La Foudre / Pierric Bailly

Un meurtre fait ressurgir les souvenirs d’un berger dans le Haut-Jura.

Julien voit ressurgir le fantôme d’Alexandre un ancien copain d’internat, lorsqu’il réalise que ce dernier est à l’origine d’un meurtre. Il a du mal à y croire au début et finalement il se rend compte que c’est bien son ancien pote devenu vétérinaire et fervent défenseur des animaux qui a tué un jeune homme avec une planche. Julien, qui est berger dans le Haut-Jura, commence alors à cogiter et finit par joindre Nadia au téléphone la femme d’Alexandre. Sans vraiment savoir pourquoi il s’embarque dans cette histoire et devient le confident de Nadia dans l’épreuve qu’elle traverse avec son enfant. Alexandre se retrouvant de son côté en prison puis étant ensuite jugé dans un tribunal lyonnais. Le livre a eu un fort écho lors de sa sortie et a pas mal clivé. Je trouve que le regard de Pierric Bailly est toujours aussi juste sur les relations humaines, comme dans « Le roman de Jim ». L’histoire n’est pas forcément originale, mais c’est plutôt son traitement qui la rend intéressante. On retrouve le talent de l’auteur pour dépeindre les ambivalences de ses personnages, leurs contradictions, leurs sentiments. Les liens entre les personnages et notamment entre les générations ont toutes leurs importances. La nature a aussi une grande place dans le livre et fait partie intégrante de l’histoire avec de magnifiques paysages de montagne. L’auteur écrit avec « La foudre » un nouveau roman sensible qui croise des thèmes importants pour lui, de la filiation à la culpabilité en passant par le sentiment amoureux. Un bouquin que l’on a du mal à lâcher.

La Foudre, ed. P.O.L, 24 euros, 464 pages.

L’ange gardien / Jérôme Leroy

Un tueur hors pair rencontre quelques difficultés lors d’une ultime mission.

Berthet est un vrai soldat qui va au charbon, un tueur au service de la mystérieuse « Unité ». Une sorte de police secrète dans l’État. Il s’occupe de basses œuvres en assassinant des cibles précises, quelle que soit leur place sur l’échiquier politique français et sans se poser la question bien longtemps de la légitimité de son acte. On découvre ce personnage adepte de poésie à travers une alternance entre des évènements qu’il a déjà vécus et ce qu’il vit au présent. Dans les deux cas, l’action et le rythme ne manquent pas et on se rend compte rapidement que Berthet est d’une efficacité redoutable. Ajoutez à cela Kardiatou Diop, une femme politique en devenir et Joubert, un enseignant en bout de course, reconvertis en auteur de polar en quête de reconnaissance et le roman est lancé. Jérôme Leroy plante une atmosphère teintée de mélancolie lorsque l’auteur s’attarde sur le passé de Berthet et tout son parcours. L’extrême droite n’est jamais loin et plane au-dessus du roman avec ses méthodes sordides. Berthet va naviguer en eaux troubles et même s’il a l’habitude de ne rien laisser au hasard les choses vont se compliquer pour lui dans son ultime mission. « L’ange gardien » est un roman noir, très noir et bien construit qui m’a permis de remettre le nez dans les romans de Jérôme Leroy. J’avais un bon souvenir de « La petite gauloise » lu il y a un bon moment. Je retrouve sa plume avec plaisir dans « L’ange gardien » et je crois que ce roman peut faire suite au « Bloc » paru précédemment et qui aborde les mêmes thématiques.

L’ange gardien, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 18,90 euros, 336 pages.

Requiem pour une République / Thomas Cantaloube

Règlements de compte et autres manigances dans la France de Papon.

