Éteindre la Lune / William Boyle

Un roman noir dans Brooklyn avec le ton unique de William Boyle.

1996, Brooklyn, deux jeunes s’amusent à balancer des cailloux depuis un pont sur les bagnoles en contre bas, jusqu’au moment où Bobby l’un des deux atteint une conductrice en pleine tête. Une conductrice qui s’avère être la fille de Jack, un père de famille qui tente d’arrondir les fins de mois en rendant des services à droite à gauche avec ses gros bras. Le roman démarre sur cet évènement dramatique avant d’emmener le lecteur quelques années plus tard. On rencontre un autre personnage, Lily. Une jeune fille passionnée d’écriture qui décide d’ouvrir un atelier d’écriture dans le sous-sol d’une paroisse. C’est là que Jack débarque dans cet atelier d’écriture pour coucher sur le papier toute la souffrance accumulée depuis la perte de sa fille. Ajoutez à cela quelques personnages pas toujours recommandables et le roman est lancé. William Boyle en s’attardant sur chaque personnage développe une intrigue prenante. Il prend le temps de développer les personnalités de chacun et chacune et on est embarqués par son regard aiguisé sur les relations humaines. Tout ce petit monde va finir d’une manière ou d’une autre par se croiser et ce ne sera pas forcément pour le meilleur. L’auteur offre un très bon moment de lecture avec des touches d’humour, mais aussi des passages plus touchants. Il questionne avec justesse la paternité et les relations, notamment amicales. Le tout sans tomber dans le pathos et avec une réflexion bien amenée sur l’écriture en filigrane. « Éteindre la lune » livre un récit que l’on a du mal à poser une fois démarré, avec pas mal de références musicales ce qui ne gâche rien (un peu à la manière d’un Michael Mention). Du très bon du début à la fin.

Traduit de l‘américain par Simon Baril.

Éteindre la Lune, ed. Gallmeister, 24,80 euros, 416 pages.

Les Enfants endormis / Anthony Passeron

La récit intime d’une famille de l’arrière pays niçois face à l’arrivée du SIDA en France.

L’auteur Anthony Passeron choisit de questionner le décès de son oncle, Désirée Passeron. Pour cela il s’intéresse au passé de sa famille dans un petit village de l’arrière-pays niçois. On y découvre la vie d’une bourgade dans les années 80, avec la famille de l’auteur qui prospère notamment grâce à la boucherie de son grand-père. Tout démarre donc dans les années 80 et on suit deux narrations distinctes tout au long du livre. La petite histoire de la famille de l’auteur qui va rencontrer la grande histoire autour de la découverte du virus du SIDA. Anthony Passeron décrit l’arrivée du virus en France et retrace sa découverte par les chercheurs français. Le tout est très bien documenté et permet de comprendre les tensions qui existaient à l’époque autour de cette découverte notamment dans le milieu scientifique, en France et au-delà de l’atlantique. L’auteur livre un récit poignant sur une famille qui implose. À la fois récit de l’intime et du collectif, « Les Enfants endormis » donne un roman âpre qui décrit une vie dans la tourmente, celle de Désirée Passeron.

Les Enfants endormis, ed. du Globe, 20 euros, 288 pages.

Nuit bleue / Simone Buchholz

Dans la ville d’Hambourg, un roman noir à l’atmosphère unique.

Je découvre Chastity Riley, procureure de la ville d’Hambourg, écartée de ses fonctions suite à une ancienne enquête qui a déconné pour elle. Une enquête qui impliquait son ancien chef, un supérieur devenu un malfrat. Dans « Nuit bleue », on découvre une écriture singulière et un ton qui renouvèlent ce que l’on retrouve habituellement dans le roman noir. J’étais curieux de découvrir cette autrice dans la collection « Fusion » chez l’Atalante. Le récit ne s’essouffle pas et c’est le genre de polar épuré que je trouve prenant. L’autrice envoie de sacrées punchlines via son personnage, on comprend rapidement que la procureure a des méthodes bien à elle pour arriver à ses fins. À commencer par la bière et la clope un lendemain de cuite pour se remettre. Suite à sa mise à l’écart, elle s’occupe maintenant des blessés et autres altercations en cherchant les identités des victimes dans la ville d’Hambourg. La victime du début de « Nuit bleue » finit à l’hôpital après s’être fait rouer de coups dans la rue et la procureure est appelée pour la rencontrer à l’hôpital. Entourée de sa bande d’amis la procureure va tenter de rassembler petit à petit les pièces d’un puzzle complexe qui se cache derrière l’inconnu à l’hôpital. On découvre dans « Nuit bleue » un nouveau personnage attachant et ça donne envie de poursuivre cette série.

Traduction de Claudine Layre.

Nuit bleue, ed. l’Atalante, coll. Fusion, 19,90 euros, 240 pages.

Petite Sale / Louise Mey

Le roman noir d’une France rurale en 1969 et qui aborde les violences patriarcales.

