dans ce polar qui fait un peu penser au travail de Colin Niel dans un autre roman, « Entre fauves ». « Okavango » est un roman noir dans lequel on sent la colère de l’auteur affleurée derrière ses personnages. Au passage et c’est loin d’être évident, on découvre une nature très bien décrite à travers des atmosphères et les comportements des animaux.

Okavango, ed. Gallimard, coll. Série noire, 21 euros, 544 pages.

L’Enfer / Marin Ledun

Un court roman noir réaliste et saisissant sur les bagnes en Guyane.

Les « îles du Salut » forment un archipel appartenant à la Guyane. Une partie des bagnes de Guyane sont situés sur ces îles et de nombreux prisonniers sont envoyés en détention par la France jusqu’à leur fermeture en 1947. Dans ce petit roman noir, nous sommes au milieu du XIXe siècle. Ahmed, un jeune homme de 19 ans fait partie de ces prisonniers et est loin d’imaginer l’enfer qu’il s’apprête à découvrir. Il est envoyé en détention pour non-respect du couvre-feu, alors qu’il cherchait à rejoindre la jeune fille dont il est amoureux, un soir d’été à Oran. Ahmed arrive dans ce bagne après plusieurs étapes et découvre les travaux forcés dans des conditions météorologiques difficiles, sept jours sur sept. Il se lie avec André un autre détenu qui est là depuis plus de quatre ans, mais malgré cette protection son quotidien est quasi invivable. Ahmed repère un jour une jeune fille qu’il imagine avoir pas plus de dix ans. La petite fait des allers et retours à l’hôpital en étant accompagnée d’un officier. Les journées du jeune homme changent et il attend de croiser le regard de cette jeune fille qui lui offre un tout petit moment d’espoir dans ses journées de douze heures à tailler de la pierre. Marin Ledun écrit un roman noir qui touche le lecteur et qui se lit d’une traite. La beauté peut aussi côtoyer le pire et c’est le cas dans ce court polar pour la jeunesse. On est touché par le destin de ce détenu et par son incompréhension face à la violence du monde et face à la détention. Ahmed a des forces insoupçonnées et lorsqu’il croise le regard de cette petite fille cela va l’aider à lutter au quotidien contre la fatigue, la faim et la solitude. Encore une très belle trouvaille de la collection « Faction » chez in8.

L’Enfer, ed. in8, coll. Faction, 8,90 euros, 112 pages.

Journal d’un scénario / Fabrice Caro

La dernier roman de Fabrice Caro s’attarde sur l’industrie du cinéma et ne la loupe pas.

Boris vient de terminer son scénario. Une histoire d’amour pleine de poésie dont il est fier et qu’il présente à un producteur. Une tragédie amoureuse appelée « Les servitudes silencieuses ». Le producteur décide d’en faire un film et Boris exulte, il n’en revient pas. En parallèle il rencontre Aurélie une passionnée de cinéma. Il lui parle de son film et les deux personnages ont des discussions enflammées à ce sujet. Dans les romans de Fabrice Caro le burlesque n’est jamais loin et tout peut déraper d’un moment à l’autre. Ça ne loupe pas pour Boris lorsque son producteur commence à lui dire qu’il faudrait changer le rôle-titre du film et apporter quelques modifications. Boris doute et commence à se dire que le film s’éloigne de son scénario initial. La spirale est lancée et on se régale à suivre ce looser qui se laisse complètement manipuler et qui dans le même temps est dépassé par la trajectoire que prend son fameux scénario. « Journal d’un scénario » n’est peut-être pas le meilleur de l’auteur, mais offre assurément un bon moment de lecture. Au passage les quelques petits pics sur le cinéma et son industrie sont plutôt bien vus.

Journal d’un scénario, ed. Gallimard, coll. Sygne, 19,50 euros, 208 pages.

Des impatientes / Sylvain Pattieu

Les trajectoires de deux jeunes filles, d’un lycée en éducation prioritaire au monde du travail.

C’est un lycée de banlieue en éducation prioritaire avec toutes les représentations qu’il y a derrière. Bintou et Alima sont deux élèves de ce lycée au parcours différent. La première est en opposition régulièrement avec l’équipe enseignante, ses résultats en pâtissent et il lui arrive aussi de sécher des cours. La seconde s’oriente dans la section scientifique et a de très bons résultats. Plutôt discrète elle est repérée pour faire partie des filières sélectives pour accéder à Sciences Po. Sous la forme d’une discrimination positive, plusieurs élèves des établissements classés en éducation prioritaire ont l’opportunité d’accéder à ces filières très sélectives. Alima en fait partie. Jusqu’au jour où durant un cours un évènement va faire basculer le quotidien des deux filles. L’intrigue s’accélère et sans en dire trop, toute la deuxième partie du livre peut démarrer. Une seconde partie dans laquelle on continue de suivre la trajectoire de ses deux jeunes filles attachantes et qui se battent contre les stigmatisations dont elles font l’objet. Sylvain Pattieu écrit un roman avec le juste dosage entre la documentation sur son sujet et une histoire touchante et réaliste. les personnages sont travaillés sans tomber dans certains clichés, comme dans « Le grand secours » de Reverdy lu cette année. Bintou et Alima ont de l’énergie à revendre et elles vont le faire savoir dans ce roman à découvrir.

