Sambre / Alice Géraud

Radioscopie d’un fait divers.

La journaliste Alice Géraud, plume de l’excellent site « Les jours », a enquêté pendant plusieurs années sur un fait divers. Un homme qui a violé et agressé sexuellement des dizaines de femmes pendant de nombreuses années. La première agression date des années 80 et son arrestation aura lieu en 2018 quasiment trente ans plus tard. L’autrice s’attarde sur cet homme Dino Scala et comment il a pu agir sans jamais être inquiété pendant des années, sur un territoire restreint. Un homme à première vue « banal ». La journaliste dresse les portraits des victimes et met en évidence les mécanismes qui compliquent le parcours de ces victimes. Le dépôt de plainte en commissariat, la parole mise en doute, la culpabilité naissante chez certaines, l’impact sur leurs vies pendant de longues années, tous ces points sont abordés et questionnés dans cet essai. L’impossibilité pour les victimes de se reconstruire après le traumatisme est récurrente. C’est aussi un choix de l’autrice de parler des victimes et de les prendre en considération. Lorsqu’il est question de l’agresseur, les pages font quelques lignes et Alice Géraud ne s’y attarde pas. Enfin cet essai est aussi un reflet documenté et précis des dysfonctionnements de l’institution policière et judiciaire. Un livre important, à lire.

Extraits : « Ce fait divers n’est à l’évidence pas un huis-clos. Il a des causalités externes qui le font déborder de lui-même, qui le relient à notre monde.
Comment cet homme a-t-il pu agresser et violer autant de femmes et de jeunes filles, durant d’aussi longues années, sur un si petit périmètre sans être jamais inquiété ou même soupçonné ? C’est par cette question sans réponse que débute mon enquête. »

« Au fur et à mesure que les pièces s’assemblent apparaît une infernale mécanique de l’échec d’un système, d’une société. Mécanique de l’échec que viennent soudain enrayer une magistrate, une élue, un policier, opposant leurs résistances à la force d’inertie du système. »

Sambre, ed. JC Lattès, 21,50 euros, 400 pages.

Triste tigre / Neige Sinno

Des réflexions marquantes émergent, à travers le récit de l’inceste qu’a traversé l’autrice.

Dans ce récit l’autrice relate son vécu lorsqu’elle était enfant et qu’elle a été abusé par son beau père pendant plusieurs années de 7 à 14 ans. De nombreuses réflexions sur l’inceste sont au coeur du livre et Neige Sinno dans une forme inédite construit un récit qui ne se veut pas une autobiographie ni une fiction. Avec de nombreuses références elle trace les contours de ce qu’elle a vécu, notamment le statut de l’agresseur ou le procès de son beau-père. On lit des pensées qui renvoient à ce qu’elle a traversé et comment elle aborde aujourd’hui ce vécu, comment vivre avec, dans son corps et dans son quotidien. « Triste tigre » est un texte difficile et marquant qui va chercher loin les mécanismes derrière l’inceste, derrière les violences sexuelles. Un texte qui questionne aussi le besoin d’écrire sur cet évènement et les limites thérapeutiques de l’écriture.

Triste tigre, ed. P.O.L, 20 euros, 288 pages.

Une fièvre impossible à négocier / Lola Lafon

Un premier roman plein de colère à l’écriture unique.

Lola Lafon écrit l’histoire de Landra, une jeune femme qui a été violée par l’homme en qui elle avait confiance un 14 septembre. Une date qui est un tournant pour elle et qui l’a fait entrer dans la seconde partie de sa vie. Une partie de sa vie dans laquelle elle va lutter pour avancer avec ce traumatisme. Mais aussi une partie de sa vie où elle décide de vivre dans des squats et où elle se rapproche des mouvements autonomes dans les manifestations. Des groupes qui participent à des actions qui ciblent directement des symboles du capitalisme lors des manifestations. Dans une langue qui restitue les émotions et les sensations avec une justesse rare, Lola Lafon écrit un roman à forte teneur autobiographique. Landra décide de convertir sa colère dans des actes solidaires, à travers la contestation. On suit ce personnage au regard lucide qui perçoit au fil de ses expériences la violence du monde et notamment celle des hommes. « Une fièvre impossible à négocier » aborde cette violence subie par les femmes et l’emprise souvent sous-jacente derrière les comportements des hommes. On distingue déjà les thèmes qui vont revenir dans les livres de l’autrice comme dans son dernier roman « Chavirer ». « Une fièvre impossible à négocier » est un premier roman qui met une vraie claque.

Une fièvre impossible à négocier, ed. J’ai Lu, 6,20 euros, 288 pages.

Halimi à la plage / Catherine Valenti, Jean-Yves Le Naour

La femme engagée dans un transat.

Un court essai clair et interessant sur la vie de Gisèle Halimi, de son enfance à son métier d’avocate en passant par ses combats les plus emblématiques. Le texte est riche et on y découvre l’importance du procès de Bobigny dans la légalisation de l’IVG. L’impact du procès d’Aix-en-Provence sur le viol et le fait que cela devienne un crime. Gisèle Halimi s’empare de ces procès pour faire bouger les choses notamment via les couvertures médiatiques. L’avocate privilégie avant toutes choses les actes. Ceux qui permettront une plus grande égalité entre les hommes et les femmes. Enfin, on découvre dans cet essai joliment illustré son dernier combat, peut être le plus long, celui pour le respect de la parité en politique. Les choses ont bougé aujourd’hui chez les élues mais il reste encore du chemin à parcourir. Un court livre vraiment bien construit et que je vous recommande si vous ne connaissez pas le personnage.

Halimi à la plage, ed. Dunod, 15,90 euros, 160 pages.

Je suis une sur deux / Giulia Foïs

Une reconstruction après un viol.

Un récit poignant et très bien écrit. Giulia Foïs livre un témoignage important. Ce n’est pas une lecture facile et ça remue pas mal. On retrouve sa plume alerte et son ton singulier, deux ingrédients qui fonctionnent déjà à merveille dans son émission « Pas son genre » sur France Inter.

Je suis une sur deux, Ed. Flammarion, 16 euros, 192 pages.

Chavirer / Lola Lafon

Un livre incontournable.

Je découvre Lola Lafon avec ce roman de la rentrée littéraire et c’est une véritable claque. Le ton singulier et les chapitres courts maintiennent le lecteur dans le récit et j’ai été happé du début à la fin. L’auteure traite les mécanismes de prédation des hommes sur des adolescentes mais aussi la culpabilité subit par les femmes plus tard dans leurs vies (et les ambivalences pour elles qui vont avec).

Les pensées et les fonctionnements des nombreux personnages autour de Cléo sont très bien retranscrits et cela favorise l’immersion dans le récit. C’est un livre qu’on a envie de relire pour réfléchir à des passages, à des réflexions. Un livre important à prêter autour de soi pour en discuter.

« …elle s’est fabriqué un lexique du silence. L’horizon est empoissonné. »

Au passage je vous conseille l’écoute de l’émission récente de Marie Richeux (Par les temps qui courent sur France Culture) où Lola Lafon est invitée. Cet entretien prolonge à merveille la lecture du roman.

Chavirer, Ed. Actes Sud, 20,50 euros, 352 pages.

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