D’ivoire et de sang / Tania James

Un récit à trois voix sur les trafics autour des éléphants en Inde.

Dans un récit à trois voix, Tania James explore la question du trafic des défenses d’éléphant en Inde et plus spécifiquement dans la réserve naturelle du Kerala. On suit la vie d’un mystérieux éléphant appelé « Le fossoyeur » qui perd sa mère au début du roman, tuée par des braconniers. L’autrice fait le choix d’entrer dans la tête de l’animal pour en faire un personnage à part entière, un peu à la manière de Colin Niel dans « Entre fauves ». Emma de son côté est une vidéaste reporter américaine qui se rend dans la réserve pour réaliser un reportage sur de jeunes éléphanteaux orphelins, recueillis par un vétérinaire. Et enfin, on suit Manu un jeune homme indien qui dans son village ne parvient plus à gagner suffisamment sa vie et qui décide de s’orienter vers le trafic d’ivoire. L’autrice indo-américaine écrit un polar efficace qui questionne les paradoxes des rapports entre l’homme et les éléphants en Inde. Ce sont des animaux très importants avec toute une symbolique et en même temps leurs défenses sont une marchandise précieuse et recherchée.

D’ivoire et de sang, ed. Rue de l’échiquier, 22 euros, 264 pages.

Pourquoi tu danses quand tu marches ? / Abdourahman A. Waberi

Le narrateur raconte son enfance à sa fille et l’histoire d’un pays, Djibouti.

Le narrateur de ce livre n’est autre que l’auteur lui même. Il raconte à sa fille Béa lors d’une balade dans Paris son passé à Djibouti et surtout l’origine de sa démarche singulière lorsqu’il marche. Tout part de là lorsque Béa sa fille lui demande pourquoi il boite ou plus précisément pourquoi il danse quand il marche. On découvre une enfance marquée par un accident mais aussi par tout un ensemble de personnages marquants. De la grand-mère à l’institutrice en passant par les petites frappes de l’école qui stigmatisent l’enfant qu’il a été. À travers une plume sensible, Abdourahman A. Waberi décrit une grande partie de sa jeunesse puis sa découverte de l’écriture et de la lecture, des moments importants très bien restitués. On est complètement embarqué par le ton du père qui se livre en toute transparence à sa fille. L’écrivain franco djiboutien écrit un très beau bouquin, une découverte.

Pourquoi tu danses quand tu marches ?, ed. JC Lattès, 19 euros, 250 pages.

La cour des mirages / Benjamin Dierstein

Un sujet brûlant et un rythme qui ne s’essouffle pas un seul instant forment ce roman (très) noir.

Deux flics reviennent travailler à la brigade criminelle de Paris au 36 quai des orfèvres. Gabriel Prigent et Laurence Verhaeghen. L’un a perdu sa fille six ans auparavant par sa faute et est dévasté depuis. Après une année à faire des allers et retours en HP il finit par retrouver le chemin du travail et du 36 quai des orfèvres. L’autre Laurence Verhaeghen quitte la DCRI (la direction générale de la sécurité intérieure) pour rejoindre le 36. Beaucoup plus carrée, elle s’apprête à refaire équipe avec Gabriel et tout ça n’augure rien de bon. Le passé des deux personnages dans la brigade à son lot de casseroles. Une fois relancés les deux personnages vont rapidement avoir du pain sur la planche. Un élu est retrouvé pendu chez lui avec son fils et sa femme assassinés. Une affaire qui en cache d’autres et qui va tout broyer sur son passage. « La cour des mirages » est un roman noir très sombre, réaliste, qui navigue entre les réseaux politiques, les magouilles et les désillusions des personnages. Une claque qui sonne le lecteur.

La cour des mirages, ed. Les Arènes, coll. Équinox, 22,90 euros, 847 pages.

Requiem pour la classe moyenne / Aurélien Delsaux

Un père de famille voit son monde et ses certitudes tanguer le jour où il apprend la mort de son idole d’enfance.

Un père de famille rentre de vacances avec sa femme et ses deux enfants. Sur le retour dans la voiture, il laisse ses pensées s’égarer et réalise qu’il aime sa routine et tout ce qui fait le confort de son quotidien. Arrivé sur Lyon, le narrateur va voir son quotidien chambouler lorsqu’il entend à la radio qu’une idole de jeunesse vient de mourir en la personne de Jean-Jacques Goldman. C’est le début d’une grande remise en question pour lui, qui va déteindre sur la cellule familiale. Étienne le narrateur se retrouve dans une spirale qui va le rendre spectateur du dysfonctionnement de ses proches, et du sien. Blanche sa femme voit des angoisses remonter, Étienne découvre que ses enfants lui cachent des choses. La cellule familiale n’est pas loin d’imploser et l’apparent confort de ce père de famille va voler en éclat sous la plume singulière d’Aurélien Delsaux. « Requiem pour la classe moyenne » est un roman original et bien amené, qui questionne au-delà de l’histoire de cette famille les absurdités de nos sociétés.

