Ce prochain amour / Nora Benalia

Le parcours d’une narratrice en colère, contre les normes et les injonctions lorsque l’on est une femme.

Ce livre est une claque. Un livre plein de rage, qui marque par sa sincérité. L’autrice écrit en partie sur sa vie à travers la narratrice, sur la violence que cela représente d’être une femme dans la société aujourd’hui. Que ce soit à travers la maternité, la famille, la sexualité ou le rapport aux hommes, Nora Benalia fustige les inégalités de genre avec une justesse rare dans de courts chapitres. La narratrice s’adresse au lecteur sans détour. Le constat est amer et la plume acérée.

extraits : « C’est quand même curieux de mettre toutes ces qualités dans l’organe le plus fragile du corps humain : le courage de l’homme est dissimulé là, à un endroit qu’un simple coup de genou peut réduire à néant. »

« Courber l’échine, travailler, brader son temps et ses compétences, suivre la scolarité de ses enfants, être considérée comme une assistée en touchant la CAF, comme une mauvaise mère en n’étant pas suffisamment présente, comme une mauvaise employée en n’étant pas suffisamment investie, être une femme invisible, fatiguée et défraîchie, mauvaise en tout, bonne à rien, mais sourire bravement quand on nous flatte pour notre sacrifice, comme un chien qui remue la queue. »

« Pas un jour ne passe sans que je ne sois jugée, y compris par mes enfants, maintenant qu’ils sont adolescents. Je suis la méchante qui fait bouffer des légumes ou qui ne cuisine que des pâtes parce qu’elle en a marre, mais qui, quoiqu’il en soit, se prend toute leur colère en permanence dans la gueule, parce qu’elle est là.
Elle est là, encore, dans les cabinets de psy, les réunions de professeurs, les conseils de classe. Devant l’école, au supermarché. À dire non au cahier à spirales.
Elle est là et elle est nulle. »

Ce prochain amour, ed. Hors d’atteinte, 17 euros, 208 pages.

Une maman parfaite / Marie-Fleur Albecker

Une trentenaire et son rapport à la maternité, avec toutes les injonctions sous-jacentes.

Du désir d’enfant à l’accouchement en passant par le post-partum, Marie-Fleur Albecker prend le temps de décrire l’expérience d’une trentenaire de l’intérieur. Le regard des autres sur le corps de la femme enceinte, les changements dans la relation intime d’un couple, les injonctions toujours plus nombreuses provenant de la famille, du gynécologue, des amies. Anne est féministe et engagée et conçoit ce projet d’avoir un enfant comme celui d’un couple. Un projet réfléchi et qui renforce tous les acteurs. La réalité va être amère et bien plus complexe. Le sentiment fusionnel espéré (et ressenti par son amie Louise, mère célibataire) est loin de se mettre en place. Anne rame et lutte. La fatigue, le regard des autres toujours, le manque de sommeil, la dépression du post-partum, tout y est. Et pourtant Anne réalise qu’elle fait comme elle peut. Elle compose avec ses jugements, tâtonne, utilise son expérience de professeur des écoles mais surtout culpabilise de moins en moins. Marie-Fleur Albecker écrit sur la grossesse et tout ce qui l’entoure et un peu comme dans « In carna » de Caroline Hinault, ce livre offre un témoignage sensible et à partager sur un sujet qui charrie de nombreuses idées reçues.

extrait : « Les femmes sont quand même les seules à qui on arrive à faire croire que souffrir est un pouvoir.
Non, souffrir c’est souffrir : si les mecs accouchaient, on serait sur des césariennes programmées avec assistance post-partum depuis la fin du XIXe siècle, croyez-moi. »

A paraître le 26 janvier.

Une maman parfaite, ed. Aux forges de vulcain, 20 euros, 272 pages.

mères sans filtre / Collectif

Huit récits intimes de déclics féministes pour libérer la parole sur la maternité.

