Je me suis tue / Mathieu Menegaux

Une femme sort de son mutisme la veille de son jugement et décide d’écrire sur ce qu’elle a traversé.

A la frontière du roman noir et du thriller, ce livre débute avec une femme qui se retrouve en prison. Le lecteur ne sait pas pour quelles raisons. Elle écrit dans sa cellule et remonte le cours des évènements. Une mécanique implacable se met en place pour comprendre ce qui l’a mené là et les pièces du puzzle s’imbriquent progressivement sous les yeux du lecteur. Cette mécanique est prenante et on discerne que l’indicible n’est pas loin. En peu de pages, l’auteur écrit un roman qui happe et qui donne à voir une violence qui touche souvent les mêmes personnes. Une violence qui impose le silence. Je découvre Mathieu Menegaux avec Je me suis tue son premier roman et c’est une histoire qui remue et qui met l’homme face à ses facettes les plus sombres.

Je me suis tue, ed. Points, 6,20 euros, 144 pages.

La fille qu’on appelle / Tanguy Viel

Les rouages insidieux d’une emprise, celle d’un homme politique sur une jeune femme.

On ne sait pas ce que Laura a traversé mais elle doit se rendre au commissariat. L’accueil y est compliqué mais elle doit s’y rendre. Les propos sont confus mais elle souhaite témoigner. Pour quelle raison ? Le lecteur ne le sait pas au début de ce roman.

Et petit à petit, au fil des retours en arrière on commence à comprendre ce qu’il lui est arrivé. Elle, la fille du boxeur connu du coin. Elle qui est rentrée de Rennes pour retrouver sa ville natale et pour habiter chez son père. Arrivée depuis peu, Laura cherche un logement. Son père sans imaginer la suite une seconde, lui propose de rencontrer le maire pour que Laura le sollicite dans ce sens. C’est là que tout commence.

Tanguy Viel restitue une emprise qui s’insinue progressivement. « La fille qu’on appelle » est très bien écrit et aborde avec beaucoup de justesse la question du consentement et l’emprise des hommes, notamment les hommes de pouvoir. L’auteur capte toutes les nuances chez la victime comme chez l’agresseur, on sent l’engrenage se mettre en place et réduire au silence les prises de décision de Laura.

extrait : « Donc vous l’avez fait de votre propre volonté ?
Non, je vous dis, c’était ce que je devais faire, ça ne veut pas dire que c’était ma volonté.
Et les deux flics commençaient à s’agacer […] »

La fille qu’on appelle, ed. de Minuit, 16 euros, 176 pages.

Dernier tour lancé / Antonin Varenne

La vie d’un jeune motard surdoué, dopé à l’adrénaline.

Antonin Varenne est revenu très fort l’année passée avec « Dernier tour lancé », un roman noir haletant dans l’univers de la moto GP. Un monde où l’argent et l’image sont rois et où seule la victoire compte. Julien est jeune et c’est un véritable prodige de la moto depuis tout petit. Pendant une course au Mans il percute deux adversaires, un motard reste paralysé et l’autre meurt. Julien entame alors du haut de ses 25 ans une longue convalescence, aussi bien physique que psychologique. L’aura qui l’entoure n’est plus la même et sa jeune carrière prometteuse marque un coup d’arrêt. Il peut tout de même compter sur le soutien inconditionnel de son père avec qui il vit et Julien finit par se rapprocher progressivement d’un retour sur les circuits. Dans le même temps, il rencontre deux personnages qui vont le suivre dans ce retour. Une psychiatre qui l’a aidé à traverser son accident et un peintre borderline rencontré dans la clinique là où il a été suivi. On sent bien que ses soutiens inédits ne seront pas de trop et que Julien va ramer pour retrouver son niveau. Reste à savoir s’il y parviendra.

L’auteur comme à son habitude écrit un roman prenant, avec des personnages qui se complexifient au fil de l’intrigue. Les excès des mondes qu’il explore sont toujours au centre du propos. Ici, un monde de vitesse où les sponsors dominent les prises de décision et où les motards finissent par être des pions. Antonin Varenne à travers la clique qui entoure Julien aborde différents thèmes, notamment la psychiatrie ou les travers moins avouables du sport de haut niveau. Derrière ces stars adulées et connues de tous, on trouve aussi des femmes et des hommes qui luttent paradoxalement contre une solitude qui les fait grandir souvent bien plus vite qu’ils ne le souhaiteraient. On distingue au fil du roman des réflexions sur la mécanique et la moto tout aussi intéressantes, notamment les réflexions sur le rapport au travail manuel qui peuvent faire penser à « Éloge du carburateur » de Crawford. Un essai qui contraste avec le monde de paillettes des motos GP puisqu’il questionne l’importance du travail manuel (et de la mécanique par exemple) pour se recentrer sur soi.

Sombre et d’un réalisme qui marque dès les premières pages, « Dernier tour lancé » est une claque. Un peu comme dans « Jeu blanc » de Richard Wagamese avec le hockey, on connait peu la discipline moto GP et on se laisse pourtant complètement emporter par les scènes de courses et l’intrigue.

extraits : « Nous voulons tous gagner. Parce que c’est tout ce qu’on leur apprend. Papa dit : Tu vas gagner. Papa ne dit pas au fiston : Je t’assoie à cinq ans sur une moto pour qu’à vingt tu sois un monstre de solitude. »

« Aux abrutis le spectacle,
aux animaux la guerre
et la politique au tumulte,
expliqués par des perles bien enfilées. »
(jolies références à des romans noirs dans cet extrait)

Dernier tour lancé, ed. La manufacture de livres, 21,90 euros, 416 pages.

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