Les étoiles s’éteignent à l’aube / Richard Wagamese

Un très très beau roman sur le périple d’un fils et de son père en fin de vie.

Frank Starlight est un jeune homme qui a été élevé dans la nature par un ancien qui lui a appris à devenir autonome. Il a peu voire pas du tout connu son père jusqu’au jour où au début du roman il est appelé à son chevet, car ce dernier est mourant. Eldon son père lui demande une dernière faveur. Il souhaite qu’il l’accompagne dans un dernier voyage jusqu’à des montagnes pour y être enterré. Les voilà partis tous les deux dans l’arrière-pays de la Colombie Britannique avec tout ce qu’elle a de sauvage. Frank découvre alors un père affaibli par l’alcool et hanté par de sombres souvenirs. Ce périple sera l’occasion pour Eldon de raconter à son fils des passages importants de sa vie qui l’ont détruit, mais qui l’ont aussi construit. Richard Wagamese a un sens du détail rare, il campe une atmosphère unique tout au long du roman et donne une grande place aux émotions de ses personnages. La souffrance est omniprésente, mais il y a aussi de très beaux passages beaucoup plus lumineux. On a le sentiment qu’aucun mot n’est choisi au hasard et c’est aussi pour cela que j’aime autant cet auteur. On ne tombe pas dans le cliché et le périple tout comme le vécu des personnages sonnent juste. L’origine indienne du père et du fils est aussi un thème à part entière et plus largement un thème que l’on retrouve dans les livres de l’auteur. Un auteur à part pour moi.

Les étoiles s’éteignent à l’aube, ed. 10/18, 8 euros, 312 pages.

Rien, plus rien au monde / Massimo Carlotto

Un roman coup de poing sur une famille touchée par la précarité de plein fouet.

La narratrice raconte sa vie de famille prolétaire à Turin, son mari a perdu son job chez Fiat et les fins de mois sont compliquées. Ajoutez à cela des tensions avec sa fille de 20 ans et vous avez le tableau complet. Massimo Carlotto manie l’art du roman noir avec beaucoup de talent et c’est encore le cas dans ce court roman qui dresse le portrait d’une société Italienne peu reluisante. On sent que la mère de famille est prise dans un engrenage et on le comprend au fil des pages. Le racisme, la précarité et le statut des femmes dans une société italienne qui déraille sont abordées. En peu de pages l’auteur dresse un polar réaliste et redoutable.

Rien, plus rien au monde, ed. Métailié, 6 euros, 72 pages.

Le puits / Iván Repila

Un roman inclassable qui mélange beauté et âpreté.

Tout démarre dans un puits dans lequel le lecteur découvre deux frères coincés. Le Grand et le Petit. Alors qu’ils ramènent des provisions à leur mère, ils chutent sans que l’on sache pour quelle raison au début du livre. Les deux frères vont tout tenter pour se sortir de là et un long calvaire débute, dans lequel la faim et la folie se mettent à graviter petit à petit autour des deux personnages. Ce court roman est un huit-clos surprenant, qui fait ressentir aux lecteurs les sensations les plus désagréables comme rarement. Iván Repila avec une concision redoutable fait passer le lecteur par tous les états. En parallèle et sans alourdir le récit, il convoque à travers les pensées du Petit et du Grand de nombreuses images liées à l’enfermement, à ce que peut représenter l’humanité, la survie. Le puits est une expérience de lecture et un livre bien plus dense qu’il n’en a l’air. Impressionnant.

Traduit par Margot Nguyen-Béraud.

extrait : « L’orage éclate à l’instant où la mort se présente au bord du puits. »

Le puits, ed. Points, 6,10 euros, 128 pages.

Rien ne t’appartient / Nathacha Appanah

Un deuil en appelle un autre. Le passé peut alors ressurgir.

Un roman construit avec brio où la question du deuil se mêle au portrait d’une femme, notamment son enfance qui va faire écho avec les événements qu’elle vit. Difficile de restituer des ressentis à la lecture de ce livre, c’est prenant et on se laisse complètement happer par le rythme de l’autrice. Que ce soit l’écriture ou les thématiques abordées (la famille, la condition féminine, la filiation ou encore l’enfance), c’est toujours très juste dans les descriptions et en même temps l’autrice donne le parole comme souvent à des personnes marginalisées. Lisez-le sans hésiter, les livres de Nathacha Appanah touchent au coeur et je ne regrette pas de l’avoir découverte avec « Tropique de la violence ».

Rien ne t’appartient, ed. Gallimard, 16,90 euros, 160 pages.

Aux animaux de la guerre / Nicolas Mathieu

Un magnifique roman noir sur une jeunesse désabusée et un monde ouvrier en souffrance.

Cet extrait d’une interview de Nicolas Mathieu publiée en 2018 sur le site de Télérama résume très bien ce que l’auteur a souhaité construire avec ce polar. Il s’exprime dans cette interview sur l’adaptation du livre en série : « Dès le départ, j’avais un principe moral, qui explique la forme chorale du roman : je ne voulais pas raconter l’histoire du point de vue d’un seul personnage, parce que chacun a ses raisons de faire ce qu’il fait. »

La chronique d’un monde ouvrier, la chronique d’un monde qui se bat et que l’on entend peu mais aussi la chronique d’une jeunesse qui grandit à l’écart des villes et tente s’en sortir. « Aux animaux de la guerre » c’est un peut tout ça à la fois et c’est d’une justesse rare. Une claque en somme avec des personnages marquants et des dialogues qui sonnent. Une fois démarré difficile de décrocher.

extrait : « La voiture roulait vite, délicate et véloce, emmenant après elle le chagrin et la violence. »

Aux animaux de la guerre, ed. Actes Sud, 9,70 euros, 448 pages.

Hakim / Diniz Galhos

La fuite en avant d’Hakim, un dessinateur de bd paranoïaque et ultra lucide.

Hakim va passer une semaine seul pour bosser sur sa bd. Il accompagne sa famille qui rentre au bled, à l’aéroport de Roissy. Sur le retour en RER, seul avec ses pensées et déjà en train de maronner, il tombe sur un bagage abandonné dans le wagon. Il hésite alors à prévenir tout le monde au risque d’être immédiatement suspecté avec sa couleur de peau, son jogging et sa barbe. C’est le début d’une fuite en avant pleine de paranoïa.

Hakim est le produit d’une France qui stigmatise mais Hakim est aussi une machine à digressions. C’est cette forme que va choisir l’auteur pour restituer ses pensées à partir de l’événement déclencheur. Une suite de digressions écrites à la première personne. Les pensées d’Hakim alternent entre ce qu’il se passe pour lui depuis son départ de Roissy et ce que ça va lui renvoyer sur son passé. La langue choisit donne envie de lire certains passages à haute voix. C’est rythmé avec des coupures, des détours, des raccourcis et des bons mots. Un peu déstabilisant au début, on se laisse vite porter par cette prose qui frappe dure et qui sert à merveille l’urgence dans laquelle se trouve le personnage principal. Ses réactions retranscrivent son anxiété et en même temps la conséquence d’un racisme crasse bien français. Les à priori d’Hakim n’en sont pas tant que ça à bien y regarder. Et on sent au fil du récit une forme de lucidité dans les pensées du personnage et dans son regard sur le monde.

Un roman noir tout en nuances, avec un regard sombre sur une société qui ne tourne pas rond et qui traîne de sacrés boulets. Hakim se retrouve au milieu de tout cela et illustre très bien ce poids qui le dépasse. Il est aussi d’une lucidité désarmante. Une excellente découverte des éditions Asphalte que je vous conseille.

Hakim, ed. Asphalte, 18 euros, 208 pages.

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