En questionnant leur maternité, les autrices de ce recueil reviennent sur les représentations qui ont traversé ou non leur maternité. En abordant la grossesse, les réactions de l’entourage, le post-partum, l’éducation des enfants, etc. on discerne comment la maternité peut devenir un objet politique. Chaque autrice décrypte comment la maternité a été un moment clé pour creuser les thématiques autour des inégalités de sexe. Un bouquin très riche et d’actualité qui brasse les derniers enjeux autour de la maternité et qui forme une excellente synthèse sur le sujet. Cela permet aussi de creuser les livres de chaque autrice si l’on veut poursuivre avec d’autres lectures. Exemple le livre de Renée Greusard « Choisir d’être mère » à lire ou encore le livre d’Iliana Weizman sur le post-partum.

Mères sans filtre, ed. Solar, 17,90 euros, 176 pages.

Fille / Camille Laurens

Ce que naître fille veut dire.

Laurence Barraqué grandit dans les années 60 à Rouen. Elle est la narratrice de ce roman qui dévoile dès les premières pages une rencontre avec une condition. Elle est une fille et perçoit progressivement qu’il aurait été plus simple pour elle qu’elle naisse garçon. Elle est une fille et elle comprend durant son enfance que c’est mieux qu’elle se taise, que c’est mieux pour elle qu’elle s’intéresse à certains sujets et pas d’autres. Elle comprend rapidement que sa relation aux hommes peut lui poser des difficultés voire pire. On suit la narratrice jusqu’au début des années 90 lorsqu’elle devient mère. Puis on voit grandir sa fille et la relation se tisse sous les yeux du lecteur avec sa mère. Une fille qui s’affirme et qui s’intéresse aux questions féministes contemporaines en offrant un nouveau prisme à sa mère. Une mère qui regarde comment grandit son enfant à l’orée de ce nouveau prisme, mais qui regarde aussi sa jeunesse avec ce nouveau prisme. « Fille » est un roman qui restitue comme rarement la condition féminine. Tout ce que peut traverser une femme dans une vie. Camille Laurens écrit un récit très juste et plein de petites observations, dans lequel la question du corps féminin est centrale. Le lecteur voit les petites mutations qui s’opèrent chez la narratrice et les luttes que cela sous-tend pour elle. Je lis un peu à la bourre ce bouquin qui avait eu un écho important à sa sortie. Je vous le conseille vivement.

Fille, ed. Folio, 8,70 euros, 256 pages.

Continuer / Laurent Mauvignier

Une mère embarque son fils dans un voyage pour renouveler la relation avec lui.

« Continuer » c’est l’histoire d’une mère et de son fils. Mais surtout d’une mère qui tente un dernier coup pour venir en aide à son fils, pour essayer de le comprendre. Samuel est un adolescent déscolarisé et il a toute une panoplie de difficultés sociales qui font de son quotidien une galère. Sa mère qui n’a plus la main sur grand chose décide de tout claquer et de vendre sa maison pour financer un voyage. Les deux personnages se retrouvent alors embarqués dans un singulier voyage dans les montagnes du Kirghizistan. Un voyage à cheval qui va leur permettre de côtoyer des moments de grâce mais aussi des moments beaucoup plus difficiles, âpres. Sous la plume de Laurent Mauvignier on se laisse embarquer dans ce roman touchant qui décortique la relation entre une mère qui a du mal à se faire entendre de son fils et son fils justement qui se braque. Samuel a très vite du mal à comprendre les finalités d’un tel voyage même si comme sa mère il aime monter à cheval. On sent tout de suite qu’une telle décision pour Sybille ne va pas être sans conséquence et la suite du périple va nous donner raison. Laurent Mauvignier a un ton bien à lui. Cette façon de restituer les émotions, de s’attarder sur les gestes des personnages. Ajoutez à cela de très belles descriptions des paysages, de la nature et vous avez un très beau roman. J’avais découvert Laurent Mauvignier avec une première claque, « Histoires de la nuit ». Sans forcément retrouver le même souffle j’ai pris autant de plaisir à lire celui-ci.

Continuer, ed. de Minuit, 18 euros, 240 pages.

Le Roman de Jim / Pierric Bailly

Un roman sensible sur la paternité et les enfants de divorcés.

Aymeric a 25 ans et sort de prison au début de ce roman. Il vaque à droite à gauche, de mission d’intérim en mission d’intérim et il a des difficultés à se remettre d’une rupture qui date un peu maintenant. Ce personnage qui est le narrateur du bouquin va rencontrer une femme, Florence, âgée de 15 ans de plus que lui. Florence attend un enfant lorsqu’Aymeric le rencontre et comme tout se passe bien entre eux, il va naturellement assister à la naissance avant de voir grandir le petit Jim. Au début il a du mal à composer avec cette singulière paternité car il n’est pas le père biologique mais en même temps il commence à s’attacher à Jim. Jusqu’au jour où le père biologique revient dans la danse. Aymeric et Florence vont tenter de former un nouveau ménage, une nouvelle famille tant bien que mal mais quelque chose déconne. Et cela ne va pas être aussi simple. Pierric Bailly aborde dans « Le roman de Jim » la paternité, la situation à part des enfants de divorcés qui ont deux pères notamment. L’auteur aborde cette complexité dans les relations, dans les non-dits ou dans les effets sur l’enfant. Ce roman touche en plein cœur et restitue très bien les sentiments des personnages. On sourit, on a la gorge serrée, on passe un peu par tous les états en suivant le narrateur et son récit. Un gros coup de cœur.

Le roman de Jim, Ed. P.O.L, 19 euros, 256 pages.

In carna / Caroline Hinault

Fragments de grossesse.

À la fois exploration de la maternité comme expérience du corps et comme expérience sociale, Caroline Hinault écrit avec « In carna » un récit dense et vraiment intéressant sur la grossesse. L’autrice développe à partir de sa propre expérience et de ses lectures sur le sujet un regard sur la maternité et sur tout ce qu’elle recouvre. De l’essentialisation à l’instrumentalisation du corps des femmes, elle livre une réflexion passionnante de bout en bout sans dépolitiser son propos. Avec une écriture travaillée, qui sonne juste et qui m’avait mis une première claque dans son roman noir « Solak », l’autrice choisit d’écrire par fragments ses pensées, ses recherches, ses réflexions. Elle va au-delà de sa propre expérience de la maternité en mettant en évidence des rapports de pouvoir, en rendant visibles des ambivalences. Que ce soit avant, pendant ou après la grossesse, on distingue des injonctions parfois contradictoires que la mère rencontre. La sphère intime n’est plus la seule en jeu et des questions plus politiques ou sociales traversent cette expérience. En société par exemple lorsque des conversations autour du sujet émergent, qu’il faut annoncer sa grossesse, discuter de sa vision du sujet, etc. « In carna » est le genre de bouquin que l’on a envie d’annoter tout au long de la lecture (et qui peut ouvrir des discussions autour de soi). Un gros coup de coeur.

extrait : « Chaleur de printemps. Verdict menstruel.
Elle y avait encore cru, la vieille oie blanche.
La tristesse lui a fondu dessus comme un vautour.
Accaparé par un film, Lui a bredouillé quelques mots pour dire qu’il était désolé.
Il était dans son film, Elle dans son corps.
La tension n’a fait que croître.
Elle lui en a soudain terriblement voulu de ce droit à l’insouciance pendant qu’Elle se coltinait, Elle, les montagnes russes de ce corps qui dit oui ou non à sa guise. »

In carna, ed. du Rouergue, 21,50 euros, 304 pages.

De chair et de fer / Charlotte Puiseux

Vivre et lutter dans une société validiste.

