Tu n’habiteras jamais Paris / Omar Benlaala

L’histoire individuelle du père de l’auteur croise celle d’un quartier, d’une ville.

L’auteur retrace le parcours de son père en lui donnant la parole. Au fil du dialogue, on découvre un homme venu de Kabylie jeune pour travailler en tant que maçon en France, dans des conditions difficiles. Son père se livre un peu comme dans des mémoires et l’on découvre un homme qui découvre un pays avec en arrière fond du racisme à son arrivée en 1963. Bouzid explique à son fils Omar l’écrivain que petit à petit il trouve sa place et finit par défendre d’autres collègues ouvriers en se syndiquant. La lutte l’anime tout comme la défense des conditions de travail des maçons parisiens. Mais l’apprentissage est long et laborieux notamment son rapport à la lecture. En parallèle on découvre l’histoire étrangement similaire de Martin Nadaud, un homme qui vient de la Creuse au début du XIXe siècle. Ce dernier migre aussi vers Paris pour y travailler comme le père de l’auteur et il est maçon, et comme le père de l’auteur il va se politiser en devenant député. Une autre époque, mais une trajectoire similaire. Omar Benlaala écrit un livre touchant et construit sur ces deux trajectoires. Un livre qui raconte les migrations et le difficile sentiment de se sentir entre deux pays, entre deux mondes. Il y a aussi de très beaux passages sur la paternité de son père et l’arrivée de ses deux enfants, dont Omar le plus jeune qui finit par faire les quatre-cents coups lorsqu’il grandit. « Tu n’habiteras jamais Paris » est un livre à découvrir.

Tu n’habiteras jamais Paris, ed. Flammarion, 19 euros, 208 pages.

Les meufs, c’est des mecs bien / Mourad Winter

Le second roman de Mourad Winter, toujours aussi déjanté.

Wourad est en couple avec Adélaïde depuis deux ans et on découvre le personnage en train de faire une connerie au début du roman de Mourad Winter. De son côté Adélaïde souhaite parler à Sourad d’un changement radical qu’elle est en train de faire dans sa vie. Ajoutez à cela Junior, le pote cassos de Wourad qui n’en loupe pas une et vous avez le terreau d’un bon roman de Mourad Winter. Toujours aussi rythmé, avec des punchlines d’anthologie une ligne sur deux, l’auteur revient fort dans ce second roman et comme dans « L »amour, c’est surcoté », on prend beaucoup de plaisir à retrouver sa plume acerbe et cynique. Mourad Winter dote ses personnages d’une répartie unique, d’un humour noir que l’on retrouve que chez lui, et Wourad le personnage principal ne fait pas exception. On entre dans sa tête dans ce roman et on voit son quotidien partir en live sous nos yeux. Ses potes lui mettent la misère, sa copine est redoutable et ne le loupe pas dès que l’occasion se présente tout comme sa soeur Nora. Certains trouveront que c’est trop, d’autres auront du mal avec les multiples références du bouquin. Mais pour celles et ceux qui ont déjà adhéré à « L’amour, c’est surcoté », foncez vous procurer ce second bouquin. C’est toujours aussi bien vu et c’est un régal du début à la fin.

Les meufs, c’est des mecs bien, ed. Clique, 20 euros, 336 pages.

Littérature et révolution / Joseph Andras et Kaoutar Harchi

Un riche dialogue qui questionne le statut du politique dans la littérature.

Le livre est un long entretien entre Joseph Andras et Kaoutar Harchi. Différentes thématiques sont abordées au fil du dialogue. Le statut d’un auteur ou d’une autrice par rapport à son oeuvre, le rapport à l’écriture, le rapport au politique ou encore le rapport au salariat d’une profession finalement très précaire. On suit avec beaucoup d’intérêt les réflexions et notamment lorsque Kaoutar Harchi et Jospeh Andras reviennent sur la genèse de leurs bouquins ou sur la réception du grand public. « Littérature et révolution » est un essai qui ouvre de nombreuses perspectives et un peu comme le livre précédent de Clémentine Beauvais, il questionne notre rapport à la lecture en profondeur. Un riche essai à découvrir qui donne envie de relire les livres des deux auteurs. J’avais beaucoup aimé « De nos frères blessés » de Joseph Andras, une lecture qui m’avait soufflé à l’époque.

À paraitre le 12 janvier.

Littérature et révolution, ed. Divergences, 16 euros, 240 pages.

Comment jouir de la lecture ? / Clémentine Beauvais

Un court fascicule qui questionne avec malice le plaisir de lire.

Clémentine Beauvais aborde la question du plaisir de lire. Qu’est-ce qui fait qu’un bouquin nous plait, nous emporte ? Qu’est-ce qui fait qu’un bouquin nous parle plus qu’un autre ? L’autrice discute ce thème en mettant en évidence certaines personnes qui pensent que certaines lectures sont des lectures plaisir et que d’autres non. En réalité ce discours hiérarchise. C’est typiquement un discours réac et c’est un discours qui irrigue le système éducatif par exemple. D’un autre côté, il y a aussi le discours qui dit que le plaisir dépend du lecteur. Qu’il dépend des goûts de chacun et chacune. Là aussi ce discours a ses limites. Le plaisir ne dépend pas uniquement des gens, des goûts. Il y a « mille plaisirs de lire » différents pour citer Clémentine Beauvais. Et c’est vrai que ça aussi il faut l’aborder. Des textes existent qui nous sortent de notre zone de confort, des textes pas forcément agréables, mais qui marquent. L’autrice tend à valoriser un plaisir nuancé et complexe. Et pour cela elle s’appuie sur des auteurs et autrices, sur des œuvres. On y aborde l’importance du politique dans certains livres, qui donnent envie de passer à l’action, d’autres font réfléchir sur l’existence, d’autres encore sont addictifs un peu à la manière d’une série, d’autres donnent envie de lire à voix haute, etc. À l’arrivée cela donne un court fascicule stimulant qui fait réfléchir sur notre rapport à la lecture.

Comment jouir de la lecture ?, ed. La Martinière, coll. ALT, 3,50 euros, 32 pages.

Écoute les murs parler / Ixchel Delaporte

Un livre documentaire sensible, sur une spécialité de la médecine stigmatisée et méconnue.

La journaliste Ixchel Delaporte s’est rendue dans un hôpital psychiatrique à Cadillac pour s’arrêter sur la trajectoire des patients et sur les conditions de travail des soignants. Cadillac est une commune qui longe la Garonne et qui se situe non loin de Bordeaux. Une commune connue pour l’hôpital psychiatrique qu’elle abrite depuis le XVIIe siècle. L’autrice rencontre les équipes, côtoie patients et découvre au gré de ses observations des conditions d’hospitalisation dégradées. Les soignants ne sont pas mieux lotis et le manque de moyen est réel. Ixchel Delaporte questionne le regard que porte la société sur ces patients, mais aussi plus globalement sur la maladie mentale. Les termes ont toutes leurs importances et peuvent facilement renforcer les idées reçues. Dans ce récit, qui lui renvoie beaucoup de choses plus personnelles, l’autrice se livre. On ne tombe à aucun moment dans le sensationnalisme. Le désir de compréhension prend le dessus. Ixchel Delaporte ne cherche pas à rendre cette spécialité reluisante, car comme nous l’avons dit précédemment la psychiatrie est en grande difficulté en France, que ce soit dans ses infrastructures ou dans les moyens alloués par exemple. Mais la documentariste ne cherche pas non plus à renforcer les clichés, les stigmates autour de la maladie mentale. Le parcours de ces patients et patientes est bien plus complexe qu’il en a l’air tout comme les soins dont il est question. Parfois un petit café et une bonne discussion constitueraient un premier soin à part entière essentiel, et même un moment comme celui-ci devient rare au milieu de l’enfermement. « Écoute les murs parler » est un récit important, sensible et documenté. Un bouquin à lire et à partager pour travailler ce regard encore trop réducteur que la société porte sur cette spécialité.

extraits : « Ici, j’ai découvert un continent peuplé d’âmes errantes et délaissées. Elles empruntent parfois les chemins les plus tortueux, les plus épineux, les plus douloureux parce qu’elles ne savent pas faire autrement, ces âmes-là. Parce que, bien souvent, le milieu dans lequel elles ont grandi les a abîmées. »

« Moi, la psychiatrie, je l’appelle la déconniatrie. Mais, pendant que le patient déconne, qu’est-ce que je fais ? Dans le silence ou en intervenant – mais surtout dans le silence –, je déconne à mon tour. » (l’autrice cite Tosquelles, un théoricien de la psychiatrie à l’origine de nombreuses pratiques novatrices)

Écoute les murs parler, ed. L’Iconoclaste, 21,90 euros, 350 pages.

Une maman parfaite / Marie-Fleur Albecker

Une trentenaire et son rapport à la maternité, avec toutes les injonctions sous-jacentes.

Du désir d’enfant à l’accouchement en passant par le post-partum, Marie-Fleur Albecker prend le temps de décrire l’expérience d’une trentenaire de l’intérieur. Le regard des autres sur le corps de la femme enceinte, les changements dans la relation intime d’un couple, les injonctions toujours plus nombreuses provenant de la famille, du gynécologue, des amies. Anne est féministe et engagée et conçoit ce projet d’avoir un enfant comme celui d’un couple. Un projet réfléchi et qui renforce tous les acteurs. La réalité va être amère et bien plus complexe. Le sentiment fusionnel espéré (et ressenti par son amie Louise, mère célibataire) est loin de se mettre en place. Anne rame et lutte. La fatigue, le regard des autres toujours, le manque de sommeil, la dépression du post-partum, tout y est. Et pourtant Anne réalise qu’elle fait comme elle peut. Elle compose avec ses jugements, tâtonne, utilise son expérience de professeur des écoles mais surtout culpabilise de moins en moins. Marie-Fleur Albecker écrit sur la grossesse et tout ce qui l’entoure et un peu comme dans « In carna » de Caroline Hinault, ce livre offre un témoignage sensible et à partager sur un sujet qui charrie de nombreuses idées reçues.

extrait : « Les femmes sont quand même les seules à qui on arrive à faire croire que souffrir est un pouvoir.
Non, souffrir c’est souffrir : si les mecs accouchaient, on serait sur des césariennes programmées avec assistance post-partum depuis la fin du XIXe siècle, croyez-moi. »

A paraître le 26 janvier.

Une maman parfaite, ed. Aux forges de vulcain, 20 euros, 272 pages.

Le Bloc / Jérôme Leroy

Chroniques d’un parti d’extrême droite aux portes du pouvoir.

« Le bloc » aborde l’ascension d’un parti d’extrême droite du même nom. Jérôme Leroy s’attarde sur deux personnages ambivalents et complexes. Stanko, homme de main redoutable du parti au passé trouble et qui se retrouve traqué au début du roman. Responsable du service d’ordre pendant une période, le parti approchant du pouvoir suite à des tensions à travers le pays, l’homme de main qui s’occupe habituellement des basses oeuvres fait tache. Et de l’autre, Antoine le mari d’Agnès, la présidente du Bloc. Un intellectuel ambivalent qui prend un malin plaisir à prendre de haut la majorité des troupes du parti. Proche de Stanko il a aussi une grande affection pour la violence. « Le bloc » est un roman noir qui peut rendre mal à l’aise, qui décrit avec une précision rare les méthodes des adhérents d’un parti d’extrême droite. Violence, racisme, propos dégradants, combines, tout se recroise dans la montée irrémédiable du parti qui s’apprête à signer un accord avec le gouvernement en place. Un parti aux portes du pouvoir et qui se sert des tensions dans les villes entre forces de l’ordre et population pour avancer dans les sondages. L’État est dépassé par les évènements. Les médias s’en emparent lorsqu’un décompte macabre des morts est mis en place pendant les informations. Le roman noir de Jérôme Leroy est aussi un polar qui résonne avec l’actualité. Comme dans « L’Ange gardien », chacun sert ses intérêts et certains sont prêts à tout pour cela. On retrouve l’écriture singulière de l’auteur que ce soit dans les scènes d’action où l’on pense à Manchette ou dans la narration. Une lecture marquante qui laisse à penser.

