Triste tigre / Neige Sinno

Des réflexions marquantes émergent, à travers le récit de l’inceste qu’a traversé l’autrice.

Dans ce récit l’autrice relate son vécu lorsqu’elle était enfant et qu’elle a été abusé par son beau père pendant plusieurs années de 7 à 14 ans. De nombreuses réflexions sur l’inceste sont au coeur du livre et Neige Sinno dans une forme inédite construit un récit qui ne se veut pas une autobiographie ni une fiction. Avec de nombreuses références elle trace les contours de ce qu’elle a vécu, notamment le statut de l’agresseur ou le procès de son beau-père. On lit des pensées qui renvoient à ce qu’elle a traversé et comment elle aborde aujourd’hui ce vécu, comment vivre avec, dans son corps et dans son quotidien. « Triste tigre » est un texte difficile et marquant qui va chercher loin les mécanismes derrière l’inceste, derrière les violences sexuelles. Un texte qui questionne aussi le besoin d’écrire sur cet évènement et les limites thérapeutiques de l’écriture.

Triste tigre, ed. P.O.L, 20 euros, 288 pages.

Les débuts / Claire Marin

Par où recommencer ?

Comme souvent chez Claire Marin on prend beaucoup de plaisir à lire ses réflexions sur les thèmes qu’elle aborde. C’est dense tout en étant accessible et en laissant à penser. C’était le cas dans « Ruptures » et « Être à sa place » et c’est encore une fois le cas ici avec « Les débuts ». Une notion que la philosophe et enseignante de français questionne en profondeur. A commencer par un début dans sa vie personnelle lorsqu’elle est devenue mère. La suite découle et on suit avec plaisir les digressions de l’autrice sans décrocher pour autant. Que se passe t-il dans un « début » ? Quels sentiments ressent-on ? A quoi cela nous renvoie ? Et est-ce que les jeunes ou les enfants sont les seuls à ressentir ses émotions singulières dans chaque début ? Claire Marin poursuit ses réflexions pour notre plus grand plaisir sans donner de réponse toute faite et sans donner de réponse tout court d’ailleurs. C’est aussi pour ça que l’on apprécie son travail. Si vous ne connaissez pas je vous invite à découvrir ses bouquins qui avec beaucoup de talent questionne nos quotidiens.

Les débuts, ed. Autrement, 19 euros, 192 pages.

Les motifs / Laurent Mauvignier

Entretiens sur l’écriture de Laurent Mauvignier avec Pascaline David.

J’avais adoré découvrir la plume de Laurent Mauvignier dans son roman « Histoires de la nuit ». Et j’étais curieux de découvrir ce petit bouquin édité chez Diagonale, qui retranscrit un entretien entre l’auteur et Pascaline David, une des deux fondatrices des éditions Diagonale (avec Ann-Gaëlle Dumont). Pascaline David prend le temps de questionner Laurent Mauvignier sur son parcours, sur son approche de l’écriture et sur sa façon d’aborder la construction de ses romans. C’est passionnant de bout en bout. L’auteur s’attarde sur ses procédés narratifs sans donner forcément de recettes. On entre dans les coulisses de ses livres (« Continuer », Histoires de la nuit », etc.) et c’est vraiment intéressant d’avoir son point de vue après lecture. On perçoit par exemple des personnages sous un nouveau jour. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, Laurent Mauvignier a un ton bien à lui, une écriture singulière. On retrouve de longues phrases et toute une réflexion sur le rythme dans son travail. Et même si à première vue cela semble idéal pour perdre le lecteur ce n’est pas du tout le cas et on se laisse porter dans ses histoires. Dans « Les motifs » on retrouve toute la singularité de l’auteur et son sens du détail. Un riche entretien à découvrir.

Les motifs, ed. Diagonale,

Réparer la santé / Alice Desbiolles

Démocratie, éthique, prévention.

Alice Desbiolles est médecin en santé publique, une spécialité méconnue dont on parle peu. Une spécialité pourtant au centre de nos préoccupations ces derniers temps avec l’épidémie de Covid. L’autrice avec beaucoup de clarté prend du recul par rapport à l’épidémie et par rapport à la gestion des pouvoirs publics. Elle constate par exemple qu’au début de l’épidémie il était compliqué de parler d’approche holistique et de santé publique. Le gouvernement donnait l’impression de vouloir agir vite en se focalisant sur la santé et l’économie et sans prendre en compte les autres sphères de la société aussi impactées. L’autrice se demande dans quelles mesures il était/il est possible de concilier le respect de la démocratie et la prise en charge de la crise. Il est question d’éthique, d’autonomie de chacun et chacune face à la maladie, mais aussi de la toute puissance de l’approche biomédicale (une approche nécessaire, mais qui ne doit pas être la seule approche). L’autrice en s’appuyant notamment sur l’approche d’Ivan Illich, construit un raisonnement qui permet de réaliser la complexité de la situation. De l’éthique à la notion de soin en passant par la morale, Alice Desbiolles écrit un court essai percutant qui permet d’éclairer sous un nouveau jour les désaccords qui sont apparus dans la société pendant cette crise sanitaire.

Réparer la santé, ed. Rue de l’échiquier, 12 euros, 112 pages.

Toute une moitié du monde / Alice Zeniter

Le nouvel essai d’Alice Zeniter qui questionne la représentation des femmes dans la fiction.

Alice Zeniter questionne la représentation des femmes dans la littérature et discute aussi sur ses propres expériences de lectrice. « Toute une moitié du monde » est un essai intéressant qui s’inscrit dans la lignée du précédent « Je suis une fille sans histoire ». L’autrice voit ses pratiques de lectrice évoluer depuis qu’elle est jeune, en questionnant la représentation des personnages féminins notamment via le test de Bechdel. Il est aussi question du désir et de la place du désir masculin dans les fictions. Un sujet peu abordé. On découvre au fil des pensées d’Alice Zeniter plusieurs autrices que l’on a envie de redécouvrir ou de relire (Toni Morrison, Chris Kraus, etc.). Un bouquin stimulant qui ouvre des perspectives.

Toute une moitié du monde, ed. Flammarion, 240 pages, 21 euros.

Je me suis tue / Mathieu Menegaux

Une femme sort de son mutisme la veille de son jugement et décide d’écrire sur ce qu’elle a traversé.

A la frontière du roman noir et du thriller, ce livre débute avec une femme qui se retrouve en prison. Le lecteur ne sait pas pour quelles raisons. Elle écrit dans sa cellule et remonte le cours des évènements. Une mécanique implacable se met en place pour comprendre ce qui l’a mené là et les pièces du puzzle s’imbriquent progressivement sous les yeux du lecteur. Cette mécanique est prenante et on discerne que l’indicible n’est pas loin. En peu de pages, l’auteur écrit un roman qui happe et qui donne à voir une violence qui touche souvent les mêmes personnes. Une violence qui impose le silence. Je découvre Mathieu Menegaux avec Je me suis tue son premier roman et c’est une histoire qui remue et qui met l’homme face à ses facettes les plus sombres.

Je me suis tue, ed. Points, 6,20 euros, 144 pages.

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