Cherry / Nico Walker

Des dialogues d’enfer et une charge cinglante contre l’absurdité de la guerre.

Nico Walker restitue l’atmosphère de la guerre ou la dépendance aux drogues dans ce roman sombre, à l’écriture unique qui sonne juste du début à la fin. Pendant un long séjour en prison suite à plusieurs braquages de banque, l’auteur est contacté par un journaliste qui souhaite qu’il écrive un bouquin. Inspiré de sa vie dans laquelle l’auteur est parti faire la guerre en Irak pendant onze mois, « Cherry » dresse le portrait d’un jeune soldat enrôlé pour partir en Irak. Un troufion assez détestable à certains moments et plutôt attachant à d’autres. On suit l’arrivée dans les études de son personnage avant de le suivre lors de ses classes dans l’armée. Il part ensuite sur le front en Irak, en tant que médic, pour aider ses pairs avec ses petites compétences et surtout pour voir ses collègues mourir dans le pire des cas. On suit les pensées de ce personnage torturé qui avec une lucidité désarmante décrit l’horreur de la guerre, l’attente insupportable sur le front. Mais aussi les traumas qui en découlent ou son rapport aux drogues compliqué, que ce soit avant son départ pour l’Irak ou à son retour. « Cherry » est un roman qui sonne le lecteur dès les premières pages, une lecture marquante.

Cherry, ed. Les Arènes, coll. Equinox, 20 euros, 432 pages.

Pleine terre / Corinne Royer

Le récit d’un monde paysan qui change et qui broie.

Jacques Bonhomme est agriculteur. Le genre d’agriculteur qui abat en une semaine la même quantité de travail que trois de ses collègues. Grand, costaud et taciturne, il aime son métier et vit seul sur son exploitation avec son bétail et ses livres. Sauf que les injonctions demandées par les organismes de contrôle du bétail sont de plus en plus nombreuses. Les logiques marchandes de l’agroalimentaire lui parlent de moins en moins. Le bien être animal n’est même plus une question qui se pose. Jacques doit entrer dans des normes bien trop étroites pour lui et à l’opposé de ses convictions. Alors Jacques libère quelque chose en lui. Et le roman démarre sur le premier jour de sa cavale. Une fuite en avant que l’on va découvrir au fil du récit.

Corinne Royer écrit un très beau roman porté par une langue qui crée en quelques lignes les images et les atmosphères d’un monde rural qui change, qui broie. On y rencontre l’entourage de Jacques et on comprend petit à petit les raisons de ses actes. On regarde impuissant la logique de rentabilité s’imposer comme dans de nombreuses sphères de la société. L’autrice livre un roman bouleversant, inspiré d’un fait réel. La fiction a le pouvoir de faire réfléchir et de montrer le monde tel qu’il est, sans détour. Ce livre en est la parfaite illustration.

Extraits : « Alors je me suis souvenu du jeune homme qui était entré dans la cuisine et nous avait trouvés là, la mère de Paulo et moi, vidant nos verres et nos cœurs de chaque côté de la table. »

« […] puis il enfonça le petit carnet dans la poche de son blouson avec autant de précaution qu’il l’aurait fait d’une grenade dégoupillée. Il était heureux d’avoir choisi les mots pour armes, il espérait seulement viser juste. »

Pleine terre, ed. Actes Sud, 21 euros, 336 pages.

Les femmes sont occupées / Samira El Ayachi

Le récit d’une mère qui élève seule son enfant. Enlevé et engagé. Une claque.

Une femme se sépare et se retrouve à élever seule son enfant. Avec un ton qui allie à merveille cynisme et humour noir, la narratrice raconte sans rien omettre, la difficulté que peut représenter le fait d’être mère célibataire. Mais aussi le fait d’avoir un enfant avec tout ce que cela engendre, notamment les sentiments contradictoires qui peuvent émerger au quotidien. Que le propos concerne le regard des autres, le regard que la narratrice porte sur elle ou le regard de son enfant, toutes les remarques et punchlines sont d’une justesse désarmantes. Il n’y a pas une page qui se tourne sans avoir envie au passage de relever une citation. C’est un vrai uppercut ce bouquin. Un livre qui fait réfléchir sur la condition féminine, sur celle de mère. Un livre qui travaille la langue (la narratrice s’exprime à travers le « tu » par exemple), et cela sort la lectrice ou le lecteur de sa zone de confort. Le texte est court et il sonne. C’est redoutable.

Extraits : « Que deviennent les rêves des femmes une fois passées du côté de la maternité ? Tu finis par comprendre pourquoi personne ne dit rien. Parce que les femmes sont trop employées à survivre pour penser à leur condition. Envisager leur situation d’un point de vue sociétal et collectif. Pas le temps pour la révolution. Les femmes sont occupées.*

« Avoir ou pas la garde. Telle est la question. L’expression fait mal à l’oreille. On dirait qu’on surveille des biens. Des chiens. Des prisonniers. Les parents font les matons tour à tour. Pendant ce temps-là, l’enfance trottine, se dandine, apprend à tourner les pages d’un livre. Petit Chose fait office de post-it. Rappelle à la mère et à ses absences qu’il y a là, dans les plis du livre, rien qu’en tournant les pages, un moment à prendre. Immédiatement. Tu promets à Petit Chose que bientôt, tu l’emmèneras voir les animaux et la vie pour de vrai. Le bientôt n’arrivera qu’à cloche-pied. »

« Le monde est fait pour deux catégories de personnes. Les hommes. Les femmes riches. Les autres se retirent sur la pointe des pieds en riant doucement, et en s’excusant. »

Les femmes sont occupées, ed. de l’Aube, 12 euros, 232 pages.

Bilan 2021 / Les mafieuses

Allez on se lance sur un petit bilan des lectures de 2021. Cette année a été riche en découvertes et j’ai croisé quelques petites pépites qui valent le détour. A commencer par l’essai de Joy Sorman sur la psychiatrie, sur le regard que l’on porte sur la maladie mentale dans notre société. L’autrice a rencontré des patients et sans tomber dans le pathos, elle décrit à merveille les engrenages et les morceaux de vie. Une très belle surprise pleine d’humanité qui sonne juste, ce qui est rare dans ce domaine.

C’est aussi l’année où j’ai découvert avec un peu de retard la plume de Nicolas Mathieu, avec Rose Royal dans un premier temps, mais surtout avec Aux animaux de la guerre, un roman noir sur la précarité, le déclassement avec des personnages en bout de course marquants. Rude et très beau.

J’ai aussi lu le premier roman de Caroline Hinault chez les éditions du Rouergue, Solak, et c’est celui qui m’est venu en tête tout de suite lorsque j’ai commencé à écrire ce bilan. Une vraie claque à sa lecture qui dégage une atmosphère singulière. Pour rappel, ce roman noir se passe dans un endroit reculé de l’arctique et décrit la cohabitation entre quatre personnages, qui ont pour mission de surveiller la zone et de réaliser quelques expériences. On ne sait pas précisément pourquoi ce sont eux qui ont été choisis. On ne sait pas comment va se passer la cohabitation. Un roman prenant et étouffant. J’ai aussi adoré Grande Couronne de Salomé Kiner, un autre premier roman. Cette fois-ci on suit une jeune fille en banlieue parisienne qui tente de surnager au milieu des désillusions qui s’enchainent. Ces deux romans ont une langue travaillée qui sonne, que ce soit le narrateur de Solak qui est un des personnages sur la base arctique ou la jeune narratrice de Grande Couronne.

Cette année j’ai aussi rattrapé mon retard sur deux livres qui me faisaient de l’oeil depuis un moment, Réparer les vivants et Tropique de la violence. Deux livres qui touchent au cœur, que ce soit le récit du jeune accidenté de Maylis de Kersangal ou celui d’une jeunesse en quête de sens à Mayotte.

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J’ai lu mon premier livre des éditions Marchialy avec Les enfants de la Clarée, un essai sur les jeunes mineurs qui tentent la traversée des Alpes, à la frontière franco-italienne. On y aborde la solidarité qui se met en place dans cette région et les aberrations administratives que rencontrent les habitants du coin lorsqu’ils s’organisent. Un reportage important.

