Un jour, j’ai menti / Samira Sedira

Un roman noir tendu, qui relate l’ascension puis la chute d’une personnalité publique ambigüe.

Nikki Delage est une icône, une icône qui représente les marginaux, les exclus, les précaires. Cette brillante avocate a travaillé comme jamais son storytelling en se faisant passer pour une fille d’ouvrier, petite fille d’un grand-père torturé par l’OAS en Algérie. Elle est à la fois influenceuse ultra connue et en même temps elle se veut proche des gens qu’elle représente et pour qui elle agit au quotidien. Nikki grimpe les sphères du pouvoir et de plus en plus de monde adhère à son discours et à sa personnalité. Jusqu’au jour où le pays découvre qu’elle a tout inventé. La façade s’effrite et la chute est soudaine. Nikki est en réalité la fille d’un riche industriel bordelais et est issue d’une famille aisée. Qu’est-ce qui a poussé cette femme à tout inventer ? À vivre dans ce mensonge durant toutes ces années ? Est-ce que tout ce qu’elle a accompli jusqu’alors n’a plus aucune valeur ? C’est avec toutes ses questions en tête que Jeanne, scénariste, et son amie réalisatrice Luce, vont à la rencontre de ce personnage pour réaliser un reportage sur cette figure médiatique et mystérieuse. Les deux amies ne sont pas au bout de leur surprise lorsqu’elles se rendent dans la demeure de l’influenceuse. Nikki accepte contre toute attente l’interview alors qu’elle cherche à ne pas se montrer en public depuis que le scandale a éclaté. L’interview et le reportage vont alors prendre un angle inattendu. La tension s’invite petit à petit dans le récit et le lecteur sent le huis clos approcher. Samira Sedira écrit un roman tendu, avec une psychologie des personnages travaillée. Elle restitue très bien la complexité qui peut se cacher derrière des actes ou derrière des personnages aux agissements à priori louables. « Un jour, j’ai menti » est un roman noir réaliste et à l’écriture singulière. J’ai beaucoup aimé la plume de l’autrice que je découvre dans la fiction, et que j’avais déjà beaucoup appréciée dans des éditos pour Libé. Un bouquin à découvrir sans hésiter.

Un jour, j’ai menti, ed. La manufacture de livres, 18,90 euros, 304 pages.

L’Intimité / Alice Ferney

Un roman dense qui questionne les statuts du corps des femmes.

Dans « L’Intimité », on croise plusieurs destins, du père qui questionne sa paternité à la femme qui ne souhaite pas avoir d’enfant en préférant vivre seule. De nombreux questionnements émergent, tous plus intéressants lorsque l’on découvre les personnages de ce roman. Ada, Nicolas, Sandra ou Alba. Des personnages qui interrogent leurs identités aux prismes des injonctions qui pèsent sur la parentalité, sur les relations de couple, sur le corps des femmes ou sur la question de la reproduction. « L’Intimité » est un roman qui permet de sortir de sa zone de confort, d’interroger d’éventuelles certitudes. Prenante et sensible, l’histoire l’est tout autant. La lecture nous plonge dans un engrenage où l’on ne lâche plus le livre, avec un début qui heurte. Alice Ferney a beaucoup de talent pour décrire les détails du quotidien, notamment les actes qui peuvent paraître anodins mais qui se révèlent violents dans une vie conjugale.

L’Intimité, ed. Actes Sud, 9,70 euros, 480 pages.

Incident à Twenty-Mile / Trevanian

Une ville minière enclavée voit son quotidien partir en vrille.

C’est le premier livre que je lis de Trevanian et c’est une claque en bonne et due forme. Un western revisité avec des personnages complexes et des dialogues d’enfer, qui tend vers le huis clos. On pense à Zahler, on pense à Whitmer. Et en même temps Trevanian a une plume bien à lui, notamment lorsque l’on sent que rien n’est laissé au hasard sur l’histoire des USA ou sur la documentation qu’il a utilisée pour construire son récit. Twenty Mile est une petite ville minière isolée du reste du monde et un beau jour, un jeune homme se pointe d’on ne sait où. Il apprend à connaitre les quelques habitants de ce coin paumé jusqu’au moment où un autre personnage débarque en ville. Là évidemment les choses vont se compliquer. Un très bon western avec des personnages déjantés.