Ça faisait un petit moment que je n’avais pas été pris dans un roman noir comme ça. Les évènement se déroulent en France de 1959 à 1962 dans « Requiem pour une République », dans la France de De Gaulle et on s’apprête à croiser le FLN, l’OAS, un certain Mitterand, Le Pen et toute une panoplie de personnages fictifs ou réels. Thomas Cantaloube campe sa narration à travers trois personnages qui vont se retrouver plus ou moins liés à l’assassinat d’un avocat et de sa famille à son domicile. L’avocat Abderhamane Bentoui, un proche du FLN. Une exécution planifiée et commanditée par Deogratias, le directeur adjoint de Papon. On sent tout de suite le coup foireux et le coup politique dans cette affaire. Le premier des trois personnage qui gravite autour de cet évènement est le flic de la PJ de Paris Luc Blanchard, plutôt bleu et naïf au début du roman, il finit par avoir des doutes sur les manœuvres de ses supérieurs à commencer par le préfet Papon. Antoine Carrega de son côté est un truand Corse qui se retrouve lié à cet assassinat car une connaissance à lui, un ancien résistant, perd sa fille dans l’évènement. La fille de l’ancien résistant était la conjointe d’Abderhamane Bentoui. Antoine Carrega va faire marcher son réseau et emprunte d’autres chemins pour comprendre les rouages de cet assassinat. Enfin, il y a le détestable Sirius Volkstrom. Un ancien de l’Indochine qui refuse toutes étiquettes et qui ne recule devant rien lorsqu’il s’agit d’un contrat financièrement intéressant pour lui. Sirius Volkstrom doit s’occuper de l’assassin de l’avocat afin que les services du préfet de Paris effacent toutes traces du manège. Thomas Cantaloube écrit un roman noir passionnant dans une France corrompue. Les chapitres alternent avec les personnages et on se régale en étant rapidement dans le vif du sujet. Je suis très curieux de lire un autre roman noir de l’auteur.

Requiem pour une République, ed. Folio, 9,70 euros, 544 pages.

Une ordure / Irvine Welsh

Découvrir un policier d’Édimbourg détestable et qui n’a aucune limite.

Bruce Robertson est un brigadier de la police d’Édimbourg, un flic détestable qui n’a aucune empathie pour ses pairs. L’histoire démarre avec une enquête lorsqu’un jeune noir est assassiné à coups de marteau. L’occasion pour le lecteur de découvrir l’enquêteur Robertson à l’œuvre et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il faut s’accrocher pour s’attacher ne serait-ce qu’un peu à ce personnage. Mysogine, raciste, violent, d’un égoïsme crasse et j’en passe, le brigadier fait partie de ses personnages que rien n’arrête dans le malsain. Irvine Welsh nous emmène dans les méandres de sa psyché torturé et le tout fonctionne. On prend une bonne grosse claque à lecture de ce livre qui pousse de nombreux curseurs bien au-delà du raisonnable. Les collègues du personnage principal ne sont pas en reste et si vous avez envie de croiser la route de flics bien pourris vous êtes au bon endroit. Une expérience de lecture.

Une ordure, Ed. Points, 8,20 euros, 512 pages.

L’Inconnu de la poste / Florence Aubenas

Un assassinat dans un bureau de poste sidère un village dans l’Ain et bouleverse des vies.

Comme souvent chez Florence Aubenas, tout est dans les détails et la justesse avec laquelle elle retranscrit des morceaux de vie. C’est encore une fois le cas dans « L’inconnu de la poste », un livre enquête sur une affaire qui a remué en 2008, le village de Montréal-la-Cluse dans l’Ain. Un village dans un décor magnifique, qui surplombe le lac Nantua. Le petit bureau de poste de la commune voit son employé Catherine Burgod être assassinée de 28 coups de couteaux un matin, le 19 décembre 2008. L’autrice s’attelle à reconstruire le contexte et les personnes qui vont graviter autour de cette affaire pendant les années qui vont suivre. Un acteur sur le déclin, un père détruit petit à petit par ce drame ou encore les amies de la victime. Avec sa façon bien à elle de raconter et une plume pleine d’humanité, Florence Aubenas dresse les portraits de tout cet entourage. On détricote avec elle les dessous de l’enquête et tout ce que cela a entraîné. « L’inconnu de la poste » est un petit livre dont on a du mal à s’extraire et dans lequel on reconnait tout de suite la patte de la journaliste. Elle parvient à restituer la fascination qu’une société peut avoir pour un crime à travers un récit sans jugement.

L’Inconnu de la poste, ed. Points, 7,50 euros, 250 pages.

Mauvais oeil / Marie Van Moere

Famille, mafia, corruption et passé douteux forment un coktail savamment réussi dans ce roman noir.

Direction la Corse avec ce roman noir de Marie Van Moere. J’avais adoré « Petite louve », le premier roman de l’autrice (récemment réédité chez La Manufacture de livres avec une superbe couv’) et je n’ai pas été déçu non plus avec celui-ci. « Mauvais œil » est sorti en janvier 2019 dans la jeune collection Equinox chez les Arènes. Au passage cette collection sort régulièrement de très belles trouvailles, n’hésitez pas à vous pencher sur le catalogue.

Dans ce roman noir, on retrouve une histoire de mafieux, de rivalités et de vengeances avec le passé qui refait surface pour plusieurs personnages. Que ce soit la commissaire de la PJ à Ajaccio Cécile Stephanopoli ou Antonia Mattéi, ancienne mafieuse qui a par le passé eu une grande influence sur le milieu corse. Antonia régnait sur la région. Malheureusement cette époque a pris fin brutalement à la mort de son mari, une autre figure de la mafia corse.
Au début du roman, Toussaint Galéa un proche des Mattéi, revient des années plus tard sur l’île pour solder une dette envers Antonia et c’est à partir de là que tout refait surface.

Les deux personnages féminins sont très bien amenés je trouve et marquants pour le lecteur. Cécile et Antonia sont sous le joug du pouvoir masculin de différentes manières et cela ne va pas leur faciliter les choses face aux nouveaux évènements qui viennent secouer l’île. Pourtant elles vont avancer d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas souvent que l’on croise des personnages féminins de cette envergure dans le polar. Ce roman noir est aussi une histoire de famille et les deux enfants d’Antonia (Joseph et Ours-Pierre) ne sont jamais loin de l’intrigue tout comme le père de Cécile (ancien commissaire qui a enquêté par le passé sur l’affaire dont il est question). Je vous conseille sans hésiter ce polar, une réussite tout du long.

PS : Et il y a une référence à Dave Grohl dedans 👀🥁

Mauvais oeil, Ed. Les arènes, 16 euros, 304 pages.

Un petit boulot / Iain Levison

Le chômage de longue fait faire des choses dont on n’a même pas idée.

Le chômage de longue durée peut faire des dégâts et surtout rebattre les cartes des valeurs que l’on a scrupuleusement suivies à la lettre toute sa vie. C’est le cas pour le personnage principal de Iain Levison dans « Un petit boulot ». Un personnage en bout de course et bien en dèche, qui se découvre un talent caché et qui va remettre en question sa façon de fonctionner. La suite est digne d’un Tim Dorsey et l’auteur ne va pas relâcher une seconde le rythme de son récit.

Ce serait dommage d’en dire plus à ce stade mais ce roman noir fait penser au Couperet de Westlake, un classique du genre. En moins sombre et avec plus d’humour mais tout de même avec des similitudes. La perte d’un emploi peut mener au pire et la précarité casse des hommes. Pour autant, Jake Skowran l’ancien ouvrier d’usine n’a pas dit son dernier mot et il compte bien le faire savoir.

Iain Levison écrit un livre aboutit et toujours aussi grinçant. Les dialogues sont très réussis dans celui-ci je trouve. Le récit alterne entre le sombre et le plus enjoué et c’est toujours aussi agréable à lire. Le sens de l’intrigue de l’auteur n’est plus à démontrer.

Un petit boulot, Ed. Liana Levi, 16 euros, 196 pages.

Les Âmes sous les néons / Jérémie Guez

Une riche famille vole en éclat suite à l’assassinat du mari, sa femme va alors découvrir un monde hostile.

Je guettais cette sortie de la rentrée de janvier, repérée à la lecture du dernier numéro de L’indic. Et autant le dire tout de suite, le nouveau roman du talentueux Jérémie Guez sonne juste et on retrouve dès le début sa plume caractéristique.

Cet auteur de roman noir emmène souvent ses lecteurs dans la noirceur de l’âme humaine en mêlant une atmosphère sombre à un rythme qui n’a rien à envier aux page turner les plus efficaces. Les combats et les scènes d’action sont très bien restitués et « Les âmes sous les néons » ne fait pas exception. Il y a un sentiment d’immersion qui se dégage et en même temps une économie de mots pour décrire certaines scènes.

Dans ce cinquième roman, une jeune mère de famille qui se remet à peine d’une césarienne perd son mari. Pas n’importe comment puisque ce dernier prend une balle qui lui emporte une partie du visage. C’est donc un assassinat qui en dit long et la jeune femme va l’apprendre à ses dépends. Dans quel business son riche mari baignait-il ? Pourquoi cette mort si violente et maintenant que va-t-elle devenir avec ses nouvelles cartes en main ? Le pitch est simple et pourtant, ça fonctionne dès que tout se met en branle autour d’elle.

Un excellent roman noir qu’on ne lâche pas.

Les Âmes sous les néons, ed. La Tengo, 15,50 euros, 176 pages.

Marseille 73 / Dominique Manotti

Une histoire française.

J’étais impatient de retrouver le commissaire Daquin et ses inspecteurs, Delmas et Grimbert. Ce dernier roman de Dominique Manotti est une réussite de bout en bout. Fin 1973, Marseille est le théâtre de plusieurs assassinats ciblés. Des Algériens sont les cibles dans la grande majorité. Le commissaire Daquin reprend du service et est de nouveau confronté à la grande machine policière, avec ses magouilles et ses jeux de pouvoir en interne. La politique de l’époque est dépeinte tout comme le racisme latent qui fait suite à la guerre d’Algérie, à Marseille et au-delà. Je n’ai pas retrouvé ailleurs cette façon précise de décrire les engrenages d’une institution gangrénée tout en racontant une enquête à travers plusieurs faits divers réels des années 70. En parallèle à cela, Dominique Manotti tient son lecteur en halène dès les premiers chapitres. Tout cela compose un très bon roman noir. Le récit fait écho sur plusieurs niveaux à ce que vit la société française aujourd’hui, que ce soit les questionnements sur le passé colonial, sur le rôle des institutions (police, justice) ou sur les violences policières.

Marseille 73, ed. Les Arènes, 20 euros, 384 pages.

Les invisibles / Antoine Albertini

Une facette plus sombre de l’île de beauté.

Un true crime marquant, voilà ce que nous propose Antoine Albertini dans cette enquête. Tout démarre en 2009 avec l’assassinat dans la plaine orientale corse d’El Hassan Msarhati, un travailleur clandestin d’origine marocaine. Le journaliste ressasse dans son récit des documents liés à cet assassinat, il rencontre du monde, décrypte, réalise des allers-retours dans les années 2000. L’enquête fait émerger au fil des pages des facettes bien sombres de l’île, sans s’arrêter aux éternels clichés corses.

Le lecteur distinguera au fur et à mesure du récit plusieurs machines à broyer pour ces invisibles qui vivent sur l’île et qui deviennent de la main-d’oeuvre bon marché, exploitée. Les travailleurs clandestins ne doivent pas faire de vague pourtant ils arrangent du monde pour travailler la terre, pour devenir bouc émissaire, pour justifier des politiques, pour alimenter des ragots. Ils sont vulnérables. Ils sont isolés. Antoine Albertini porte sa focale là où peu de monde s’attarde, son enquête est importante et symptomatique de ce que vivent les travailleurs clandestins en Corse et bien au-delà de l’île.

Les invisibles, ed. Points, coll. Points Récits, 6,90 euros, 192 pages.

 

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