Le Chien de Schrödinger / Martin Dumont

Un roman plein d’humanité, avec une relation poignante entre un père et son fils.

Après avoir beaucoup apprécié « Tempo », les tribulations d’un homme qui compose avec ses rêves de musicien et sa toute nouvelle paternité, je découvre le premier roman de Martin Dumont avec « Le chien de Schrödinger ». Un court roman qui tisse la relation entre un père et son fils alors que ce dernier apprend au fil du livre qu’il est atteint d’une maladie incurable. Jean qui a élevé son fils seul, suite à la perte de sa femme dans un accident, s’apprête à faire face à ce nouvel évènement. Il s’en veut d’autant plus qu’il n’a pas vu venir la maladie chez son fils, les petits coups de fatigue, les vomissements. Il doit pourtant se rendre à l’évidence, la maladie est bien là et lui met un véritable coup de massue. Martin Dumont écrit avec beaucoup de précision dans le choix des mots pour décrire cette maladie, les conséquences sur le corps, l’acceptation de cette dernière et le bouleversement que cela représente dans la vie des proches. Ce court texte est aussi un joli instantané d’une relation forte entre un père et son fils d’une vingtaine d’années. On voit les souvenirs remonter lorsque l’on suit la pensée de Jean, alors qu’il roule dans son taxi pour tenter d’oublier que Pierre est hospitalisé. Leur complicité transparait à travers la pratique de la plongée ou à travers leur rapport à l’océan. Martin Dumont porte aussi son attention sur les soignants et soignantes derrière les malades, leur capacité à écouter, à prendre du recul face aux réactions des proches. On distingue une réflexion sur la capacité à apporter une réponse nuancée, souvent, et sans brusquer l’entourage du patient ou le patient lui-même.

Le Chien de Schrödinger, ed. La croisée, 15 euros, 144 pages.

Quarante jours après ma mort / Samira El Ayachi

Le narrateur vient de mourir et il s’apprête à raconter comment ses proches vont vivre les quarante jours à venir.

Un homme meurt dans une famille marocaine et le corps de cet homme va être rapatrié au pays pour y être enterré. Il va se passer quarante jours avant que la mise en terre ait lieu et pendant ces quarante jours, c’est tous les souvenirs familiaux qui vont ressurgir à travers la voix du mort lui-même, qui se mue en narrateur le temps du roman. Un narrateur pas comme les autres qui voit défiler les conséquences de sa mort sur ses proches et qui ne peut que relater les évènements sans pouvoir agir. Pour autant, il n’oublie pas le cynisme dont il est doté et n’hésite pas à en faire usage lorsqu’il raconte. Samira El Ayachi écrit un roman qui mélange avec subtilité l’humour noir et la chronique d’une famille qui vole en éclat. La mort de cet homme fait apparaitre les non-dits et occasionne des scènes marquantes. La plume de la romancière y est pour beaucoup, une écriture que j’avais déjà beaucoup appréciée avec « Le ventre des hommes » et « Les femmes sont occupées ». « Quarante jours après ma mort » est un livre à part, à découvrir sans hésiter. Un roman qui touche le lecteur, à la fois dans la justesse de ses propos et dans la construction de ses personnages.

extrait : « Comme tout le monde, j’avais déjà songé au jour de ma mort. Je me figurais celle-ci comme un grand moment de théâtre, et, en même temps, un grand moment de vérité. Des embrassades. Des gestes de réconfort. Des fleurs. Des voitures noires. De la musique classique. Des chapeaux sombres. Des souliers cirés. Des pas feutrés. Des bougies parfumées. Des doigts qui caressent le marbre et le bois. Mais à l’heure des séries américaines (qui ne montrent plus des funérailles mais des cadavres soumis aux lois biologiques de la décomposition), je ne pensais plus qu’à une chose : mon corps. Mon regretté corps. »

Quarante jours après ma mort, ed. de L’aube, 11 euros, 200 pages.

La dernière place / Négar Djavadi

La radiographie d’un pays à travers un évènement impliquant la famille de la romancière.

Tout démarre avec le vol 752 qui décolle de Téhéran le 8 janvier 2020 et qui se crash peu de temps après avec 176 passagers à son bord. Un vol qui devait relier Téhéran à Kiev et dans lequel Niloufar Sadr la cousine de la romancière se trouvait. Le crash a lieu dans un contexte où les tensions sont exacerbées entre les États-Unis et l’Iran. L’autrice questionne tout au long de ce livre les raisons d’un tel crash en creusant au delà la communication politique de l’époque. Elle retrace le parcours de sa cousine qui devait se rendre à Toronto après son vol jusqu’à Kiev pour rentrer chez elle. A mi chemin entre le récit d’une famille qui évolue dans l’Iran d’aujourd’hui et une enquête fouillée sur le crash de cet avion, Négar Djavadi écrit avec « La dernière place » un témoignage fort qui résonne avec les évènements qui vont suivre en Iran, notamment le mouvement révolutionnaire qui s’est emparé du pays à l’automne 2022. A partir d’une tragédie impliquant sa famille, l’autrice finit par élargir sa focale en travaillant un point de vue plein de lucidité sur la situation politique dans son pays. Comme elle le dit très bien dans une interview cette histoire n’est pas uniquement celle de la chute d’un avion mais aussi celle des mensonges d’un régime.

La dernière place, ed. Stock, 20,50 euros, 320 pages.

D’autres vies que la mienne / Emmanuel Carrère

L’auteur écrit sur des drames que des proches à lui ont traversés.

Emmanuel Carrèrent part de son vécu et relate des événements marquants de sa vie. Des événements à travers lesquels il a constaté de la souffrance ou du traumatisme dans son entourage. Avec une langue bien à lui il commence par relater l’après tsunami au Sri Lanka lorsqu’il était sur place avec sa conjointe. L’auteur échappe au tsunami dans son hôtel mais des proches à lui perdent leur fille dans la catastrophe. Il devient le spectateur d’un couple qui tente de traverser la perte d’un enfant. C’est aussi un livre sur la maladie, celle d’une autre proche de l’auteur. Sur la capacité de chacun et chacune à avancer malgré les épreuves.

D’autres vies que la mienne, ed. Folio, 8,70 euros, 334 pages.

I am I am I am / Maggie O’Farrell

L’autrice relate les moments de sa vie où elle a frôlé la mort.

Une très belle surprise cette lecture. Maggie O’Farrell écrit sur sa vie et les moments où elle a côtoyé la mort de (très) près. Un bouquin qui sur le papier peut laisser perplexe mais qui sous la plume de l’autrice donne une vraie petite pépite à l’arrivée. On découvre la vie de l’autrice, sa façon d’appréhender les choses. De sa maternité à son enfance, c’est tout un récit intime et sensible qui se déploie dans ces courts textes. Des expériences de vie qu’elle décortique et qui se teintent de féminisme, de questions sur la gynécologie ou sur le corps des femmes. L’écriture de la romancière touche et les scènes de sa vie sont campées en quelques lignes. « I am I am I am » est une autobiographie qui sort des sentiers battus et qui donne à réfléchir. Il y est question de nos peurs, de notre rapport à la mort. Un petit bouquin singulier que je ne regrette pas d’avoir déterré de la bibliothèque.

I am I am I am, ed. 10/18, 7,60 euros, 288 pages.

Appartement 816 / Olivier Bordaçarre

Un roman étouffant, sombre, où l’isolement et ses effets sont omniprésents.

Un homme de 41 ans vit avec sa femme et son fils au neuvième étage d’un appartement. Jusqu’à là rien de bien surprenant. Sauf que la société dans laquelle ils vivent traverse plusieurs vagues de virus et que le confinement chez soi est de mise depuis maintenant trois années. La France confine ses citoyens sur de plus ou moins longues périodes. Des règles précises sont édictées et elles réduisent les libertés de manière significatives en régissant le quotidien. Autant vous le dire tout de suite, cela va plus loin que ce que l’on est train de traverser en termes de restrictions. Du drone qui passe devant les fenêtres pour voir si les horaires d’aération sont respectés à la tenue intégrale nécessaire pour récupérer les livraisons de denrées de première nécessité devant chez soi en passant par les peines lourdes en cas de non-respect des règles, la sensation d’enfermement n’est pas loin pour le lecteur. Alors cet homme écrit. Didier Martin écrit sur son quotidien morose comme un exutoire, comme un baume. Ce qu’il pense du confinement qu’il traverse, ce qu’il pense des gens qui ne respectent pas les mesures et qui s’y opposent. Il parle aussi de sa famille, d’une vie qu’il prend le temps d’analyser, car il a ce temps, un temps nouveau.

C’est à partir de là que le lecteur découvre une personnalité singulière, voire plutôt inquiétante. Le narrateur n’écrit pas ce quotidien dans des carnets, mais utilise les surfaces qui l’entourent dans l’appartement. Voilà une première découverte étrange et il va y en avoir d’autres. Olivier Bordaçarre décrit ce vase clos qu’est l’appartement 816 et l’auteur injecte le malaise petit à petit dans ce récit pas comme les autres. Il pose sa focale sur la folie des hommes et son narrateur devient antipathique au fil des pages, flippant. D’un pragmatisme à toutes épreuves, on se demande où ses réflexions vont le mener. La suite n’est pas réjouissante et va nous faire réfléchir sur les conséquences inattendues d’un enfermement généralisé, notamment les conséquences psychologiques.