Des impatientes, ed. Actes Sud, 8,50 euros, 272 pages.

La mariée de corail / Roxanne Bouchard

Seconde aventure de l’enquêteur Moralès dans un cadre toujours aussi dépaysant.

Angel Roberts est capitaine de son homardier au milieu des hommes en Gaspésie. Une femme dans un monde d’homme. Chaque année, elle fête son anniversaire de mariage avec Clément Cyr son conjoint. Elle remet pour l’occasion sa robe de mariée et cette année les choses ne vont pas se passer comme d’habitude. On retrouve dans ce roman noir l’enquêteur Joaquin Moralès depuis peu dans la région. Son fils Sébastien débarque pour le rejoindre suite a une relation difficile avec Maude sa conjointe. Un fils qui a du mal à comprendre son père et qui en même temps permet au lecteur de découvrir une nouvelle facette de Moralès, en tant que père. Sébastien se sent comme un poisson dans l’eau au milieu des pêcheurs et s’intègre bien aux coutumes du coin. Il tente aussi de recréer une relation avec son père et c’est très bien amené par la romancière. Après avoir quitté une affaire où une femme a pris une place importante dans sa vie dans le roman précédent (« Nous étions le sel de la mer »), l’enquêteur Joaquin Moralès se dirige vers une intrigue avec une disparition inquiétante. Roxanne Bouchard campe à nouveau l’atmosphère particulière du bord de mer Gaspésien que l’on trouvait déjà dans le précédent roman. Les marins vivent parfois en vase clos avec la communauté sur terre et Moralès n’est pas toujours le bienvenu. Notamment lorsqu’il met le nez dans les affaires des uns et des autres pour son enquête et qu’il découvre des magouilles derrière les faux semblants. « La mariée de corail » est un polar qui sent bon l’air marin et qui sonne juste. On s’attache à cet enquêteur qui se cherche et qui en même temps a du mal à suivre les ruses des habitants du coin.

La mariée de corail, ed. de l’Aube, 22 euros, 456 pages.

Ordalie / Morgan of Glencoe

La suite des aventures du Yuri qui a bien évolué dans ce troisième tome.

Je continue la série de « La Dernière Geste » avec « Ordalie », le troisième tome des aventures de la jeune Yuri. Au début de ce troisième tome elle vit en Keltia depuis plusieurs mois, elle a muri et Louis-Philippe de son côté règne sur le royaume de France. Les deux pays ne s’entendent toujours pas et les choses vont déraper dans ce troisième roman. Une guerre mondiale couve mais des solutions existent. Yuri va devoir revenir dans le Royaume de France en tant qu’ambassadrice de Keltia pour apaiser les tensions mais elle ne sera pas la seule à agir dans ce sens. On retrouve avec beaucoup de plaisir les personnages de Morgan of Glencoe. Du jeune Pyro à Yuri en passant par le roi Louis-Philippe ou la capitaine Trente-Chênes. Les parallèles malins avec la société contemporaine et le monde imaginaire de l’autrice sont toujours aussi savoureux. C’est par exemple une altercation raciste envers les fées qui est en grande partie à l’origine des tensions entre les deux royaumes. Morgan of Glencoe rend ses personnages complexes, attachants et ils évoluent d’un bouquin à l’autre. On est embarqués dans les aventures et les passages touchants alternent avec les passages plus dramatiques. L’humour n’est pas en reste, comme dans les deux premiers romans. Je vous invite à découvrir cette très belle série de Fantasy où la diplomatie tient une place centrale dans les intrigues, que ce soit à petite échelle ou à grande échelle, les enjeux s’imbriquent très bien dans le Paris du XVIIIe siècle. C’est une pentalogie qui est annoncée et on ne peut que se réjouir de retrouver bientôt la suite (suite que l’on entraperçoit d’ailleurs à la fin du roman). On aime aussi retrouver l’art du dialogue de la romancière qui ne laisse rien au hasard, comme lorsqu’il est question du statut des personnages féminins par exemple. Du très bel ouvrage du début à la fin.

Ordalie, ed. ActuSF, 17,90 euros, 485 pages.

L’Ange rouge / François Médéline

Un roman noir (très) sombre et prenant dans la ville des gones.

Alain Dubak et son équipe de la police criminelle vont se retrouver sur une affaire sordide fin des années 90. Un cadavre est retrouvé alors qu’il dérive sur la Saône sur un radeau. Mutilé, il est retrouvé dans une mise en scène glauque et Alain Dubak n’est pas au bout de ses peines pour donner du sens à ce premier meurtre qui en appelle d’autres. Le commandant peut compter sur son équipe. Flic intègre et qui traîne ses vieux démons notamment lorsqu’il travaillait pour les STUPS ou lorsqu’il pense encore à son ex compagne, il ne va rien lâcher. Entre les médias aux aguets et la hiérarchie qui préfère trouver un coupable au plus vite, l’équipe de Dubak va être embarquée dans une enquête complexe. Le tueur n’a pas prévu de s’arrêter. C’est rythmé, sombre et très efficace. On sent que François Médéline a une affection toute particulière pour Ellroy. « L’ange rouge » est un pur roman noir qui ne s’essouffle pas et qui nous montre une part sombre de Lyon. La ville et son atmosphère font parties intégrantes du récit tout comme la politique. Les personnages sortent de l’ordinaire et restent ambivalents tout au long de l’histoire. Mention spéciale à Mamy, seconde dans l’équipe de Dubak et lucide comme jamais sur ce qui se déroule devant leurs yeux. J’avais un très bon souvenir de « Les rêves de guerre » et je retrouve avec plaisir François Médéline dans « L’ange rouge », un polar qui envoie du bois et à la construction précise. On est à la limite du thriller et on a beaucoup de mal à lâcher ce roman noir. Redoutable.

L’Ange rouge, ed. La manufacture de livres, 20,90 euros, 506 pages.

Dernière station avant l’autoroute / Hugues Pagan

Le classique de Pagan, pur roman noir.

Un député est retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel. L’homme s’est suicidé et a laissé derrière une lui une disquette avec des données importantes que personne ne retrouve. Le commandant divisionnaire du 12ème arrondissement de Paris et qui travaille de nuit se rend sur les lieux et s’occupe de cette affaire. Malheureusement ces données vont attirer toutes les convoitises et elles demeurent introuvables. Le commandant devient une cible lorsque l’on apprend qu’il est arrivé le premier sur les lieux et qu’il a potentiellement embarqué avec lui cette fameuse disquette (une autre époque). L’intrigue n’est pas forcément des plus originales mais tout le sel des romans d’Hugues Pagan ne se trouve pas là. L’auteur écrit avec des images marquantes et campe comme dans « Le carré des indigents » son dernier roman noir en date, une ambiance pesante et poisseuse. Son personnage a bien d’autres problèmes à traiter que cette histoire de disquette et l’on apprend à le connaître au fil du roman. Un homme désabusé, torturé, en quête de sens dans son quotidien et mélomane à ses heures perdues. Un homme qui connaît comme personne la misère humaine et qui décèle avec une acuité rare les parts d’ombre chez ses interlocuteurs. Il travaille de nuit et ça lui va très bien. Il est embarqué à son insu dans cette histoire de disquette et même si au début il en a strictement rien à faire, les choses ne vont pas se simplifier pour lui. « Dernière station avant l’autoroute » est un polar bien sombre, plein de poésie dans lequel on retrouve le ton unique et travaillé de Pagan.

Dernière station avant l’autoroute, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 8,50 euros, 432 pages.

Sous la ville rouge / René Frégni

Trajectoire d’un écrivain marseillais qui ne parvient pas à se faire éditer, sous la plume de René Frégni.

Charlie vit à Marseille et fait de la boxe dans un petit club de son quartier. Le reste du temps, il écrit chez lui et tente de se faire publier. Après de nombreux refus dans différentes maisons d’édition parisiennes, Charlie n’est plus très loin de se décourager. Pourtant il prend le pouls de sa ville comme personne. Mais rien à faire l’inspiration ne suffit pas et cela ne fonctionne pas. Jusqu’au jour où un éditeur le rappelle, son écriture lui plait et il souhaite le rencontrer à Paris. On retrouve les thèmes qui parcourent l’œuvre de René Frégni, de la prison au désir d’écriture en passant par la description de sa région et de Marseille. Les rencontres sont aussi très importantes et les personnages qui entourent Charlie sont marquants. L’auteur s’attarde sur des atmosphères et il saisit très bien celle de Marseille dans ce court roman qui peut se lire d’une traite. L’écriture est pleine de poésie et comme souvent chez l’auteur on passe un très bon moment de lecture.

Sous la ville rouge, ed. Folio, 6,90 euros, 144 pages.

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