Le sang de nos ennemis / Gérard Lecas

Un très bon roman noir dans le Marseille des années 60.

Un cadavre vidé de son sang est retrouvé non loin de Marseille, en 1962. Deux flics que pas mal de choses opposent se retrouvent sur l’affaire. D’un côté le jeune Anthureau, un fils de résistant qui a perdu son père et de l’autre Molinari, un ancien résistant qui est membre du SAC (le Service d’Action Civique au service de de Gaulle entre 1960 et 1981). Ce polar passionnant se déroule dans une période riche entre la guerre d’Algérie, les méandres de la French connection ou encore l’impact de l’OAS et du SAC sur la société française. Gérard Lecas dresse une intrigue solide et le rythme du récit fonctionne bien. Un peu comme chez Thomas Cantaloube et son roman « Requiem pour une république », on découvre les crasses dont sont capables les instances et les politiques de l’époque. « Le sang de nos ennemis » est un excellent roman noir dans les coulisses d’une sombre histoire de France.

Le sang de nos ennemis, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 21 euros, 288 pages.

Loin des humains / Pascal Dessaint

Un magnifique roman noir plein d’humanité.

Dans un texte noir et d’une rare profondeur, Pascal Dessaint s’arrête sur la vie de Jacques Lafleur, un personnage que l’on retrouve tué par un sécateur au début du roman. Un homme à la vie cassée qui tente de vivre, de survivre. Le lecteur va découvrir petit à petit son passé avant sa mort à travers son journal, en parallèle à l’enquête de police. Avec son ton inimitable et plein d’empathie pour ses personnages, l’auteur écrit un polar bien construit. La nature a toujours une place à part comme souvent chez l’auteur, et elle participe à la mise en place de l’ambiance (on découvre des oiseaux, on croise des reptiles). Les règlements de compte au sein d’une famille et les non-dits émergent petit à petit et c’est un redoutable mécanisme qui se met en place dans la narration. Félix le flic abîmé, Rémi l’ouvrier d’une usine pour les ordures, chaque bout d’humanité entre dans l’intrigue. L’auteur s’attarde dans ce roman sur les marginaux, sur les conséquences des catastrophes provoquées par l’homme (AZF pour ne pas la citer). Pascal Dessaint est talentueux et « Loin des humains » est un très bon roman noir que je vous invite à découvrir si vous n’avez pas encore lu cet auteur. Un coup de coeur.

Loin des humains, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 8 euros, 288 pages.

Les rêves qui nous restent / Boris Quercia

Un roman prenant à la frontière entre le roman noir et la science fiction, sombre à souhait.

Boris Quercia change de registre après avoir fait bourlingué pendant plusieurs romans noirs son personnage marquant et taciturne Santiago Quiñones, flic à Santiago au Chili. Dans « Les rêves qui nous restent », l’auteur emmène son lecteur dans une société futuriste. Il construit un monde autour d’une population privilégiée qui vit dans la City et qui est séparée par une frontière avec le monde extérieur, hostile et où les lois n’ont plus cours. La City fonctionne grâce aux travailleurs pauvres qui traversent tous les matins la frontière et qui font tourner l’économie. Des robots, les « électroquants », plus ou moins évolués selon les richesses de leurs propriétaires, accompagnent les hommes pour les aider dans leurs tâches au quotidien et une partie de la vie est régit par les relations avec ces machines. Les relations avec les « électroquants » ne se sont d’ailleurs pas toujours passées sereinement comme vous le découvrirez. Dans cet univers singulier, le lecteur fait connaissance avec un nouveau flic, Natalio. Un classe 5, autrement dit un flic relégué à des tâches plutôt ingrates et qui est obligé de compléter son petit salaire avec des missions officieuses. Il se retrouve sur une affaire où une grande entreprise cherche à cacher des choses. Il met alors le nez dans un maelstrom qui va l’amener à croiser des syndicalistes ambiguës, des trafiquants ou encore de riches personnages hors sols.

On retrouve la patte des polars de Boris Quercia dans ce roman, qui transpose à merveille dans un univers de science fiction l’ambiance sombre et l’atmosphère pesante caractéristiques de l’auteur. De la politique à la santé mentale en passant par les questions que posent les avancés technologiques, ce quatrième roman de l’auteur est passionnant. Les robots peuvent-ils devenir autonomes ? Pour quelles conséquences ? Comment les populations sont manipulées dans cette société ? Quel rôle joue la psychiatrie ? Quelles matières premières deviennent précieuses dans ce contexte ? Autant de questions qui se posent au fil du récit tout en tenant en haleine le lecteur lorsque les évènements s’accélèrent pour Natalio. Le progrès a parfois un coût exorbitant que ce soit financier ou humain. « Les rêves qui nous restent » nous le montre très bien. Si vous ne connaissez pas la plume de cet auteur c’est une très belle occasion de la rencontrer. Un roman qui happe, qui ne rassure pas et qui fait réfléchir. Un vrai coup de coeur.

Traduit par Gilles Marie et Isabel Siklodi.   

Les rêves qui nous restent, ed. Asphalte, 20 euros, 208 pages.

Darktown / Thomas Mullen

Une enquête dans l’Atlanta d’après guerre.

Très belle surprise éditée en poche chez Rivages, avec ce roman noir se déroulant à Atlanta en 1948. Thomas Mullen nous invite à découvrir un duo de policiers, Lucius Boggs et Tommy Smith. Deux vétérans de guerre faisant partie des premiers policiers noirs du département de police de la ville. L’auteur construit une intrigue sombre où le racisme et la ségrégation raciale sont omniprésents. L’atmosphère est pesante tout au long du roman et les deux agents vont être confrontés quotidiennement à la haine raciale (que ce soit au sein de la police ou en dehors).

En toile de fond, Thomas Mullen réussit à construire son roman autour d’une ville dans la tradition des auteurs qui décrivent à merveille les quartiers et les arcanes de leurs villes de prédilection (Sara Gran et La Nouvelle-Orléans, George Pelecanos et Washington, James Ellroy et Los Angeles, etc.). Atlanta en pleine mutation peut ici aussi, être considérée comme un personnage à part entière. Je vous conseille ce livre et je suis curieux de retrouver les deux enquêteurs dans Temps noirs, le dernier roman de l’auteur sorti en mars cette année.

Darktown, ed. Rivages poches, 9,80 euros, 500 pages.

Traduit par Anne-Marie Carrière.

Condé / Pierre Folacci

Un flic à Marseille.

Une autobiographie conduite à deux cents à l’heure, qui mélange la vie personnelle d’un homme et sa vie professionnelle. Pierre Folacci, l’ancien patron de la Brigade de répression du banditisme (BRB) de Marseille, raconte dans ce livre sa vie de flic, sans fard avec une forme de franchise et d’honnêteté. Entre les affaires plus surprenantes les unes que les autres et les bons et mauvais côtés de la vie de flic, l’auteur ne cache rien à son lecteur. On retrouve les sentiments du bonhomme qui se mêlent aux valeurs qui lui ont permis d’exercer son métier depuis 35 ans en passionné. Pour lui, le travail était avant tout un travail humain, un travail où les relations étaient primordiales. C’était aussi un travail de terrain (filatures, planques, indics). Sans tomber dans le cliché du flic à l’ancienne, il est aussi fier d’avoir été le témoin d’évolutions techniques récentes. La première exploitation de téléphones portables sur une enquête en est un exemple.

C’est un récit qui touche le lecteur, les émotions de Pierre Folacci sont loin d’être au dernier plan. On ne s’y perd pas, on ne décroche pas, on apprend des choses. C’est une vie racontée pour éclairer des enquêtes à Marseille, mais aussi ailleurs. C’est une vie racontée pour éclairer les enjeux du grand banditisme, les enjeux des luttes pour certains territoires urbains. Sans oublier le regard désabusé sur son institution, parfois gangrenée de l’intérieur. Ce récit sans tabous mérite qu’on s’y attarde.

Condé, un flic à Marseille, ed. La manufacture de livres, 8,90 euros, 352 pages.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer