Juste avant que / Joanne Richoux

Une collection à découvrir.

De plus en plus, elle adore retrouver son meilleur pote dans sa chambre, chez lui. Elle se rend compte qu’elle a une attirance qui grandit pour lui et que ça dépasse les limites de l’amitié. Ça la trouble. Elle a du mal à suivre ce trop-plein qui la submerge. Et lorsque les deux amis se retrouvent de nouveau dans sa chambre à lui, les évènements vont aussi s’accélérer à l’extérieur. Est-ce que ce sont des manifestations qui dégénèrent ? Est-ce que le climat est définitivement en train de partir en live ? Le réseau saute, internet aussi. Les repères volent en éclat. Rien n’est certain, mais ce qui est sûr c’est qu’un sentiment d’urgence s’invite chez les deux adolescents au fil du récit. On apprend à les découvrir dans ce contexte et sous la plume de Joanne Richoux qui sonne juste. Leurs relations, leur façon d’appréhender leur corps, le corps des autres, la famille, le sentiment d’urgence permet de se dévoiler. « Juste avant que » est un roman étonnant et prenant, très bien écrit. Je découvre la collection « L’ardeur » chez Thierry Magnier et je suis très curieux d’en lire un autre.

extrait : « On regarde alentour. Plusieurs bagnoles freinent le trafic, elles sont en diagonale, leurs capots fument. Des pompiers klaxonnent, les dépassent. Y a plus urgent ailleurs ? »

Juste avant que, ed. Thierry Magnier, coll. L’ardeur, 13,90 euros, 119 pages.

Tumeur ou tutu / Léna Ghar

Un premier roman qui déploie toute une vision de la société avec lucidité.

Dans un récit qui restitue le langage d’une enfant de trois ans puis d’une enfant qui grandit jusqu’à ses vingt-cinq ans, Léna Ghar travaille la langue et la forme de manière singulière. On découvre une narratrice qui à travers des inventions langagières tente de comprendre le monde qui l’entoure, sa famille proche. Et elle y parvient avec précision et en même temps a un regard désabusé. On sent qu’elle traine un traumatisme au fond d’elle-même, qu’il est là tout au long du texte, mais qu’il n’est jamais dit. Les questions du corps et des sensations sont aussi essentielles dans le travail de la romancière et dans les différentes expériences que traverse sa narratrice. C’est toute une vision de la vie qui transparait derrière la parole de l’enfant. Une parole en construction qui est souvent mise en opposition à celle de l’adulte. « Tumeur ou tutu » est un premier roman à découvrir, pas forcément évident d’entrer dans la langue au début, mais ça vaut le coup de se laisser porter.

extrait : « La meute obscène me salit tout à l’intérieur, comme si des loups s’entretuaient jour et nuit dans ma rivière de vase. Ma nuque se gorge de boue en plein milieu de n’importe quoi, n’importe quand, surtout quand je m’amuse et que pour une fois je ne pense pas à elle, comme le jour où Grandoux est revenu nous chercher avec Petit Prince pour qu’on aille se baigner. »

Tumeur ou tutu, ed. Verticales, 19,50 euros, 224 pages.

Pour mourir, le monde / Yan Lespoux

Un pur roman d’aventure qui embarque le lecteur au large.

Dans la grande tradition des romans d’aventure, « Pour mourir, le monde » offre une fresque épique au XVIIe siècle. On suit des personnages embarqués dans la grande histoire, des hommes et des femmes qui survivent dans des conditions difficiles, sur mer et sur terre. L’empire colonial portugais est vaste durant cette période et s’étend du Brésil à l’Inde. Fernando Teixeira est un soldat qui va embarquer dans ce contexte sur un navire qui se dirige vers Goa. Sur le chemin du retour, Fernando fait naufrage. On le découvre en train d’essayer de survivre au début du roman, peu de temps après le naufrage. La suite de l’histoire est un long flash-back qui retrace le parcours du voyageur, avec son lot de rebondissements et de rencontres. On pense à des ambiances comme dans les romans de Stevenson. Un réel plaisir de lecture.

Pour mourir, le monde, ed. Agullo, 23,50 euros, 432 pages.

