Alice Zeniter, une écrivaine au travail / Richard Gaitet

Écrire, c’est le plus drôle de tous les jeux.

Deuxième livre que je lis dans cette collection, qui est une adaptation de l’excellent podcast de Richard Gaitet « Bookmakers ». Le livre reprend les entretiens enregistrés avec Arte Radio, entre Richard Gaitet et une autrice ou un auteur, et avec des passages inédits et supplémentaires dans l’édition papier. On découvre Alice Zeniter et ses méthodes de travail, sa vision de la lecture, de l’écriture. Mais aussi un sens de la répartie bien agréable à lire. J’avais adoré « L’art de perdre » lors de sa lecture et c’est un réel plaisir de la (re)découvrir à travers son univers en entrant un peu dans sa fabrique, dans ses routines de travail ou encore dans son rapport à la fiction (n’hésitez pas au passage à lire « Toute une moitié du monde » un essai qu’elle a écrit sur la question). Comme avec Nicolas Mathieu l’entretien est passionnant de bout en bout et permet de faire des découvertes au gré des références qu’Alice Zeniter cite tout en permettant de questionner tout le travail derrière la création des bouquins. Hâte de lire le suivant tout simplement.

Alice Zeniter, une écrivaine autravail, ed. Points, 10,90 euros, 144 pages.

Les motifs / Laurent Mauvignier

Entretiens sur l’écriture de Laurent Mauvignier avec Pascaline David.

J’avais adoré découvrir la plume de Laurent Mauvignier dans son roman « Histoires de la nuit ». Et j’étais curieux de découvrir ce petit bouquin édité chez Diagonale, qui retranscrit un entretien entre l’auteur et Pascaline David, une des deux fondatrices des éditions Diagonale (avec Ann-Gaëlle Dumont). Pascaline David prend le temps de questionner Laurent Mauvignier sur son parcours, sur son approche de l’écriture et sur sa façon d’aborder la construction de ses romans. C’est passionnant de bout en bout. L’auteur s’attarde sur ses procédés narratifs sans donner forcément de recettes. On entre dans les coulisses de ses livres (« Continuer », Histoires de la nuit », etc.) et c’est vraiment intéressant d’avoir son point de vue après lecture. On perçoit par exemple des personnages sous un nouveau jour. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, Laurent Mauvignier a un ton bien à lui, une écriture singulière. On retrouve de longues phrases et toute une réflexion sur le rythme dans son travail. Et même si à première vue cela semble idéal pour perdre le lecteur ce n’est pas du tout le cas et on se laisse porter dans ses histoires. Dans « Les motifs » on retrouve toute la singularité de l’auteur et son sens du détail. Un riche entretien à découvrir.

Les motifs, ed. Diagonale,

Nicolas Mathieu, un écrivain au travail / Bookmakers par Richard Gaitet

La littérature est une manière de rendre les coups.

Au départ il y a la « Nova book box », une émission littéraire sur radio nova, un peu confidentielle et animée par Richard Gaitet. On y découvre des bouquins oubliés ou méconnus, avec la certitude de passer un moment hors du temps lorsque l’animateur lit des passages notamment. L’émission s’arrête et Richard Gaitet à l’occasion de poursuivre un projet similaire autour du livre sur les ondes d’Arte Radio. Il propose un podcast dans lequel il recevrait des autrices et des auteurs pour parler techniques derrière les bouquins, discuter des recettes autour de la création, des habitudes de travail ou encore de l’argent. Et avec de longs entretiens en plusieurs parties et un montage aux petits ognons comme souvent sur Arte Radio, on assiste à la création du podcast « Bookmakers ». Les premiers invités rendent les émissions intéressantes (Jaenada, Dany Laferrière ou Lola Lafon) et le concept de s’arrêter en profondeur sur le travail des écrivains fonctionne très bien. C’est tout récemment que la retranscription papier chez Points de ces entretiens permet de les redécouvrir sous un nouveau jour. À commencer par la retranscription de l’épisode sur Nicolas Mathieu où l’on découvre le parcours d’un auteur qui se lance tardivement dans l’écriture et qui discute toutes en nuances de ses différents bouquins. À noter au passage que l’on trouve des parties inédites ajoutées justement à l’occasion de ce passage papier du podcast. Que l’on ait déjà écouté ou pas les épisodes de « Bookmakers », on lit ces échanges autour de l’écriture avec beaucoup d’intérêt.

Nicolas Matheiu, un écrivain au travail, ed. Points, 10,90 euros, 144 pages.

Dis-moi pour qui j’existe ? / Abdourahman A. Waberi

Comment la maladie change une relation ente un père et sa fille.

J’ai beaucoup apprécié « Pourquoi tu danses quand tu marches » d’Abdourahman A. Waberi et j’avais hâte de retrouver sa plume et cette façon bien à lui de raconter un quotidien. Après avoir abordé son enfance à Djibouti, l’auteur s’attarde ici sur l’impact de la maladie de sa fille dans sa vie de famille. Une maladie qui touche Béa du haut de ses six ans et qui va nécessiter une longue hospitalisation à l’hôpital Robert Debré de Paris. Étant professeur à Washington l’auteur ne va pas pouvoir être au chevet de sa fille et c’est ainsi qu’un dialogue à distance s’instaure entre les deux. L’auteur appelant quotidiennement sa fille. À travers ce dialogue touchant et sensible, Abdourahman A. Waberi prend le temps de décortiquer les émotions qui le traversent. Il réfléchit au sens à donner à cette épreuve, à cette maladie (l’arthrite infantile) qui ressemble cruellement à la sienne lorsqu’il avait 14 ans. Dans ces échanges entre un père et sa fille, on distingue ce que l’évènement fait ressurgir pour tous les deux. Que ce soit le passé avec l’enfance de l’auteur à Djibouti ou le futur lorsque Béa se projette en s’imaginant courir à nouveau. « Dis-moi pour qui j’existe » est aussi un vibrant hommage au soin et aux soignants. Être capable pour certains et certaines de se montrer à l’écoute, de créer une relation de soin qui prend en compte toute la singularité du patient. Un très beau livre à découvrir.

Dis-moi pour qui j’existe ?, ed. JC Lattès, 20,90 euros, 276 pages.

L’éducation (vraiment) positive / Béatrice Kammerer

Des nuances et des questionnements intéressants, sur les injonctions dans la parentalité.

Béatrice Kammerer écrit un bouquin stimulant en questionnant l’éducation positive et tout ce qu’elle recouvre. Que ce soit avec l’aspect commercial ou avec les injonctions qu’elle peut véhiculer, la notion est plus complexe qu’elle en a l’air. L’éducation positive est loin d’être simple à définir et elle ne s’arrête pas simplement à des bonnes pratiques qui auraient des effets quantifiables sur les enfants. L’autrice prend le temps de déconstruire les impensés derrière cette notion et c’est vraiment intéressant. Du statut des sacro sainte neurosciences aux discours de certaines autrices qui vendent beaucoup dans le domaine de la parentalité aujourd’hui, elle met en perspective pas mal d’éléments. Le tout permet de relativiser l’éducation des enfants et le rôle des parents dans notre société. Un riche essai qui ouvre des questionnements.

L’éducation (vraiment) positive, ed. Larousse, 14,95 euros, 256 pages.

Tenir jusqu’à l’aube / Carole Fives

Une femme seule élève son enfant et tente de surnager.

Lyon. Une femme élève seule son enfant et tente de surnager en continuant à travailler et en s’occupant de son fils. Malheureusement il est bien compliqué pour elle de payer son loyer et de tout faire. Lorsque ce n’est pas son conjoint qui lui impose des contraintes par son absence, c’est le fonctionnement de la société qui lui rappelle sa condition. Rien n’est facilité et le seul moyen pour elle de tenir consiste à s’aménager de petites balades dans le quartier lorsque son fils est endormi le soir. Un temps suspendu. Une soupape. Un temps de réflexion.

Carole Fives met très bien en évidence dans ce récit plein de justesse les difficultés d’une mère célibataire. Les injonctions qui pèsent sur elles. Il faut pouvoir être là toute la journée pour son enfant. Il faut savoir « s’organiser » pour être disponible dans son travail. Il faut palier à l’absence du père et aux questionnements de l’enfant. Une charge. Un quotidien qui laisse peu de respiration. L’autrice intègre dans son récit des moments où le personnage se rend sur des forums pour discuter de sa situation. Une occasion supplémentaire pour la lectrice ou le lecteur de constater comment les gens réagissent face au célibat et à la maternité. Les remarques acerbes fusent, provenant parfois d’autres mères célibataires. Comme en écho au thème du livre de Samira El Ayachi lu il y a peu, ce roman de Carole Fives vise juste.

Tenir jusqu’à l’aube, ed. Folio, 7 euros, 192 pages.

Au-delà de la pénétration / Martin Page

Un petit manifeste qui tape comme il se doit sur les normes en vigueur.

Dans une démarche pleine de transparence et de sincérité, Martin Page questionne une pratique de la sexualité que l’on ne questionne quasi jamais et qui va de soi, celle de la pénétration. C’est l’occasion pour l’auteur d’élargir le spectre en mettant en évidence les injonctions qui pèsent sur nos sphères intimes au-delà de la pénétration. Et cela dès l’éducation à la sexualité chez les plus jeunes. Sans donner la leçon ni recommander une façon de faire plutôt qu’une autre, Martin Page invite à faire un pas de côté et à questionner nos pratiques, nos réflexions et plus particulièrement nos échanges sur la question. On se rend rapidement compte qu’ils ne sont pas si nombreux et que les tabous ne sont pas loin dans les discussions, notamment chez les hommes. Mêlant une réflexion subjective assumée à plusieurs témoignages recueillis durant la construction de ce livre, l’auteur propose un petit manifeste qui mérite qu’on s’y attarde. On distingue derrière ces injonctions une nouvelle façon de renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes. Scoop : au bénéfice des hommes. Il y a beaucoup à discuter au fil des pages, que l’on soit d’accord ou non, que l’on souhaite nuancer tel ou tel propos, et c’est justement ça qui est intéressant. C’est plutôt rare les bouquins qui abordent ces questions de cette façon-là. Le travail éditorial réalisé sur le livre par l’association de Coline Pierré et Martin Page Monstrograph ne gâche rien. Ça donne tout simplement envie de le faire lire autour de soi et d’en discuter.

Au-delà de la pénétration, ed. Le nouvel attila, 12 euros, 160 pages.

Je suis une fille sans histoire / Alice Zeniter

Un stimulant essai sur la création et sur l’impact de la fiction dans le réel.

Alice Zeniter remet en question pas mal d’à priori sur la fiction et sur le processus de création avec ce court livre. C’est aussi l’occasion d’amener une réflexion sur le pouvoir de la fiction au prisme de son expérience de romancière. Elle s’appuie pour cela sur des textes qui lui ont été précieux (Ursula Le Guin, Paul Veyne) et sur son expérience d’autrice pour aborder le statut des femmes dans les fictions, l’impact que peuvent avoir les histoires et récits dans la vie de tous les jours ou la question de l’écriture. Un court bouquin nécessaire. Ajouter à cela le ton alerte et plein de bons mots de l’autrice et ça donne à l’arrivée un singulier essai à découvrir.

Je suis une fille sans histoire, ed. L’Arche, 12 euros, 112 pages.

Génération Q / Dr Kpote

Chroniques.

Dr Kpote est militant et animateur de prévention en milieu scolaire. La maison d’édition La ville brûle a eu la très bonne idée de rassembler ses chroniques parues dans la magazine Causette entre 2012 et 2018. Des chroniques sur l’éducation à la sexualité et sur la vie affective des élèves.

Les rencontres avec les lycéens et lycéennes à l’origine des textes, sont aussi l’occasion pour l’auteur d’aborder de nombreux autres sujets au détour des discussions (l’égalité, le consentement, la religion, la prostitution, etc.).

C’est un livre important qui peut être une excellente entrée pour débattre et dialoguer avec les élèves (si l’on partage la lecture d’une chronique par exemple). Je ne suis pas d’accord sur tout notamment les questions autour du rap mais pour autant, c’est un petit bouquin précieux. Ces thèmes et ces questions sont peu (voire pas du tout) traités dans les essais en règle générale.

Génération Q, ed. La ville brûle, 15 euros, 184 pages.

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