Appartement 816 est un roman très noir, qui montre à sa façon les aberrations d’une société qui lutte et où parfois le non-sens est roi.

Appartement 816, ed. L’Atalante, coll. Fusion, 14,90 euros, 160 pages.

Nager sans se mouiller / Carlos Salem

Un tueur à gages se retrouve en famille au milieu d’un camping naturiste.

Numéro trois est tueur à gages, mais aussi un père de famille plutôt tendance père absent. Il se retrouve à prendre des vacances au début du roman, avec sa fille et son fils dans un camping naturiste dans le sud de l’Espagne. Et comme une mission n’est jamais bien loin, son employeur souhaite cette fois-ci qu’il joint l’utile à l’agréable en surveillant une potentielle cible durant son séjour dans le camping avec ses enfants. Numéro trois qui flaire l’embrouille ne comprend pas pourquoi il ne doit tuer personne et simplement « surveiller » une cible. La suite va lui donner raison. En impliquant son ex-femme ou encore d’anciennes connaissances, le camping va être le théâtre de nombreux rebondissements pour le tueur. Carlos Salem écrit un roman noir déjanté à souhait, avec quelques flashbacks au fil du récit sur la vie du tueur. À l’arrivée, cela donne un savant mélange d’humour noir et d’action. Certains passages sont discutables notamment des dialogues un peu clichés, mais l’ensemble reste de très bonne facture. Une découverte qui vaut le détour.

Nager sans se mouiller, ed. Actes Sud, 22,20 euros, 304 pages.

En souvenir d’André / Martin Winckler

Un récit juste et tout en retenue sur un sujet rare.

Martin Winckler a toujours une façon bien à lui de raconter les histoires. Il les raconte de telle façon que l’on est embarqué par les personnages réalistes et par le sujet. Ici il est question de la fin de vie et c’est l’occasion d’aborder un thème que l’on voit rarement sur les étals des libraires. Avec beaucoup de justesse on y rencontre des questionnements sur le soin palliatif et sur l’accompagnement des proches en fin de vie notamment lorsque l’on n’est pas un professionnel du soin. C’est un roman plein de pudeur et qui sonne juste comme souvent chez l’auteur. La notion de gestion de la douleur est centrale et c’est un autre point que je trouve très intéressant dans ce livre. Le personnage central fait partie d’une équipe mobile d’un hôpital qui propose des aides aux patients en se déplaçant dans différents services pour soulager des douleurs chroniques. Martin Winckler s’est d’ailleurs penché plus récemment sur cette question dans l’essai « Tu comprendras ta douleur » que je n’ai pas encore lu et où l’on retrouve cette thématique encore peu discutée dans le domaine des soins.

En souvenir d’André, ed. Folio, 6,90 euros, 176 pages.

Ricochets / Camille Emmanuelle

Un témoignage important sur les proches des victimes d’attentat.

Camille Emmanuelle pose le curseur sur les proches des victimes des attentats et questionne leurs statuts de victime dans ce livre, un essai à mi chemin entre un travail personnel et un travail plus documentaire. Un travail personnel car l’autrice est la conjointe d’un des membres de Charlie Hebdo lors de l’attentat et un travail documentaire car elle découvre au fil de ses recherches que les proches, « les victimes par ricochets », ne sont pas du tout reconnues dans leur statut de victime avec tout ce que cela représente. Que ce soit la souffrance psychologique ou encore le poids que peut représenter le soutien à un proche. C’est un livre écrit sans détour et avec beaucoup de sincérité. L’autrice lève des questionnements essentiels au fil des rencontres qu’elle fait durant ses recherches et en même temps donne une photographie précise de la gestion étatique des attentats. C’est tout en nuance et très personnel. Un récit qui touche.

Je n’ai pas fait d’enquête internationale basée sur une centaine d’entretiens, comme je l’imaginais au départ. Mon écriture a été plus intime que ce que j’envisageais. Je suis sortie de mon rôle de journaliste pour me mettre à nu. J’ai décortiqué mes émotions pour mieux les maîtriser. Et pour peut-être aider ceux qui ont été, sont, ou vont être des ricochets dans leur vie.

Ricochets, ed. Grasset, 20,90 euros, 336 pages.

Tropique de la violence / Nathacha Appanah

Un roman magnifique à Mayotte où la violence se mêle à l’enfance.

Une plongée saisissante à Mayotte. Nathacha Appanah capte toutes les nuances d’une île sans détour et écrit merveilleusement bien. La violence et la jeunesse sont au centre du propos. Une claque cette lecture et un énorme coup de coeur.

Tropique de la violence, Ed. Folio, 6,90 euros, 192 pages.

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