La jeune fille et le feu / Claire Raphaël

Le dernier roman noir de Claire Raphaël écrit à partir d’une expérience de terrain.

On quitte Alice Yekavian l’experte en balistique avec ce quatrième roman de Claire Raphaël. Toujours au Rouergue Noir, « La jeune fille et le feu » dresse le portrait de deux nouveaux personnages, deux policiers de terrain qui travaillent dans un commissariat de banlieue. Jasmine et son chef de brigade Tom. Deux personnages lucides sur l’état de la société, que ce soit le rapport au stigmate sous toutes ses formes en banlieue ou les difficultés internes dans l’institution policière. Les deux compères héritent d’une enquête qui en théorie doit terminer chez la brigade criminelle, mais termine chez eux. Astrid est lycéenne et vit seule chez sa mère, Émilie. Un accident survient lorsque sa mère est retrouvée morte dans son appartement après un incendie. Le duo est mis sur l’affaire et le doute s’installe, est-ce vraiment un accident ? Émilie était hantée par des addictions avant de mourir et ses deux plus jeunes enfants ont été placés. Jasmine et Tom commencent en toute logique par se tourner vers la fille d’Émilie, et l’enquête peut démarrer lorsqu’un premier indice confirme le caractère douteux de l’accident. On retrouve toute la densité et la complexité des personnages de Claire Raphaël, notamment féminins. La construction du récit est simple et ciselée. Les pages défilent à travers l’intrigue réaliste. J’avais hâte de retrouver la plume de cette autrice et l’atmosphère de ses romans. Vraiment tout ce que j’aime dans le roman noir depuis le premier. Claire Raphaël choisit souvent des thèmes peu abordés dans le polar. Elle les traite avec justesse et sans être surplombante. Ajoutez à cela un soupçon de poésie et vous avez un excellent roman noir.

La jeune fille et le feu, ed. Rouergue, coll. Rouergue Noir, 21,50 euros, 240 pages.

Tu n’habiteras jamais Paris / Omar Benlaala

L’histoire individuelle du père de l’auteur croise celle d’un quartier, d’une ville.

L’auteur retrace le parcours de son père en lui donnant la parole. Au fil du dialogue, on découvre un homme venu de Kabylie jeune pour travailler en tant que maçon en France, dans des conditions difficiles. Son père se livre un peu comme dans des mémoires et l’on découvre un homme qui découvre un pays avec en arrière fond du racisme à son arrivée en 1963. Bouzid explique à son fils Omar l’écrivain que petit à petit il trouve sa place et finit par défendre d’autres collègues ouvriers en se syndiquant. La lutte l’anime tout comme la défense des conditions de travail des maçons parisiens. Mais l’apprentissage est long et laborieux notamment son rapport à la lecture. En parallèle on découvre l’histoire étrangement similaire de Martin Nadaud, un homme qui vient de la Creuse au début du XIXe siècle. Ce dernier migre aussi vers Paris pour y travailler comme le père de l’auteur et il est maçon, et comme le père de l’auteur il va se politiser en devenant député. Une autre époque, mais une trajectoire similaire. Omar Benlaala écrit un livre touchant et construit sur ces deux trajectoires. Un livre qui raconte les migrations et le difficile sentiment de se sentir entre deux pays, entre deux mondes. Il y a aussi de très beaux passages sur la paternité de son père et l’arrivée de ses deux enfants, dont Omar le plus jeune qui finit par faire les quatre-cents coups lorsqu’il grandit. « Tu n’habiteras jamais Paris » est un livre à découvrir.

Tu n’habiteras jamais Paris, ed. Flammarion, 19 euros, 208 pages.

Les meufs, c’est des mecs bien / Mourad Winter

Le second roman de Mourad Winter, toujours aussi déjanté.

