Tous complices ! / Benoît Marchisio

Une histoire de lutte dans le monde des coursiers à vélo.

Autant le dire tout de suite ce bouquin est un gros coup de cœur. Merci à Sébastien pour la découverte. Benoît Marchisio choisit de s’intéresser dans son roman noir aux livreurs à vélo, un job récent dans nos sociétés et surtout un job ultra précaire. Les livreurs ont le sentiment de travailler en toute autonomie pour leur compte alors qu’en réalité ils font partie d’un grand algorithme qui leur met de plus en plus la pression et qui a pour unique but le profit. C’est à partir de là que l’on rencontre Abel, un jeune qui souhaite ramener de l’argent à la maison pour aider sa mère, femme de ménage, en devenant coursier de temps en temps dans la semaine et en parallèle à ses études. Malheureusement pour lui les choses vont se compliquer lorsque l’activité devient une activité à temps plein qui prend de plus en plus de place dans sa vie. Il commence par abandonner ses études pour livrer toujours plus. La plateforme qui l’embauche pressurise les livreurs et Abel a bien conscience qui s’il saute et qu’il ne peut plus livrer il sera remplacé en un claquement de doigts. Le jeune homme commence à comprendre ce système et en même temps il travaille toujours plus pour devenir un meilleur livreur. Igor de son côté est avocat, un avocat pétri de valeurs humanistes. Il se rapproche des livreurs, car il souhaite défendre leurs conditions de travail. C’est d’ailleurs compliqué pour les livreurs de questionner ces problématiques, car ils n’ont pas une seconde pour eux et sont sous pression s’ils ne livrent pas à temps. Ajoutez à cela une émission qui fonctionne uniquement sur le buzz et quelques autres personnages et vous avez un roman noir bien ficelé et prenant. « Tous complices ! » est un polar redoutable sur les machines de guerre que sont Delivroo, Uber Eats and co. À lire !

Tous complices, ed. les Arènes, coll. Equinox, 20 euros, 304 pages.

La République des faibles / Gwenaël Bulteau

Un roman noir Lyonnais qui se déroule à la fin du 18e siècle. Une vraie réussite.

Nous sommes à Lyon en 1898, le roman démarre sur la découverte d’un cadavre d’enfant par un chiffonnier. Le corps a été abandonné sur une décharge à ciel ouvert dans le quartier de la Croix Rousse. L’homme panique et s’en va en faire part à la police qui se lance alors dans une longue et laborieuse enquête. Cette enquête est confiée au commissaire Soubielle et à sa brigade. Une brigade qui n’est d’ailleurs pas homogène du tout politiquement et en pleine affaire Dreyfus les tensions affleurent même au sein de la police. Dès les premières pages, on est transportés dans ce Lyon de la fin du 18e siècle. On a le sentiment de sentir les odeurs de la ville, de visualiser les ruelles lyonnaises crasseuses et de découvrir toute une époque. La Commune est passée et est encore dans toutes les têtes. L’auteur porte une attention toute particulière au contexte historique et à l’environnement dans « La république des faibles » sans délaisser pour autant l’intrigue. On découvre les recoins les plus sombres et les quartiers pauvres (à l’époque) de Lyon. On suit les personnages sur les pentes de la Croix-Rousse. Les chapitres courts complètent bien le tout en rythmant avec un bon dosage le récit. « La république des faibles » est une belle découverte avec des personnages marquants.

La Républiques des faibles, ed. La Manufacture de livres, 19,90 euros, 368 pages.

Les forcenés / Abdel Hafed Benotman

Un recueil de nouvelles écrit dans une langue âpre. Benotman dans ses œuvres.

Abdel Hafed Benotman est un auteur à part avec une plume singulière, incisive. Dans « Les forcenés » il s’attarde sur les marginaux, celles et ceux qui déraillent ou qui font dérailler la société dans laquelle ils vivent. Dans ce recueil de nouvelles très sombre et en même temps écrit avec un style remarquable, on croise des personnages laissés pour compte qui n’ont plus grand-chose à perdre. Ce petit bouquin remue et sonne le lecteur au détour de certains passages. C’est âpre et on sent que le milieu carcéral que l’auteur a connu infuse dans certains de ces textes. J’avais beaucoup aimé « Éboueur sur échafaud » de l’auteur et la lecture de ce recueil est tout aussi prenante. Un auteur à découvrir.

PS : La très belle préface de Jean-Hugues Oppel complète bien le tableau.

Extrait : « Il m’est arrivé de vouloir me réinsérer mais, à force de tourner en rond, pendant des années, dans les cours de promenade des prisons, il est dur de marcher droit du jour au lendemain. Ça en devient presque biologique. D’ailleurs ça l’est puisque la taule s’imprime à l’intérieur, et je mettrais ma main de voleur à couper que mon âme doit porter en filigrane un numéro d’écrou. »

Les forcenés, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 8,15 euros, 208 pages.

Béton rouge / Simone Buchholz

Une nouvelle enquête de Chastity Riley avec la dose d’humour noir qui va bien.

On continue dans la série avec Chastity Riley la procureure d’Hambourg et « Béton rouge », le troisième opus déjà de Simone Buchholz, publié en 2022 dans la collection Fusion chez l’Atalante. Un homme est découvert enfermé dans une cage devant le bâtiment d’un grand groupe d’édition au début du roman. Quelqu’un a voulu faire passer un message et le moins que l’on puisse dire c’est que ce message est plutôt glauque. L’enquête va suivre son cours, mais surtout la verve et le ton inimitable de Chastity Riley vont reprendre du service. Un personnage toujours aussi attachant et borderline comme on aime. Son entourage qui est un peu sa « famille » n’est pas en reste et on a encore une fois le droit au détour de certains dialogues à des passages vraiment bien vus. L’écriture est aussi affutée que le regard de l’héroïne sur la société. Dans « Béton rouge », il est question de maltraitance chez les enfants, mais aussi d’une presse au service d’une société qui marche parfois sur la tête. Les polars de Simone Buchholz ont définitivement une atmosphère à part.

Béton rouge, ed. l’Atalante, coll. Fusion, 19,90 euros, 240 pages.

Quartier rouge / Simone Buchholz

Premier roman noir avec Chastity Riley la procureure barrée de Simone Buchholz. Et première réussite.

Après avoir découvert la procureure Chastity Riley dans « Nuit bleue », je continue de lire les romans noirs de l’autrice Simone Buchholz avec « Quartier rouge » et c’est toujours aussi prenant. On prend beaucoup de plaisir à se retrouver de nouveau à Hambourg. Cette fois-ci Chastity se retrouve face au cadavre d’une jeune femme scalpée. À priori une stripteaseuse et malheureusement ça ne sera pas la seule victime dans cette histoire. Dans ce premier roman noir de la série, on distingue déjà le ton singulier de la romancière qui n’a pas son pareil pour camper une ambiance ou une atmosphère. On est embarqué avec Chastity et son entourage de bras cassés, de Faller le commissaire au ton paternel à Klatsche avec qui la procureure noue des relations épisodiques, sans oublier Clara la bonne pote du bar qui devient souvent le QG de Chastiy, lorsqu’elles ne sont pas toutes les deux devant un match de Santk Pauli en troisième division. Il semblerait que le meurtrier manipule ses victimes dans l’affaire qui occupe la procureure. Les filles le suivent sans hésiter. En passant par des moyens pas toujours légaux, Chastiy va se lancer dans l’enquête avec son tact légendaire et encore une fois on est complètement embarqué dans ce roman noir aux dialogues savoureux. Même si c’est le premier de la série il y a déjà une forme de maturité dans la plume de Simone Buchholz.

Traduit de l’Allemand par Joël Falcoz.

Quartier rouge, ed. Piranha, 16,90 euros, 208 pages.

De femme en femme / Hélène Couturier

Un singulier roman noir sur la violence faite aux femmes et ses origines.

Ilyas à 40 ans, il fait du Krav-Maga et adore danser. Dans ce polar il se raconte à la première personne, que ce soit dans son rapport aux femmes qu’il rencontre ou dans son rapport à sa mère. Il entretient un singulier respect pour les femmes qui l’entoure, avec une idée bien à lui de ce respect. Un soir, il fait la rencontre d’une flic et les évènements vont se précipiter à partir de là. Le lecteur découvre progressivement la personnalité de cet homme et la tension augmente crescendo. On est dans la tête d’un personnage torturé, qui insinue petit à petit une forme de malaise chez le lecteur. On découvre aussi des portraits de femmes sous la plume d’Hélène Couturier et à travers les yeux d’Ilyas. « De femme en femme » laisse sonner le lecteur une fois la dernière page tournée. Un sacré roman noir dans lequel on a le sentiment qu’une violence sourde n’est jamais bien loin.

De femme en femme, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 20 euros, 280 pages.

Le sang de nos ennemis / Gérard Lecas

Un très bon roman noir dans le Marseille des années 60.

Un cadavre vidé de son sang est retrouvé non loin de Marseille, en 1962. Deux flics que pas mal de choses opposent se retrouvent sur l’affaire. D’un côté le jeune Anthureau, un fils de résistant qui a perdu son père et de l’autre Molinari, un ancien résistant qui est membre du SAC (le Service d’Action Civique au service de de Gaulle entre 1960 et 1981). Ce polar passionnant se déroule dans une période riche entre la guerre d’Algérie, les méandres de la French connection ou encore l’impact de l’OAS et du SAC sur la société française. Gérard Lecas dresse une intrigue solide et le rythme du récit fonctionne bien. Un peu comme chez Thomas Cantaloube et son roman « Requiem pour une république », on découvre les crasses dont sont capables les instances et les politiques de l’époque. « Le sang de nos ennemis » est un excellent roman noir dans les coulisses d’une sombre histoire de France.

Le sang de nos ennemis, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 21 euros, 288 pages.

Jean-Claude Izzo / Stefania Nardini

Histoire d’un Marseillais.

J’avais hâte de découvrir la seconde biographie de l’auteur marseillais écrite par Stefania Nardini. Un joli petit bouquin avec des illustrations et dans lequel on découvre la vie de l’auteur sous la plume de l’autrice mais aussi à travers les mots de ses proches. Jean-Claude Izzo était un auteur de roman noir engagé lorsqu’il travaillait en tant que journaliste notamment au quotidien « La Marseillaise ». Questionner la vie de l’auteur c’est aussi parler de la ville de Marseille, de sa région. Un environnement à la base de sa trilogie avec son fameux personnage Fabio Montale. Des polars à l’atmosphère unique que je vous invite à lire ou à relire si vous ne connaissez pas. Les romans noirs de Jean-Claude Izzo abordent des questionnements politiques, sentent bon la bonne cuisine ou encore sont prenants dans leurs intrigues. Cette biographie permet d’approfondir l’univers de l’auteur et c’est un vrai plaisir de lecture.

Jean-Claude Izzo – Histoire d’un Marseillais, ed. des Fédérés, 15 euros, 136 pages.

L’année de grâce / Kim Liggett

Une jeune héroïne est envoyée dans un camp étrange durant une année, loin des siens et sans savoir dans quoi elle s’engage.

Tierney est une jeune fille de seize qui s’apprête à partir durant une année loin de ses proches dans un endroit mystérieux. La fameuse année de Grâce. Une année loin des hommes et durant laquelle certaines adolescentes ne reviennent pas. Personne ne parle de cette année au village et personne n’a envie d’aborder la question. Avant de partir, les adolescentes sont choisies par des hommes pour devenir à leurs retours leurs futures épouses. Tierney ne comprend pas tout au début du roman, mais réalise bien vite que les hommes souhaitent avoir la main mise sur les femmes le plus tôt possible dans leurs vies. Kim Liggett écrit une dystopie qui fait un peu penser à « La servante écarlate » lorsque les femmes sont assujetties et qu’en même temps on sent qu’un moment ou un autre la sitation va basculer. L’histoire est prenante et l’héroïne va vite découvrir que le camp dans lequel les jeunes filles se rendent durant l’année de Grâce va devenir le théâtre de bien des atrocités. Le rythme du récit s’accélère petit à petit et les filles vont devoir lutter pour leurs survies. De découverte en découverte, Tierney n’est pas au bout de ses peines.

L’année de grâce, ed. Gallimard Jeunesse, 8,70 euros, 480 pages.

Marseille en résistances / Michel Peraldi, Michel Samson

Fin de règnes et luttes urbaines.

L’anthropologue Michel Peraldi et la journaliste Michel Samson oscillent entre la chronique politique d’une ville et une réflexion sociologique. Les deux auteurs partent des évènements du 5 novembre 2018 rue d’Aubagne à Marseille, lorsque deux immeubles s’effondrent en emportant huit vies et en provoquant la colère des habitants. Cet évènement met en lumière les dysfonctionnements de la politique de la ville. Plusieurs portraits sont dressés de personnages publics plus ou moins importants et qui vont graviter autour de cet évènement. On découvre comment la ville de Marseille a évolué ces vingt dernières années. Comment un tel évènement a pu arriver. Michel Peraldi et Michel Samson s’attardent sur les promoteurs opportunistes, sur les manipulations des politiques (locales ou non) mais aussi sur les forces des collectifs. On découvre comment une ville fait évoluer ou non son tissu urbain. « Marseille en résistance » est un bouquin passionnant qui donne à réfléchir sur les luttes passées et celles à venir. Une photographie précise et dense, d’un paysage politique et urbain.

Marseille en résistances, ed. La Découverte, 19 euros, 228 pages.

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