Incident à Twenty-Mile, Ed. Gallmeister, 10,50 euros, 368 pages.

Histoires de la nuit / Laurent Mauvignier

Un suspense remarquable sur 600 pages. Un gros coup de coeur.

Un travail d‘orfèvre qui marque le lecteur ce bouquin. L’histoire s’étire sur une journée, avec de longues phrases qui campent l‘atmosphère sans pour autant faire décrocher le lecteur. Laurent Mauvignier a une façon bien à lui de créer une tension narrative et ça fonctionne très bien. L‘auteur pose sa focale sur un hameau de trois maisons, qui va connaître plus de rebondissements que ne ne laissent penser les apparences. Un petit coin de campagne pas si tranquille.

Histoires de la nuit, Ed. De Minuit, 10 euros, 608 pages.

Des nœuds d’acier / Sandrine Collette

Une sortie de prison qui se passe mal. Sombre à souhait.

Théo sort de prison et n’a qu’une idée en tête, se rendre chez son frère, la personne à l’origine de sa détention. Comme une obsession, il fonce et met tout de suite sa liberté en danger. Il passe tout prêt de faire une nouvelle connerie et réussit à s’enfuir. La suite ressemble à une nouvelle fuite en avant qui va prendre un tournant qu’il ne peut pas imaginer une seule seconde. Un tournant qui ressemble à l’enfer.

Sandrine Collette choisit de laisser la parole à ce personnage qui se livre pour raconter son histoire à la première personne et on est complètement immergé dans son récit. L’écriture est prenante, les petits paragraphes se suivent et les mots de l’autrice soigneusement choisis sonnent juste. La tension monte crescendo et le lecteur découvre l’humanité dans ce qu’elle a de plus sordide. Des nœuds d’acier est un sacré roman noir, qui laisse un goût âpre une fois la dernière page tournée.

Des nœuds d’acier, ed. Le livre de poche, 7,40 euros, 264 pages.

Le puits / Iván Repila

Un roman inclassable qui mélange beauté et âpreté.

Tout démarre dans un puits dans lequel le lecteur découvre deux frères coincés. Le Grand et le Petit. Alors qu’ils ramènent des provisions à leur mère, ils chutent sans que l’on sache pour quelle raison au début du livre. Les deux frères vont tout tenter pour se sortir de là et un long calvaire débute, dans lequel la faim et la folie se mettent à graviter petit à petit autour des deux personnages. Ce court roman est un huit-clos surprenant, qui fait ressentir aux lecteurs les sensations les plus désagréables comme rarement. Iván Repila avec une concision redoutable fait passer le lecteur par tous les états. En parallèle et sans alourdir le récit, il convoque à travers les pensées du Petit et du Grand de nombreuses images liées à l’enfermement, à ce que peut représenter l’humanité, la survie. Le puits est une expérience de lecture et un livre bien plus dense qu’il n’en a l’air. Impressionnant.

Traduit par Margot Nguyen-Béraud.

extrait : « L’orage éclate à l’instant où la mort se présente au bord du puits. »

Le puits, ed. Points, 6,10 euros, 128 pages.

Le Sanctuaire / Laurine Roux

Un roman qu’on ne lâche pas, sur une famille qui vit en autarcie après une catastrophe.