À travers son parcours, de son enfance à son engagement militant, Charlotte Puiseux livre un récit sensible et plein de justesse. Un récit qui questionne le rapport entre la société française et les personnes handicapées. Plusieurs notions sont explicitées par l’autrice, du validisme à l’intersectionnalité. On comprend l’impact négatif que peut avoir une émission comme le téléthon et comment cela peut être perçu. On comprend aussi les injonctions qui pèsent sur les personnes handicapées notamment lorsque la société encense des sportifs de haut niveau pendant les jeux paralympiques. La personne handicapée est alors essentialisée, c’est-à-dire résumée à son handicap. L’autrice déconstruit avec beaucoup de clarté toutes ces violences non visibles du quotidien. Le validisme en tête. Des violences qui parfois peuvent revêtir l’apparence d’une fausse bienveillance, à l’école, au travail, à la maternité, etc. « De chair et de fer » est un excellent bouquin sur la question du handicap, une synthèse des questionnements qui ont émergés ces dernières années. Le parcours personnel de l’autrice qui est rapporté ici rend compréhensible ces évolutions.

extrait : « À travers le partage de mon expérience, j’ai tenté de rendre compte des réalités du validisme, et j’espère que ce récit aura permis de faire émerger une autre perspective. En rembobinant le film de ma vie, en rendant publics des instantanés de mon parcours, j’ai voulu montrer que tout peut être pensé différemment, que rien n’est figé. »

De chair et de fer, ed. La découverte, 17 euros, 160 pages.

Darwyne / Colin Niel

Colin Niel aborde la question de la protection de l’enfance dans un environnement singulier. Un combo qui fonctionne.

On se retrouve dans un bidonville, Bois-Sec, dans le dernier polar de Colin Niel. Un bidonville en lisière de forêt amazonienne. Le jeune Darwyne Massily, 10 ans, loge avec sa mère dans un habitat précaire au sein de ce bidonville. Il voit passer plusieurs beaux-pères dans la vie de sa mère, qui tente à chaque fois de s’installer en ménage avec elle. Des hommes qui l’inquiètent et dont il se méfie. Le jeune enfant est plutôt sauvage et marginal, il n’a d’yeux que pour sa mère. Mathurine un autre personnage de ce polar prenant, est quant à elle employée à la protection de l’enfance pour rendre des évaluations et le cas échéant, valider des placements ou non pour des enfants en danger. Une information préoccupante a été déposée pour le foyer de Darwyne et Mathurine est chargée du dossier. Elle n’imagine pas dans quelles mesures sa rencontre avec Darwyne et ce dossier vont dépasser ce qu’elle a l’habitude de gérer. La frontière avec sa vie personnelle et son passé va être particulièrement difficile à gérer. Ce nouveau roman noir édité dans la très recommandable collection « Rouergue noir » est une réussite. Désormais on attend avec impatience les romans de l’auteur. « Darwyne » recoupe toutes les préoccupations de Colin Niel. On distingue ses riches connaissances de la faune et de la flore ou encore la fibre sociale marquée de ses personnages, qui flirtent souvent avec la précarité. La tension du récit et sa construction ne sont pas en reste et on est touchés par les évènements. Un très bon polar.

Darwyne, ed. du Rouergue, 21,50 euros, 288 pages.

L’inconduite / Emma Becker

Chronique d’une vie amoureuse et sexuelle sous la plume d’Emma Becker.

Emma Becker questionne l’arrivée d’un enfant dans un couple dans ce nouveau livre, l’impact que cela peut avoir sur le désir dans un couple hétéro. Elle aborde son quotidien et ses relations avec les hommes (relations amoureuses, famille, amis) tout en réfléchissant à son statut d’écrivaine dans tout ça, au sens que peut prendre l’écriture lorsqu’elle ressent le besoin de relater ce qu’elle vit. « L’inconduite » est un livre qui aborde le désir et les questions autour de ce désir sans tabou, avec la justesse propre à Emma Becker. On retrouve le ton singulier de « La Maison », son second livre qui relatait son expérience dans une maison close berlinoise. On distingue les injonctions qui pèsent sur les femmes, notamment avec le corps des femmes. L’écriture percute et Emma Becker pleine d’auto dérision met les hommes face à leurs comportements, et reste toujours fine dans ses analyses. C’est cru et sans filtre tout en étant d’une lucidité désarmante. Un bouquin qui peut être clivant mais c’est aussi en cela qu’il peut être intéressant.

L’inconduite, ed. Albin Michel, 21,90 euros, 368 pages.

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