Wourad est en couple avec Adélaïde depuis deux ans et on découvre le personnage en train de faire une connerie au début du roman de Mourad Winter. De son côté Adélaïde souhaite parler à Sourad d’un changement radical qu’elle est en train de faire dans sa vie. Ajoutez à cela Junior, le pote cassos de Wourad qui n’en loupe pas une et vous avez le terreau d’un bon roman de Mourad Winter. Toujours aussi rythmé, avec des punchlines d’anthologie une ligne sur deux, l’auteur revient fort dans ce second roman et comme dans « L »amour, c’est surcoté », on prend beaucoup de plaisir à retrouver sa plume acerbe et cynique. Mourad Winter dote ses personnages d’une répartie unique, d’un humour noir que l’on retrouve que chez lui, et Wourad le personnage principal ne fait pas exception. On entre dans sa tête dans ce roman et on voit son quotidien partir en live sous nos yeux. Ses potes lui mettent la misère, sa copine est redoutable et ne le loupe pas dès que l’occasion se présente tout comme sa soeur Nora. Certains trouveront que c’est trop, d’autres auront du mal avec les multiples références du bouquin. Mais pour celles et ceux qui ont déjà adhéré à « L’amour, c’est surcoté », foncez vous procurer ce second bouquin. C’est toujours aussi bien vu et c’est un régal du début à la fin.

Les meufs, c’est des mecs bien, ed. Clique, 20 euros, 336 pages.

Littérature et révolution / Joseph Andras et Kaoutar Harchi

Un riche dialogue qui questionne le statut du politique dans la littérature.

Le livre est un long entretien entre Joseph Andras et Kaoutar Harchi. Différentes thématiques sont abordées au fil du dialogue. Le statut d’un auteur ou d’une autrice par rapport à son oeuvre, le rapport à l’écriture, le rapport au politique ou encore le rapport au salariat d’une profession finalement très précaire. On suit avec beaucoup d’intérêt les réflexions et notamment lorsque Kaoutar Harchi et Jospeh Andras reviennent sur la genèse de leurs bouquins ou sur la réception du grand public. « Littérature et révolution » est un essai qui ouvre de nombreuses perspectives et un peu comme le livre précédent de Clémentine Beauvais, il questionne notre rapport à la lecture en profondeur. Un riche essai à découvrir qui donne envie de relire les livres des deux auteurs. J’avais beaucoup aimé « De nos frères blessés » de Joseph Andras, une lecture qui m’avait soufflé à l’époque.

À paraitre le 12 janvier.

Littérature et révolution, ed. Divergences, 16 euros, 240 pages.

Comment jouir de la lecture ? / Clémentine Beauvais

Un court fascicule qui questionne avec malice le plaisir de lire.

Clémentine Beauvais aborde la question du plaisir de lire. Qu’est-ce qui fait qu’un bouquin nous plait, nous emporte ? Qu’est-ce qui fait qu’un bouquin nous parle plus qu’un autre ? L’autrice discute ce thème en mettant en évidence certaines personnes qui pensent que certaines lectures sont des lectures plaisir et que d’autres non. En réalité ce discours hiérarchise. C’est typiquement un discours réac et c’est un discours qui irrigue le système éducatif par exemple. D’un autre côté, il y a aussi le discours qui dit que le plaisir dépend du lecteur. Qu’il dépend des goûts de chacun et chacune. Là aussi ce discours a ses limites. Le plaisir ne dépend pas uniquement des gens, des goûts. Il y a « mille plaisirs de lire » différents pour citer Clémentine Beauvais. Et c’est vrai que ça aussi il faut l’aborder. Des textes existent qui nous sortent de notre zone de confort, des textes pas forcément agréables, mais qui marquent. L’autrice tend à valoriser un plaisir nuancé et complexe. Et pour cela elle s’appuie sur des auteurs et autrices, sur des œuvres. On y aborde l’importance du politique dans certains livres, qui donnent envie de passer à l’action, d’autres font réfléchir sur l’existence, d’autres encore sont addictifs un peu à la manière d’une série, d’autres donnent envie de lire à voix haute, etc. À l’arrivée cela donne un court fascicule stimulant qui fait réfléchir sur notre rapport à la lecture.

Comment jouir de la lecture ?, ed. La Martinière, coll. ALT, 3,50 euros, 32 pages.

Écoute les murs parler / Ixchel Delaporte

Un livre documentaire sensible, sur une spécialité de la médecine stigmatisée et méconnue.