Dans un monde où une catastrophe a réduit à peau de chagrin la population mondiale, une famille se retrouve retranchée dans les montagnes et vit en autarcie dans une cabane. Un lieu appelé « Le sanctuaire » et qui est préservé du monde extérieur par le père de la famille notamment, très protecteur envers ses deux filles. Le monde d’avant resurgit par bribes de temps à autre, lorsque le père s’absente pour récupérer des denrées et qu’il croise d’autres survivants. Pour la mère, c’est par le discours que la nostalgie se met en place lorsqu’elle raconte des scènes du monde d’avant à ses filles. Laurine Roux emmène le lecteur au sein de cette famille et plusieurs thèmes sont abordés autour de la parentalité, de ce que peut représenter le fait de protéger ses enfants ou encore les différentes facettes qui peuvent naitre chez des parents lorsqu’ils élèvent des enfants, y compris les facettes plus sombres. Entre les deux sœurs, il y a des caractères qui divergent au début du récit avec Gemma qui est née dans « Le sanctuaire » et qui ne connait que cet environnement sauvage dans lequel elle a grandi et qui avec l’aide de son père, a fait d’elle une chasseuse hors pair. June de son côté connait le monde d’avant et a un rapport totalement différent à la nature qui l’entoure. Elle ne ressent pas le même sentiment de liberté que sa sœur.

Je découvre Laurine Roux avec ce roman que j’ai dévoré. Un récit à la lisière du roman noir et de l’imaginaire. Un récit parfois sombre, parfois lumineux. L’écriture sans fioriture n’y est pas étrangère et évoque en quelques mots des images chez le lecteur. Une petite pépite ce bouquin.

Le Sanctuaire, ed. du Sonneur, 16 euros, 160 pages.

Solak / Caroline Hinault

Un huit-clos mené tambour battant et très bien écrit.

Le narrateur Piotr fait partie des quatre personnages de l’histoire et raconte son expédition sur Solak, une presqu’ile sur la banquise plutôt inhospitalière. Il y côtoie Grizzly, un scientifique dans le coin pour faire des relevés, Roq un ancien soldat qui assure la sécurité du territoire et un jeune soldat taiseux et énigmatique, arrivé en dernier sur les lieux. C’est dans cet environnement où le climat est rude et où les corps sont éprouvés, que les quatre protagonistes vont tenter de ne pas sombrer face à la solitude, mais aussi, et surtout face aux passés de chacun d’entre eux. Un passé que l’on devine trouble et suspect au fil des pages. On ne se retrouve pas isolé du monde pendant des mois sans raison. La suite laisse le huis clos s’installer et l’atmosphère est de plus en plus oppressante et bien restituée jusqu’au final, à couper le souffle. Caroline Hinault écrit un roman qui sonne et qui est très bien amené. Sans détour, les phrases claquent et les images nous viennent rapidement. C’est prenant et en même temps dérangeant. Ça faisait un petit moment que je n’avais pas lu un roman noir comme celui-là.

Solak, ed. Le Rouergue, 15 euros, 128 pages.

220 volts / Joseph Incardona

Un huit-clos en montagne qui dégénère complètement.

Malgré un personnage principal qui force les traits sur la misogynie à certains moments, on retrouve la patte de Joseph Incardona dans 220 volts. Un roman noir qui monte crescendo avec une atmosphère bien pesante en montagne. L’auteur a le don pour camper des ambiances et on retrouve un couple, une journaliste et un romancier, qui se retrouve dans une maison de famille sans leurs enfants pour profiter un peu. Le huit-clos et les problèmes ne sont pas loin évidement et ce petit séjour va permettre à l’auteur de foutre un joyeux boxon au sein du couple. Le lecteur peut alors filer d’un rebondissement à l’autre et là il faut reconnaître que Joseph Incardona sait embarquer son lecteur.

220 volts, Ed. Fayard, 17 euros, 198 pages.

Police / Hugo Boris

Une reconduite à la frontière qui va s’avérer bien plus complexe que prévue pour les trois gardiens de la paix.

Trois gardiens de la paix font équipe et se retrouvent sur une mission inhabituelle, reconduire un réfugié à la frontière. C’est à partir de cet évènement que l’auteur décrit et suit les pensées des personnages. Notamment les relations qu’ils entretiennent et leurs réactions face à cette injonction hiérarchique. La tension monte progressivement et les certitudes vacillent. Hugo Boris écrit un roman haletant, qu’on ne lâche pas et qui fait réfléchir.

Police, ed. Grasset, 17,50 euros, 198 pages.

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