J’ai lu pour la première fois cette année les romans d’Éric Plamondon, un auteur qui écrit avec beaucoup de justesse et qui a une façon bien à lui de mélanger la fiction et le documentaire, que ce soit dans Taqawan où il est question des Indiens mig’maq en 1981 ou dans Oyana où il est question de l’ETA et de ses différentes facettes. Eric Plamondon écrit des livres courts et qui sont pour moi des modèles de concision et de clarté. Une très belle découverte cet auteur.

Cette année a aussi été la fin d’une trilogie d’enfer en fantasy, celle des Chevauche-Brumes. Le troisième et dernier tome, L’Appel des grands cors, clôture l’aventure avec brio et va toujours plus loin dans l’épique, la qualité des intrigues et l’immersion dans l’univers moyenâgeux de l’auteur. On regrette de quitter la troupe de personnages de Thibaud Latil-Nicolas une fois la dernière page tournée.

Enfin, je vous conseille Hakim de Diniz Galhoz, un roman noir bien barré et plein de réflexions sur la condition d’un fils d’immigrés et le regard stigmatisant que l’on porte au quotidien sur lui. Ce roman c’est aussi une langue unique. Ce n’est pas évident au début d’entrer dans le livre et ensuite on se laisse complètement porter par cette langue inventive et qui donne envie de lire à haute voix des passages. On n’oublie pas de si tôt ce personnage un peu gauche, en colère (et parano ?). Du tout bon.

N’hésitez pas à piocher dans cette sélection subjective. Ce sont des bouquins qui interpellent d’une manière ou d’une autre, qui clivent parfois, que ce soit dans le fond ou dans la forme, mais qui promettent de très bons moments de lecture. Et pour vous cette année quelles lectures sont sorties du lot ?

Pirate n°7 / Élise Arfi

Le récit d’une avocate qui assiste un jeune Somalien jugé en France.

Élise Arfi dresse le portrait d’un système carcéral qui broie et d’une justice française qui dysfonctionne dans Pirate n°7. L’autrice est avocate commise d’office au début de son récit et est désignée pour assister un jeune prisonnier somalien, Fahran, dans une procédure pénale. En 2011, ce jeune a été engagé pour une attaque de piraterie au large de la Somalie, une attaque en direction du bateau de plaisance d’un couple français. L’attaque dégénère. Il est alors arrêté et rapatrié en France. Il va s’ensuivre pour lui un long parcours judiciaire en France où il va rapidement être dépassé. Un parcours dans lequel Élise Arfi ne peut que constater la chute de Fahran, d’une cellule de prison à l’hôpital psychiatrique, il subit et l’administration française ne lui facilite rien (doux euphémisme). C’est un court récit qui touche et qui sonne, écrit dans une forme d’urgence pour dénoncer la situation que l’avocate rencontre. C’est un récit dans lequel on discerne les sentiments de l’autrice, aussi bien la révolte de voir Fahran se faire traiter de la sorte que la résignation. Élise Arfi oscille entre les deux et se livre avec beaucoup de sincérité. Ça fait un petit moment que je n’ai pas été touché comme ça par un livre, une claque.

J’ai achevé ma plaidoirie la gorge sèche, nouée. J’étais finalement parvenue au bout de moi-même, de mes nerfs, de ma révolte, de ce parcours qui mène un individu de son interpellation à son jugement. M’entendant raconter pour la première fois l’histoire de Fahran devant la cour d’assises, j’ai moi-même été sidérée par l’horreur de mon récit […]

Pirate n°7, ed. Anne Carrière, 18 euros, 250 pages.

Tropique de la violence / Nathacha Appanah

Un roman magnifique à Mayotte où la violence se mêle à l’enfance.

Une plongée saisissante à Mayotte. Nathacha Appanah capte toutes les nuances d’une île sans détour et écrit merveilleusement bien. La violence et la jeunesse sont au centre du propos. Une claque cette lecture et un énorme coup de coeur.

Tropique de la violence, Ed. Folio, 6,90 euros, 192 pages.

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