Requiem pour la classe moyenne, ed. Notabilia, 20 euros, 224 pages.

Frakas / Thomas Cantaloube

Découvrir comment la Françafrique a émergé, suite à l’indépendance des colonies françaises.

Après un roman noir sur les coulisses de la France sous Papon (« Requiem pour une République »), Thomas Cantaloube poursuit sur sa lancée avec « Frakas ». Un polar qui aborde la question controversée (car longtemps ignorée par le gouvernement français) de la guerre du Cameroun. Une guerre qui voit s’opposer les troupes françaises d’un côté qui occupent le territoire et des membres de l’UPC de l’autre (l’Union des populations du Cameroun) qui résistent et souhaitent leur indépendance. Dans un conflit éminemment politique, l’auteur campe à nouveau les trois personnages réussis de son premier roman. Trois personnages qui évoluent cette fois-ci à partir de 1960 et à partir de l’assassinat en Suisse d’un proche Camerounais de l’UPC (le livre débute sur cet évènement). On retrouve donc Luc Blanchard, ancien de la PJ de Paris qui après avoir vu l’envers du décor des forces de l’ordre parisiennes décide de devenir journaliste. On recroise aussi Antoine le truand Corse qui convoyait des marchandises illégales dans « Requiem pour une République » et qui continue de le faire dans « Frakas » depuis Marseille. Et enfin un certain Sirius Volkstrom, personnage ambivalent au possible et plutôt détestable, que l’on avait laissé pour mort dans le premier roman. Luc Blanchard lui avait tiré une balle alors qu’il secourait un Algérien lors de la nuit meurtrière du 17 octobre 1961 à Paris. Dans « Frakas » il est un sergent qui encadre les troupes Camerounaise sous un faux nom (des troupes équipées par l’armée française pour lutter contre l’UPC). Thomas Cantaloube mène toujours aussi bien sa barque avec un juste dosage entre la documentation et les péripéties du roman en lui-même. On est une nouvelle fois happé par ce roman noir qui confirme tout le talent de l’auteur. A noter que son prochain roman « Mai 67 » s’attardera sur la personnalité de Pierre Belotte, le premier préfet de Seine-Saint-Denis et l’homme derrière la création des brigades anticriminalité (BAC). Hâte.

Frakas, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 19 euros, 432 pages.

L’Amour, c’est surcoté / Mourad Winter

Un roman qui détonne et qui fait bien marrer.

Wourad à vingt-sept ans et n’a qu’une idée en tête, tenter de séduire Imène. Il compte pour cela sur sa répartie hors pair et ses punchlines d’anthologie que vous allez découvrir dans ce roman survitaminé de Mourad Winter. Un roman qui envoie des vannes à chaque page pour notre plus grand bonheur sans pour autant faire décrocher le lecteur. Évidemment Wourad est cassos sur les bords et les galères ne vont pas l’épargner dans sa quête, que ce soit avec ses potes ou avec ses parents. On se délecte de ce roman à l’humour bien senti. Rarement rigolé autant à la lecture d’un bouquin.

L’Amour, c’est surcoté, ed. Robert Laffont, 19,50 euros, 288 pages.

Billy Summers / Stephen King

Un roman noir ultra efficace qu’on dévore.

Billy Summers est un ancien sniper de l’armée Américaine qui s’est reconverti en tueur à gages à son retour au pays. Au début du roman Billy décide de raccrocher mais on lui propose un dernier coup, un truc bien lucratif qui fait hésiter le tueur. Il finit par accepter le contrat. Pour cela, il va se faire passer pour un apprenti écrivain dans une petite bourgade. Il prépare les choses comme à son habitude avec beaucoup de minutie mais là il y a un truc qui ne lui revient pas. Ce n’est pas son premier contrat et la victime est clairement un méchant (Billy n’abat que des « méchants », une de ses règles d’or). Pourtant un truc le dérange. Vous vous en doutez la suite va lui donner raison et cet assassinat qui devait être le dernier avant sa retraite ne va pas se passer comme prévu. Stephen King construit un personnage attachant et malin qui va tenter d’y voir clair dans les magouilles dans lesquelles il s’est embarqué. On a beau être tueur à gages on peut aussi devenir une cible soi-même. Dans un roman noir habilement construit, l’auteur mélange une réflexion sur l’écriture (via le statut d’apprenti écrivain de Billy), de l’action et des pointes d’humour à droite à gauche. Stephen King régale son lecteur et offre un bon moment de lecture.