À la fin des années 60 en France, dans une campagne reculée au Nord de Paris, Catherine une jeune fille discrète travaille pour une grande exploitation agricole. Elle est souvent mise de côté et peu de monde fait attention à elle lorsqu’elle s’occupe des tâches quotidiennes. Monsieur dirige l’exploitation d’une main de fer et a d’ailleurs plusieurs terres aux alentours sous sa coupe. Mais un jour, au domaine, sa petite fille disparaît et une demande de rançon tombe. Deux flics parisiens sont dépêchés pour enquêter. Ils arrivent dans la région et découvre tout un monde dans lequel le riche propriétaire, grand-père de la jeune fille, a une influence sur la vie de chaque habitant de la vallée. La romancière aborde les normes de genre dans la France des années 70 avec beaucoup de justesse. On perçoit que les situations inégalitaires peuvent aisément être transposables aujourd’hui. Louise Mey écrit un excellent roman noir, prenant, avec un regard aiguisé sur les rapports de domination.

Petite Sale, ed. du Seuil, 21,50 euros, 378 pages.

Sans collier / Michèle Pedinielli

Diou dans ses œuvres.

Ghjulia Boccanera est de retour pour notre plus grand plaisir et on ne va pas se mentir on avait hâte de la retrouver. Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas encore rencontré, Ghjulia Boccanera alias « Diou » est une quinqua détective privée qui habite le Vieux Nice avec son coloc’ Dan. Ce dernier est un vrai oiseau de nuit et tient une galerie d’art le reste du temps. Honnêtement c’est difficile de ne pas s’attacher à ce personnage que je trouve particulièrement réussi depuis « Boccanera », le premier roman noir de Michèle Pedinielli avec la première apparition de Diou. Elle a une répartie d’enfer et n’est jamais bien loin lorsqu’il s’agit d’aller manifester contre le dernier projet absurde de la ville dans laquelle elle vit. Entourée d’une troupe de joyeux drilles que l’on retrouve de bouquin en bouquin, on ne peut qu’adhérer aux aventures de Diou. « Sans collier » ne fait pas exception, on est pris dans l’intrigue, dans ce juste dosage entre humour, moments plus dramatiques et ambiance niçoise bien propre aux polars de l’autrice. Dans ce dernier roman, il semblerait que des accidents du travail ne soient pas déclarés dans les règles de l’art sur un grand chantier niçois. Le gérant de la société de BTP qui s’occupe du chantier décède peu de temps après d’une crise cardiaque et un ouvrier disparait. Diou décide de mettre le nez dans l’affaire pour comprendre ce qu’il se cache derrière tout ça. En parallèle à cette première narration, l’autrice raconte l’histoire de Ferdi un SDF que Diou a rencontré dans un livre précédent. Ferdi a fait partie par le passé des « cani sciolti », les chiens sans collier, des groupes en Italie dans les années 70 qui ne souhaitaient faire partie d’aucune organisation politique. Le passé et le présent s’imbriquent parfaitement dans ce nouveau roman noir entre Nice et Bologne.

Sans collier, ed. de l’Aube, 18,90 euros, 256 pages.

Réparer la santé / Alice Desbiolles

Démocratie, éthique, prévention.

Alice Desbiolles est médecin en santé publique, une spécialité méconnue dont on parle peu. Une spécialité pourtant au centre de nos préoccupations ces derniers temps avec l’épidémie de Covid. L’autrice avec beaucoup de clarté prend du recul par rapport à l’épidémie et par rapport à la gestion des pouvoirs publics. Elle constate par exemple qu’au début de l’épidémie il était compliqué de parler d’approche holistique et de santé publique. Le gouvernement donnait l’impression de vouloir agir vite en se focalisant sur la santé et l’économie et sans prendre en compte les autres sphères de la société aussi impactées. L’autrice se demande dans quelles mesures il était/il est possible de concilier le respect de la démocratie et la prise en charge de la crise. Il est question d’éthique, d’autonomie de chacun et chacune face à la maladie, mais aussi de la toute puissance de l’approche biomédicale (une approche nécessaire, mais qui ne doit pas être la seule approche). L’autrice en s’appuyant notamment sur l’approche d’Ivan Illich, construit un raisonnement qui permet de réaliser la complexité de la situation. De l’éthique à la notion de soin en passant par la morale, Alice Desbiolles écrit un court essai percutant qui permet d’éclairer sous un nouveau jour les désaccords qui sont apparus dans la société pendant cette crise sanitaire.

Réparer la santé, ed. Rue de l’échiquier, 12 euros, 112 pages.

S’ils n’étaient pas si fous / Claire Raphaël

Troisième enquête d’Alice Yekavian l’experte en balistique et c’est toujours aussi passionnant.

Tout débute lorsqu’une femme est retrouvée morte dans son appartement, tuée d’une balle. Sa fille atteinte de schizophrénie commence par confier aux policiers que c’est elle la responsable. Les choses se compliquent à partir de là, car la scène de crime révèle des éléments qui remettent en doute la version de la fille de la victime. On retrouve avec plaisir l’experte en balistique Alice Yekavian mais aussi Ludovic Marchand-Thierry un policier chevronné et en plein doute dans ce troisième roman noir de l’autrice. Un polar qui aborde la folie, la vision que l’on en a dans la société et les dérives qui en découlent. J’ai rarement lu un roman noir qui aborde de façon aussi intelligente les problématiques qui émergent lorsque l’on aborde la question de la santé mentale. À la fois polar précis dans les procédures policières et roman sur des marginaux, Claire Raphaël offre un moment de lecture prenant et des personnages complexes que l’on a envie de suivre. L’intrigue prend son temps, les dialogues sonnent et on se laisse embarquer dans « S’ils n’étaient pas si fous ». Encore une fois une réussite et si vous ne connaissez pas encore l’univers singulier de la romancière, qui mélange habilement roman noir, poésie et psychologie fine des personnages, foncez.

S’ils n’étaient pas si fous, ed. le Rouergue, 22 euros, 288 pages.

Dis-moi pour qui j’existe ? / Abdourahman A. Waberi

Comment la maladie change une relation ente un père et sa fille.

J’ai beaucoup apprécié « Pourquoi tu danses quand tu marches » d’Abdourahman A. Waberi et j’avais hâte de retrouver sa plume et cette façon bien à lui de raconter un quotidien. Après avoir abordé son enfance à Djibouti, l’auteur s’attarde ici sur l’impact de la maladie de sa fille dans sa vie de famille. Une maladie qui touche Béa du haut de ses six ans et qui va nécessiter une longue hospitalisation à l’hôpital Robert Debré de Paris. Étant professeur à Washington l’auteur ne va pas pouvoir être au chevet de sa fille et c’est ainsi qu’un dialogue à distance s’instaure entre les deux. L’auteur appelant quotidiennement sa fille. À travers ce dialogue touchant et sensible, Abdourahman A. Waberi prend le temps de décortiquer les émotions qui le traversent. Il réfléchit au sens à donner à cette épreuve, à cette maladie (l’arthrite infantile) qui ressemble cruellement à la sienne lorsqu’il avait 14 ans. Dans ces échanges entre un père et sa fille, on distingue ce que l’évènement fait ressurgir pour tous les deux. Que ce soit le passé avec l’enfance de l’auteur à Djibouti ou le futur lorsque Béa se projette en s’imaginant courir à nouveau. « Dis-moi pour qui j’existe » est aussi un vibrant hommage au soin et aux soignants. Être capable pour certains et certaines de se montrer à l’écoute, de créer une relation de soin qui prend en compte toute la singularité du patient. Un très beau livre à découvrir.

Dis-moi pour qui j’existe ?, ed. JC Lattès, 20,90 euros, 276 pages.

Journal de bord de l’Aquarius / Antoine Laurent

Dans la peau d’un marin sauveteur.

Antoine Laurent était officier dans la marine marchande dans le secteur pétrolier avant de prendre un virage radical à 25 ans, en rejoignant l’ONG SOS méditerranée. Une ONG qui œuvre pour aider les personnes migrantes et réfugiées en mer Méditerranée. L’auteur commence en tant que marin sauveteur sur l’Aquarius, un navire de l’ONG. Il y travaille pendant 2 ans de 2016 à 2018 et finit par diriger une partie des opérations maritimes la deuxième année. Il relate son expérience dans ce livre poignant et documenté. Un livre difficile, mais qui permet d’appréhender cette situation complexe en Europe centrale. On se rend compte rapidement que la vie de ces femmes et de ces hommes qui traversent depuis la Libye notamment, ne valent pas grand-chose pour les politiques européennes qui ne font rien pour participer aux missions de sauvetage ou pour aider les actions humanitaires. Antoine Laurent dresse avec précision un tableau dramatique qui ne s’est pas arrangé depuis.

Journal de bord de l’Aquarius, ed. Calmann Levy, 17,90 euros, 306 pages.

D’ivoire et de sang / Tania James

Un récit à trois voix sur les trafics autour des éléphants en Inde.

Dans un récit à trois voix, Tania James explore la question du trafic des défenses d’éléphant en Inde et plus spécifiquement dans la réserve naturelle du Kerala. On suit la vie d’un mystérieux éléphant appelé « Le fossoyeur » qui perd sa mère au début du roman, tuée par des braconniers. L’autrice fait le choix d’entrer dans la tête de l’animal pour en faire un personnage à part entière, un peu à la manière de Colin Niel dans « Entre fauves ». Emma de son côté est une vidéaste reporter américaine qui se rend dans la réserve pour réaliser un reportage sur de jeunes éléphanteaux orphelins, recueillis par un vétérinaire. Et enfin, on suit Manu un jeune homme indien qui dans son village ne parvient plus à gagner suffisamment sa vie et qui décide de s’orienter vers le trafic d’ivoire. L’autrice indo-américaine écrit un polar efficace qui questionne les paradoxes des rapports entre l’homme et les éléphants en Inde. Ce sont des animaux très importants avec toute une symbolique et en même temps leurs défenses sont une marchandise précieuse et recherchée.

D’ivoire et de sang, ed. Rue de l’échiquier, 22 euros, 264 pages.

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