Le livre de Daniel / Chris de Stoop

Un agriculteur, l’oncle de l’auteur, meurt dans des circonstances troublantes dans sa ferme.

Ce livre est l’histoire d’un homme, un agriculteur isolé qui a été assassiné dans sa ferme suite à un cambriolage. Un groupe de jeunes venu pour récupérer l’argent liquide du vieil homme laisse le vieil homme pour mort. L’auteur Chris de Stoop, le neveu de Daniel, s’est penché sur cette affaire pour comprendre comment ces jeunes en étaient arrivés là et dans quelles circonstances son oncle est mort. Dans ce récit enquête, l’auteur revient dans la région près de Roubaix et découvre la vie de son oncle qui peu de temps avant sa mort ne voyait déjà plus grand monde. Chris de Stoop décide de se porter partie civile au procès des jeunes. Toute une partie du livre est dédiée à ce procès. « Le livre de Daniel » est un livre âpre, dans lequel on découvre ce que c’est que la vie d’agriculteur et les dettes qui se multiplient ces dernières années dans le monde agricole. Ce livre est aussi la peinture d’une jeunesse désœuvrée qui comme le vieil homme solitaire, est stigmatisée mais pour d’autres raisons. Le récit est précis, l’auteur ne cherche pas à prendre parti, mais souhaite avant tout comprendre, mettre des mots sur les réactions de chacun, les chaines de conséquences. « Le livre de Stoop » est le récit fouillé d’un fait divers, mais aussi le reflet d’une époque.

Le livre de Daniel, ed. Globe, 22 euros, 288 pages.

Au nom de Chris / Claudine Desmarteau

Découverte de l’autrice avec ce roman sur le harcèlement dans lequel la tension monte crescendo.

Ce bouquin a récemment reçu le prix Vendredi, qui récompense un ouvrage en littérature jeunesse et qui a déjà vu passer des lauréats à découvrir sans hésiter (notamment Sylvain Pattieu et sa série Hypallage). Avec « Au nom de Chris » de Claudine Desmarteau, on découvre un jeune collégien qui vit avec sa mère. Sa mère qui l’élève en le surprotégeant et en étant sur son dos à chaque instant. Adrien vit très mal cette situation et a le sentiment d’étouffer chez lui. Et au collège ce n’est pas beaucoup mieux puisqu’il se fait harceler et vit un véritable calvaire. Adrien décide alors à plusieurs reprises de se rendre en forêt en vélo près de chez lui. C’est là, pendant une de ces sorties, que le jeune homme rencontre Chris. Un homme avec qui il sympathise et qui commence à lui apprendre des choses sur la vie en forêt. Adrien est subjugué dans un premier temps et cette rencontre est une vraie bulle d’oxygène dans un quotidien qui ressemble à un enfer. La suite est moins reluisante et avec une langue unique et des chapitres courts, Claudine Desmarteau écrit un roman tendu, sur le phénomène de l’emprise.

Au nom de Chris, ed. Gallimard Jeunesse, coll. Scripto, 13,90 euros, 336 pages.

Jeannette et le crocodile / Séverine Chevalier

Un roman noir émouvant et très bien écrit.

Pascal vit avec sa sœur Blandine dans une maison reculée, non loin d’un petit ruisseau. Jeannette la fille de Blandine vit aussi avec eux, du haut de ses dix ans au début du roman. Le lecteur va la voir grandir au fil de l’histoire. Elle grandit avec un monde d’adulte qu’elle a parfois du mal à comprendre. Jeannette au début de ce récit s’apprête à se rendre au zoo de Vannes pour aller observer un crocodile qui a été récupéré dans les égouts près du Pont-Neuf. La jeune fille admire l’animal qu’elle attend de croiser depuis ses six ans. Malheureusement les vies amochées des adultes et de son entourage télescopent ce rêve d’enfant et les choses vont être plus compliqué que prévu. Blandine sa mère tente de se dépêtrer de son addiction à l’alcool tandis que Pascal son oncle tente de faire avec ses différences qui le marginalisent aux yeux des autres. Séverine Chevalier saisie des instants de vie dans ce récit plein d’humanité et on est touchés par ces personnages. « Jeannette et le crocodile » c’est l’histoire d’une enfant qui fait face à la dureté du quotidien et à la violence des adultes. Un très beau bouquin, poignant.

Jeannette et le crocodile, ed. La manufacture de livres, 16,90 euros, 176 pages.

Nous étions le sel de la mer / Roxanne Bouchard

Un polar dépaysant et prenant, à l’atmosphère singulière.

Catherine est au bout du rouleau et démissionne de son travail pour partir en Gaspésie, une péninsule Québécoise où il n’y a pas foule, hormis au moment de la haute saison où les touristes débarquent. Elle se rend dans le coin car elle souhaite retrouver sa mère mais évidement les choses ne vont pas être aussi simple. L’accueil chaleureux aux premiers abords des habitants du coin s’avère rapidement être une façade et petit à petit le lecteur découvre l’envers du décor. Les marins sont des êtres solitaires, parfois taciturnes mais qui sont aussi capables de cacher des choses bien enfouis. Catherine Day va vite le comprendre. Peu de temps après c’est Joaquin Moralès, un policier qui n’est pas du coin qui débarque pour une sombre affaire. Les deux personnages pour des raisons différentes, vont trouver tout un tas de réponses à leurs questionnements existentiels en arrivant en Gaspésie. A travers un ton singulier, ce roman noir qui sent bon l’air marin offre un agréable moment de lecture. La tension augmente au fil des pages. Roxanne Bouchard dépeint des personnages plein d’humanité avec leurs travers et surtout avec beaucoup de justesse dans les émotions. « Nous étions le sel de la mer » est un polar qui nous fait découvrir une région du globe et son atmosphère, une atmosphère iodée qui dépayse. Du tout bon.

Nous étions le sel de la mer, ed. de l’Aube, 19,90 euros, 320 pages.

On était des loups / Sandrine Collette

Un très beau roman noir.

Un couple vit à l’écart du monde, dans une maison proche des montagnes. L’homme, le narrateur de ce récit commence par expliquer ce besoin de vivre à l’écart, ce rapport singulier aux choses qui l’entoure. Une nature qui peut parfois être indifférente, souvent belle et surtout comme souvent chez l’autrice on retrouve ces questionnements autour du rapport entre les humains et la nature qui les entoure. Le couple voit arriver un enfant et la cellule familiale évolue, est chamboulée. La routine n’est plus la même, le rapport à la chasse et au quotidien non plus. Jusqu’au drame. « On était des loups » est un magnifique roman noir, épuré et qui touche. Sandrine Collette aborde avec une rare justesse, le sentiment paternel et tout ce qui en découle. Ce roman donne l’impression que l’autrice rend toujours plus marquante. On pense à « Une immense sensation de calme » de Laurine Roux à certains moments. Une claque.

On était des loups, ed. JC Lattès, 19,90 euros, 208 pages.

Blizzard / Marie Vingtras

Une nature hostile devient le théâtre d’une disparition. Un très beau premier roman.

Tout commence dans une nature inhospitalière, dans un froid mordant. Bess le temps de remettre ses lacets lâche le bras du jeune garçon qui est avec elle. L’instant d’après, elle le perd. Les bases sont posées et on est tout de suite dans le bain dans « Blizzard », ce roman de Marie Vingtras qui tend vers le noir. Les chapitres se suivent avec le point de vue de chaque personnage. On suit leur réaction face à cet évènement tout en apprenant à les découvrir lorsqu’il parle d’eux, de leur passé, de leur façon de voir les choses. Marie Vingtras crée une tension, ces chapitres courts campent en un rien de temps cette situation qui dégénère. Paradoxalement même si les évènements se déroulent à l’extérieur, un sentiment d’enfermement tient le lecteur et participe à la mise en place du suspense. C’est aussi un roman sur la paternité, celle de Benedict. Celle d’un homme qui se rend compte très tôt dans le livre que son enfant n’est plus en sécurité et qu’il ne peut rien y faire. On a déjà rencontré l’assemblage de ces thèmes dans des romans (la nature hostile, un personnage brutal et macho, un environnement habité mais isolé, etc.) et pourtant ça fonctionne encore. L’atmosphère joue beaucoup. On se laisse porter par ce premier roman envoûtant, où l’on comprend l’intrigue et le tableau complet petit à petit.

Blizzard, ed. de l’Olivier, 17 euros, 192 pages.

Des nœuds d’acier / Sandrine Collette

Une sortie de prison qui se passe mal. Sombre à souhait.

Théo sort de prison et n’a qu’une idée en tête, se rendre chez son frère, la personne à l’origine de sa détention. Comme une obsession, il fonce et met tout de suite sa liberté en danger. Il passe tout prêt de faire une nouvelle connerie et réussit à s’enfuir. La suite ressemble à une nouvelle fuite en avant qui va prendre un tournant qu’il ne peut pas imaginer une seule seconde. Un tournant qui ressemble à l’enfer.

Sandrine Collette choisit de laisser la parole à ce personnage qui se livre pour raconter son histoire à la première personne et on est complètement immergé dans son récit. L’écriture est prenante, les petits paragraphes se suivent et les mots de l’autrice soigneusement choisis sonnent juste. La tension monte crescendo et le lecteur découvre l’humanité dans ce qu’elle a de plus sordide. Des nœuds d’acier est un sacré roman noir, qui laisse un goût âpre une fois la dernière page tournée.

Des nœuds d’acier, ed. Le livre de poche, 7,40 euros, 264 pages.

Le puits / Iván Repila

Un roman inclassable qui mélange beauté et âpreté.

Tout démarre dans un puits dans lequel le lecteur découvre deux frères coincés. Le Grand et le Petit. Alors qu’ils ramènent des provisions à leur mère, ils chutent sans que l’on sache pour quelle raison au début du livre. Les deux frères vont tout tenter pour se sortir de là et un long calvaire débute, dans lequel la faim et la folie se mettent à graviter petit à petit autour des deux personnages. Ce court roman est un huit-clos surprenant, qui fait ressentir aux lecteurs les sensations les plus désagréables comme rarement. Iván Repila avec une concision redoutable fait passer le lecteur par tous les états. En parallèle et sans alourdir le récit, il convoque à travers les pensées du Petit et du Grand de nombreuses images liées à l’enfermement, à ce que peut représenter l’humanité, la survie. Le puits est une expérience de lecture et un livre bien plus dense qu’il n’en a l’air. Impressionnant.

Traduit par Margot Nguyen-Béraud.

extrait : « L’orage éclate à l’instant où la mort se présente au bord du puits. »

Le puits, ed. Points, 6,10 euros, 128 pages.

Appartement 816 / Olivier Bordaçarre

Un roman étouffant, sombre, où l’isolement et ses effets sont omniprésents.

Un homme de 41 ans vit avec sa femme et son fils au neuvième étage d’un appartement. Jusqu’à là rien de bien surprenant. Sauf que la société dans laquelle ils vivent traverse plusieurs vagues de virus et que le confinement chez soi est de mise depuis maintenant trois années. La France confine ses citoyens sur de plus ou moins longues périodes. Des règles précises sont édictées et elles réduisent les libertés de manière significatives en régissant le quotidien. Autant vous le dire tout de suite, cela va plus loin que ce que l’on est train de traverser en termes de restrictions. Du drone qui passe devant les fenêtres pour voir si les horaires d’aération sont respectés à la tenue intégrale nécessaire pour récupérer les livraisons de denrées de première nécessité devant chez soi en passant par les peines lourdes en cas de non-respect des règles, la sensation d’enfermement n’est pas loin pour le lecteur. Alors cet homme écrit. Didier Martin écrit sur son quotidien morose comme un exutoire, comme un baume. Ce qu’il pense du confinement qu’il traverse, ce qu’il pense des gens qui ne respectent pas les mesures et qui s’y opposent. Il parle aussi de sa famille, d’une vie qu’il prend le temps d’analyser, car il a ce temps, un temps nouveau.

C’est à partir de là que le lecteur découvre une personnalité singulière, voire plutôt inquiétante. Le narrateur n’écrit pas ce quotidien dans des carnets, mais utilise les surfaces qui l’entourent dans l’appartement. Voilà une première découverte étrange et il va y en avoir d’autres. Olivier Bordaçarre décrit ce vase clos qu’est l’appartement 816 et l’auteur injecte le malaise petit à petit dans ce récit pas comme les autres. Il pose sa focale sur la folie des hommes et son narrateur devient antipathique au fil des pages, flippant. D’un pragmatisme à toutes épreuves, on se demande où ses réflexions vont le mener. La suite n’est pas réjouissante et va nous faire réfléchir sur les conséquences inattendues d’un enfermement généralisé, notamment les conséquences psychologiques.

Appartement 816 est un roman très noir, qui montre à sa façon les aberrations d’une société qui lutte et où parfois le non-sens est roi.

Appartement 816, ed. L’Atalante, coll. Fusion, 14,90 euros, 160 pages.

Solak / Caroline Hinault

Un huit-clos mené tambour battant et très bien écrit.

Le narrateur Piotr fait partie des quatre personnages de l’histoire et raconte son expédition sur Solak, une presqu’ile sur la banquise plutôt inhospitalière. Il y côtoie Grizzly, un scientifique dans le coin pour faire des relevés, Roq un ancien soldat qui assure la sécurité du territoire et un jeune soldat taiseux et énigmatique, arrivé en dernier sur les lieux. C’est dans cet environnement où le climat est rude et où les corps sont éprouvés, que les quatre protagonistes vont tenter de ne pas sombrer face à la solitude, mais aussi, et surtout face aux passés de chacun d’entre eux. Un passé que l’on devine trouble et suspect au fil des pages. On ne se retrouve pas isolé du monde pendant des mois sans raison. La suite laisse le huis clos s’installer et l’atmosphère est de plus en plus oppressante et bien restituée jusqu’au final, à couper le souffle. Caroline Hinault écrit un roman qui sonne et qui est très bien amené. Sans détour, les phrases claquent et les images nous viennent rapidement. C’est prenant et en même temps dérangeant. Ça faisait un petit moment que je n’avais pas lu un roman noir comme celui-là.

Solak, ed. Le Rouergue, 15 euros, 128 pages.

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