Jérôme Leroy dans un portrait de Libé, en parlant du roman noir : «c’est là où se fait la littérature aujourd’hui», considère-t-il, «un formidable terrain d’expérimentation». Il a commencé à en écrire «parce qu’il fallait que je parle de ce que j’observais sur le terrain, la violence dans les rapports humains et politiques, les émeutes urbaines que je voyais arriver. Le polar, c’est le roman de l’inquiétude».

Le Bloc, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 17,75 euros, 304 pages.

Le silence / Dennis Lehane

La trajectoire d’une mère face à l’indicible, dans le Boston des 70’s.

Le retour de Dennis Lehane était très attendu l’année dernière avec ce roman noir édité chez Gallmeister. « Le silence » se déroule à Boston en 1974, dans un contexte dans lequel les écoles publiques de la ville mettent en place un système de bus scolaire pour réduire la ségrégation entre les quartiers. C’est pendant cet été caniculaire que l’intrigue de l’auteur prend racine. Une mère de famille habitant South Boston, le quartier irlandais, voit sa fille de dix-sept ans disparaitre et ne plus donner signe de vie. Dans le même temps, un jeune homme noir meurt dans des circonstances troubles sur les rails du métro. Les disparitions sont nombreuses dans les polars ou dans les thrillers et on peut vite tomber dans du déjà vu, sauf que chez Dennis Lehane, l’épaisseur de ses personnages et toutes les connaissances sur le contexte urbain et politique font la différence. On est embarqués dans cette histoire derrière Mary Pat, un personnage féminin à la volonté de fer. La question de la parentalité, de la filiation est une des thématiques centrales tout au long du roman et c’est traité avec beaucoup de justesse. L’ensemble fonctionne bien et on entre en empathie avec les personnages, plus complexes et ambivalents les uns que les autres. À noter des dialogues toujours aussi réussis ce qui est loin d’être évident. J’avais déjà apprécié les dialogues de l’auteur dans « Sacré », le dernier Dennis Lehane lu.

Le silence, ed. Gallmeister, 25,40 euros, 448 pages.

Wendigo / Rebecca Lighieri

Des évènements étranges viennent chambouler une famille et leur deux adolescents.

Ivo et sa petite soeur Selma grandissent à Marseille dans une grande maison chez leurs parents, tous les deux universitaires. Selma est très proche de son grand frère, mais ce dernier a besoin de beaucoup d’autonomie. Ivo sort la nuit, parle peu et a peu de relations sociales au collège. Lorsque Selma arrive au collège, elle fonctionne à l’opposé de son frère et a besoin de discuter, de sortir et de profiter de ses amies. Mais depuis peu de temps, le comportement d’Ivo change et Selma ne comprend pas. Ses parents ne captent rien, mais elle est certaine qu’il se passe des choses étranges. Elle va bientôt en être certaine. Rebecca Lighieri avec sa façon unique de conter ses histoires raconte avec beaucoup de justesse l’adolescence d’Ivo et de Selma. Le fantastique n’est jamais loin, l’atmosphère sombre et mystérieuse non plus. Les questions autour de l’environnement et de la protection des animaux constituent un autre fil rouge de ce roman jeunesse réussi et prenant.

Wendigo, ed. L’école des loisirs, 14 euros, 256 pages.

Au printemps / Karl Ove Knausgaard

Un récit autobiographique touchant sur la paternité.

Je découvre le cycle autobiographique de l’auteur avec « Au printemps ». Un cycle appelé « Le quatuor des saisons » et dédié à sa fille, son quatrième enfant. Un nouveau-né de trois mois à qui il s’adresse tout au long du livre, tout au long d’un trajet avec elle dans la campagne suédoise. Avec un ton plein de sincérité, Karl Ove Knausgaard relate à sa petite fille une journée de sa vie et notamment un drame qui va directement impacter son quotidien. C’est aussi l’occasion pour lui de se confier sur comment il a traversé cette épreuve, ou comment il vit sa paternité et les relations au sein de sa famille nombreuse. Au final cela donne un texte touchant et qui ne ressemble à aucun autre. On se laisse porter par ce bouquin. J’ai apprécié y revenir et retrouver sur de petites plages de lecture la plume de l’auteur.

Au printemps, ed. Folio, 8,90 euros, 256 pages.

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