La journaliste Ixchel Delaporte s’est rendue dans un hôpital psychiatrique à Cadillac pour s’arrêter sur la trajectoire des patients et sur les conditions de travail des soignants. Cadillac est une commune qui longe la Garonne et qui se situe non loin de Bordeaux. Une commune connue pour l’hôpital psychiatrique qu’elle abrite depuis le XVIIe siècle. L’autrice rencontre les équipes, côtoie patients et découvre au gré de ses observations des conditions d’hospitalisation dégradées. Les soignants ne sont pas mieux lotis et le manque de moyen est réel. Ixchel Delaporte questionne le regard que porte la société sur ces patients, mais aussi plus globalement sur la maladie mentale. Les termes ont toutes leurs importances et peuvent facilement renforcer les idées reçues. Dans ce récit, qui lui renvoie beaucoup de choses plus personnelles, l’autrice se livre. On ne tombe à aucun moment dans le sensationnalisme. Le désir de compréhension prend le dessus. Ixchel Delaporte ne cherche pas à rendre cette spécialité reluisante, car comme nous l’avons dit précédemment la psychiatrie est en grande difficulté en France, que ce soit dans ses infrastructures ou dans les moyens alloués par exemple. Mais la documentariste ne cherche pas non plus à renforcer les clichés, les stigmates autour de la maladie mentale. Le parcours de ces patients et patientes est bien plus complexe qu’il en a l’air tout comme les soins dont il est question. Parfois un petit café et une bonne discussion constitueraient un premier soin à part entière essentiel, et même un moment comme celui-ci devient rare au milieu de l’enfermement. « Écoute les murs parler » est un récit important, sensible et documenté. Un bouquin à lire et à partager pour travailler ce regard encore trop réducteur que la société porte sur cette spécialité.

extraits : « Ici, j’ai découvert un continent peuplé d’âmes errantes et délaissées. Elles empruntent parfois les chemins les plus tortueux, les plus épineux, les plus douloureux parce qu’elles ne savent pas faire autrement, ces âmes-là. Parce que, bien souvent, le milieu dans lequel elles ont grandi les a abîmées. »

« Moi, la psychiatrie, je l’appelle la déconniatrie. Mais, pendant que le patient déconne, qu’est-ce que je fais ? Dans le silence ou en intervenant – mais surtout dans le silence –, je déconne à mon tour. » (l’autrice cite Tosquelles, un théoricien de la psychiatrie à l’origine de nombreuses pratiques novatrices)

Écoute les murs parler, ed. L’Iconoclaste, 21,90 euros, 350 pages.

Une maman parfaite / Marie-Fleur Albecker

Une trentenaire et son rapport à la maternité, avec toutes les injonctions sous-jacentes.

Du désir d’enfant à l’accouchement en passant par le post-partum, Marie-Fleur Albecker prend le temps de décrire l’expérience d’une trentenaire de l’intérieur. Le regard des autres sur le corps de la femme enceinte, les changements dans la relation intime d’un couple, les injonctions toujours plus nombreuses provenant de la famille, du gynécologue, des amies. Anne est féministe et engagée et conçoit ce projet d’avoir un enfant comme celui d’un couple. Un projet réfléchi et qui renforce tous les acteurs. La réalité va être amère et bien plus complexe. Le sentiment fusionnel espéré (et ressenti par son amie Louise, mère célibataire) est loin de se mettre en place. Anne rame et lutte. La fatigue, le regard des autres toujours, le manque de sommeil, la dépression du post-partum, tout y est. Et pourtant Anne réalise qu’elle fait comme elle peut. Elle compose avec ses jugements, tâtonne, utilise son expérience de professeur des écoles mais surtout culpabilise de moins en moins. Marie-Fleur Albecker écrit sur la grossesse et tout ce qui l’entoure et un peu comme dans « In carna » de Caroline Hinault, ce livre offre un témoignage sensible et à partager sur un sujet qui charrie de nombreuses idées reçues.

extrait : « Les femmes sont quand même les seules à qui on arrive à faire croire que souffrir est un pouvoir.
Non, souffrir c’est souffrir : si les mecs accouchaient, on serait sur des césariennes programmées avec assistance post-partum depuis la fin du XIXe siècle, croyez-moi. »

A paraître le 26 janvier.

Une maman parfaite, ed. Aux forges de vulcain, 20 euros, 272 pages.

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