Billy Summers, ed. Albin Michel, 24,90 euros, 560 pages.

Personne n’a peur des gens qui sourient / Véronique Ovaldé

Une mère tente de protéger ses enfants en fuyant dans un village alsacien.

Une mère emmène ses deux filles Stella et Loulou avec elle, dans une maison reculée en Alsace. Une maison qui appartient à leur grand mère décédée Antoinette Demongeot. L’une adolescente ne comprend pas ce qu’il se passe et la plus jeune qui prend cette fuite comme des vacances est partante. Gloria la mère qui cherche à tout prix à s’isoler de quelque chose est sur ses gardes et elle tente tant bien que mal de reconstruire un quotidien dans ce nouvel environnement à la campagne avec ses deux enfants. Le lecteur comprend rapidement qu’elle fuit le Sud où elle habitait avec ses filles mais les raisons sont encore floues. Véronique Ovaldé prend le temps de décortiquer les relations autour de cette mère de famille, son passé et notamment les liens avec le père des deux filles, Samuel. On découvre au fil du récit les raisons du départ précipité de Gloria et pourquoi elle tente d’éloigner ses enfants d’une probable menace. La tension monte au fur et à mesure et on en apprend de plus en plus lorsque les souvenirs refont surface. Je découvre l’écriture de l’autrice avec ce roman sombre repéré via la très bonne librairie Obliques. Véronique Ovaldé possède un talent indéniable de conteuse.

Personne n’a peur des gens qui sourient, ed. J’ai lu, 7,20 euros, 256 pages.

Richesse oblige / Hannelore Cayre

Un roman noir malin qui descend en flèche une bourgeoisie condescendante.

Hannelore Cayre renouvelle à merveille le genre du roman noir avec une plume qui envoie du bois et des personnages truculents. C’était déjà le cas dans « La daronne » et on attendait avec impatience de relire l’autrice. Voilà qui est fait avec « Richesse oblige » (oui c’est vrai je le lis un peu à la bourre). On suit deux narrations en parallèle, l’histoire d’une famille bourgeoise du XIXeme siècle et l’histoire contemporaine d’une mère, son amie et sa fille qui descendent de cette famille bourgeoise. Les trois personnages qui n’ont pas leur langues dans leur poche et qui ne dépolitisent pas une seconde leur propos, vont mener l’enquête pour comprendre d’où vient leur descendance. Et s’il y a moyen de gratter quelques biffetons au passage c’est pas de refus. Blanche de Rigny est vraiment un personnage réussie, elle est prête un mettre un sacré boxon depuis son île bretonne dans la descendance de sa famille et dans la haute bourgeoisie française. C’est bien vu du début à la fin. On dévore ce polar qui oscille entre humour noir et propos engagés, du tout bon.

Richesse oblige, ed. Points, 6,90 euros, 216 pages.

Continuer / Laurent Mauvignier

Une mère embarque son fils dans un voyage pour renouveler la relation avec lui.

« Continuer » c’est l’histoire d’une mère et de son fils. Mais surtout d’une mère qui tente un dernier coup pour venir en aide à son fils, pour essayer de le comprendre. Samuel est un adolescent déscolarisé et il a toute une panoplie de difficultés sociales qui font de son quotidien une galère. Sa mère qui n’a plus la main sur grand chose décide de tout claquer et de vendre sa maison pour financer un voyage. Les deux personnages se retrouvent alors embarqués dans un singulier voyage dans les montagnes du Kirghizistan. Un voyage à cheval qui va leur permettre de côtoyer des moments de grâce mais aussi des moments beaucoup plus difficiles, âpres. Sous la plume de Laurent Mauvignier on se laisse embarquer dans ce roman touchant qui décortique la relation entre une mère qui a du mal à se faire entendre de son fils et son fils justement qui se braque. Samuel a très vite du mal à comprendre les finalités d’un tel voyage même si comme sa mère il aime monter à cheval. On sent tout de suite qu’une telle décision pour Sybille ne va pas être sans conséquence et la suite du périple va nous donner raison. Laurent Mauvignier a un ton bien à lui. Cette façon de restituer les émotions, de s’attarder sur les gestes des personnages. Ajoutez à cela de très belles descriptions des paysages, de la nature et vous avez un très beau roman. J’avais découvert Laurent Mauvignier avec une première claque, « Histoires de la nuit ». Sans forcément retrouver le même souffle j’ai pris autant de plaisir à lire celui-ci.

Continuer, ed. de Minuit, 18 euros, 240 pages.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer