La nuit, le son de ta voix / Laura Pfeffer

Une rencontre inattendue avec une touche de théâtre, dans un lycée réputé de Paris.

Romane vient des hauts de Montreuil en région parisienne et elle s’apprête à faire sa seconde dans un lycée côté parisien, à l’opposé du quartier d’où elle vient. Elle a très vite des difficultés à s’acclimater à cet environnement dans lequel elle se sent à part, loin des codes d’une jeunesse parisienne dorée et prétentieuse. Romane ne le sait pas encore, mais elle s’apprête aussi à faire une rencontre dans le club de théâtre du lycée qui risque de pas mal changer la donne et ce n’est pas son meilleur pote qui dira le contraire. Un truc est en train de se passer. Laura Pfeffer écrit sur les tourments d’une ado qui tente de concilier sa vie de famille avec sa vie perso. Entre une mère à la santé mentale fragile et un père en pilotage automatique pour continuer à avancer, Romane a besoin d’air. Cette arrivée dans ce nouveau lycée devient un prétexte tout trouvé. Ce dernier roman en date de la collection L’ardeur continue de dessiner livre après livre une fresque du désir adolescent, et ça sonne juste.

La nuit, le son de ta voix, ed. Thierry Magnier, 16,50 euros, 304 pages.

Les loups de Babylone d’Anne Percin et Ogresse d’Aylin Manço

Deux très belles surprises qu’on ne lâche pas une fois entamées.

Dans le roman « Ogresse », on découvre une jeune collégienne, Hippolyte, qui après le départ de son père se rend compte que sa mère adopte un comportement étrange au quotidien et s’enferme dans la cave de la maison. Dans le second « Les loups de Babylone, » on part à la rencontre d’une gendarme Sophie Cauchy. Cette dernière mute de la région parisienne pour s’installer à Millau. Elle souhaite redémarrer à zéro suite à un passé trouble qu’elle traine et dont elle a du mal à se défaire. Deux personnages réussis qui évoluent dans un environnement où le mal n’est pas bien loin, où la violence est latente. Que ce soit avec la mère d’Hippolyte pour l’une dans « Ogresse » ou avec la disparition inquiétante d’une jeune fille entre les gorges du Tarn et le Larzac pour l’autre. On est embarqué par ces deux romans brillamment construits, à l’atmosphère singulière. Les non-dits planent tout au long des deux intrigues. Dans le roman noir d’Anne Percin on croise une communauté qui vit reculée dans la nature et qui prône l’auto suffisance, mais aussi des collégiens qui se cherchent et ne se fond pas de cadeaux ou encore des gendarmes qui pensent bien connaitre leur territoire, mais en réalité pas tant que ça. Du côté d’Aylin Manço, c’est toute une troupe de potes qui va chercher à comprendre les évènements qui se trament dans la vie d’Hippolyte. La parole de l’adolescent et sa non-prise en considération par les adultes est un thème récurrent dans les deux bouquins, et c’est bien amené que ce soit avec la jeune Cassandra, une enfant placée en famille d’accueil dans « Les loups de Babylone » ou avec Hippolyte dans « Ogresse » qui a beaucoup de mal à faire entendre à son entourage ses inquiétudes. Deux romans à dévorer qui valent le détour.

Les loups de Babylone, ed. La manufacture de livres, 20,90 euros, 336 pages.

Ogresse, ed. Sarbacane, 7,90 euros, 320 pages.

Retour à l’âge ingrat / Alexis David-Marie

Le récit touchant de l’adolescence compliquée de l’auteur.

Alexis David-Marie est enseignant dans le Val-de-Marne et dans ce récit autobiographique il s’arrête sur son adolescence plutôt sportive. Il choisit de s’adresser à Nunus, l’adolescent qu’il a été. Un petit casse-cou prêt à mettre le boxon pour s’affirmer et se montrer. C’est aussi une adolescence marquée par les moqueries en raison de sa petite taille que l’on découvre. L’auteur dépeint les sentiments qui se bousculent pendant cette période de la vie, des sentiments souvent contradictoires et difficiles à percevoir aux premiers abords. Mais c’est aussi l’âge des premières expériences et des premières conneries et on retrouve tout cela dans le récit de l’auteur. J’ai bien aimé cette façon de prendre du recul sur les comportements qui posent problème aux adultes et qui sont souvent porteurs de sens au-delà de la simple manifestation violente chez les jeunes. J’ai bien aimé aussi cette façon d’adopter un regard qui met en perspective des comportements problématiques à l’époque, dans le rapport aux filles par exemple. « Retour à l’âge ingrat » est un récit autobiographique touchant qui est aussi la photographie d’une époque, celle dans laquelle l’auteur grandit dans les années 90.

Extrait : « Il y a longtemps de cela, quand je dis un soir à Romu que je comptais faire un jour le récit de nos quatre-cents coups, sais-tu ce qu’il me répondit ? Il me dit qu’il n’y aurait rien à raconter car c’est l’histoire de tout le monde. Et il n’avait pas tort.
On apprend à marcher à ses enfants alors que l’on boite soi-même. »

Retour à l’âge ingrat, ed. Aux forges de Vulcain, 21 euros, 304 pages.

Mungo / Douglas Stuart

Un roman marquant sur une relation impossible entre deux adolescents à Glasgow, dans les années 90.

J’ai redécouvert ce livre de Douglas Stuart suite à un retour de lecture sur Instagram et une fois démarré j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher. Mungo est un jeune homme qui grandit dans la banlieue de Glasgow avec sa mère alcoolique et rarement là, et sa soeur et son frère. Son grand frère étant une fois sur deux violents avec lui, une brute qui érige des valeurs machistes avant tout le reste. Le personnage vit une adolescence compliquée du haut de ses seize ans, une adolescence marquée par la précarité et par les conflits qui gangrènent la ville. Mungo va tenter de grandir avec en fond ces rivalités entre les protestants et les catholiques. Les altercations entre bandes sont nombreuses et il n’est pas rare que des jeunes perdent la vie dans cette rivalité religieuse. Le jeune homme fait une rencontre qui va chambouler son quotidien et qui va faire naitre de nouveaux sentiments pour lui. « Mungo » est un roman qui touche comme rarement et qui à travers une langue âpre restitue la condition d’un jeune homme en décalage par rapport aux autres jeunes de son âge. Un personnage qui découvre son homosexualité et qui se rend compte rapidement qu’il risque gros à la dévoiler, que ce soit dans son entourage proche ou plus largement dans la banlieue dans laquelle il habite. Mungo finira par être envoyé par sa mère dans un voyage avec deux repentis, deux hommes censés lui apprendre les valeurs qui forgent un soi-disant vrai homme, viril. C’est rare les livres qui m’embarquent comme ça et qui marquent. Plus d’une scène et plus d’un dialogue font cet effet-là dans ce roman terrible de Douglas Stuart. Une histoire qui alterne entre les moments très difficiles et des passages plus lumineux. Difficile d’en dire plus tant on ressort sonnée de cette lecture et en même temps, en ayant le sentiment d’avoir lu un sacré bouquin. À lire, vraiment.

Mungo, ed. Globe, 24 euros, 480 pages.

Ton absence / Guillaume Nail

La naissance d’un sentiment amoureux au milieu d’un groupe de potes.

Léo s’est formé un groupe de potes lors de son premier stage théorique pour obtenir le BAFA. Il a créé des liens forts et la bande est proche, à tel point qu’ils repartent ensemble pour le second stage, l’approfondissement. Un stage qui fait partie du parcours pour obtenir le BAFA et faire de l’animation. C’est pendant ce stage, le temps d’une semaine, que Léo voit naitre chez lui des sentiments pour Matthieu un autre stagiaire. Des sentiments qu’il refoule, qu’il tente de contrôler et qui en même temps, il le sent bien, le dépassent un peu. Le regard du groupe sur cette relation naissante va beaucoup jouer sur les comportements de Léo mais aussi sur ceux de Matthieu, qui lui de son côté est plutôt solitaire et dénote dans la bande qui réalise le stage. Il y a de tout dans ce court roman touchant de Guillaume Nail. Une forme d’écriture libre sur certaines pages, des passages qui côtoient de la poésie, une grande importance de la nature. On est embarqués par ce que traverse Léopold, ça sonne juste. Ce court roman est rythmé par les différentes activités animées par les jeunes qui passent le stage et qui veulent l’obtenir pour poursuivre vers le diplôme. C’est aussi une façon de voir évoluer un sentiment amoureux entre deux jeunes dans un environnement qui met des barrières à ce sentiment justement. Dans « ton absence », on questionne le désir chez ces jeunes adultes, le rapport aux normes et l’impact que cela peut avoir directement dans leurs vies. Un roman qui prouve encore une fois toute la vitalité de la littérature jeunesse. À découvrir.

Ton absence, ed. Rouergue, 12,80 euros, 160 pages.

Et au pire, on se mariera

Un roman nerveux et singulier, sur une adolescente qui tente de composer avec ses premiers sentiments.

Aïcha du haut de ses treize ans n’a pas un quotidien commun dans les rues de Montréal. Elle ne supporte plus sa mère et a des copines prostituées pour discuter de ses blessures. Dans un long monologue sans filtre, elle se confie à une personne inconnue dès le début du roman. Elle se raconte à la première personne, elle raconte ses sentiments pour un homme qui a le double de son âge. Mais elle raconte aussi son rapport complexe aux hommes qu’elle croise dans sa vie notamment son beau-père. On distingue des sentiments ambivalents qu’elle tente de maitriser, mais qui ont tendance à la submerger. Avec une lucidité désarmante, ce jeune personnage décode les comportements des adultes et dans un exercice loin d’être évident et qui pourrait facilement tomber dans le cliché, Sophie Bienvenu donne une voix réaliste à une adolescente qui se cherche. Ce court roman a une force rare, il fait réfléchir sur les premiers émois adolescents, sur la construction identitaire ou sur la gestion de ses émotions. On est complètement pris par la parole d’Aïcha qui rebondit d’une anecdote à une autre, qui envoie des punchlines. Je découvre l’écriture de Sophie Bienvenu avec ce livre qui sort de l’ordinaire et qui peut faire penser à des livres où la parole d’un ado ou d’un enfant est travaillée. Un peu comme dans « La colère et l’envie » par exemple d’Alice Renard. « Et au pire, on se mariera » donne un texte marquant.

Et au pire, on se mariera, ed. Noir sur Blanc, 13 euros, 128 pages.

Juste avant que / Joanne Richoux

Une collection à découvrir.

De plus en plus, elle adore retrouver son meilleur pote dans sa chambre, chez lui. Elle se rend compte qu’elle a une attirance qui grandit pour lui et que ça dépasse les limites de l’amitié. Ça la trouble. Elle a du mal à suivre ce trop-plein qui la submerge. Et lorsque les deux amis se retrouvent de nouveau dans sa chambre à lui, les évènements vont aussi s’accélérer à l’extérieur. Est-ce que ce sont des manifestations qui dégénèrent ? Est-ce que le climat est définitivement en train de partir en live ? Le réseau saute, internet aussi. Les repères volent en éclat. Rien n’est certain, mais ce qui est sûr c’est qu’un sentiment d’urgence s’invite chez les deux adolescents au fil du récit. On apprend à les découvrir dans ce contexte et sous la plume de Joanne Richoux qui sonne juste. Leurs relations, leur façon d’appréhender leur corps, le corps des autres, la famille, le sentiment d’urgence permet de se dévoiler. « Juste avant que » est un roman étonnant et prenant, très bien écrit. Je découvre la collection « L’ardeur » chez Thierry Magnier et je suis très curieux d’en lire un autre.

extrait : « On regarde alentour. Plusieurs bagnoles freinent le trafic, elles sont en diagonale, leurs capots fument. Des pompiers klaxonnent, les dépassent. Y a plus urgent ailleurs ? »

Juste avant que, ed. Thierry Magnier, coll. L’ardeur, 13,90 euros, 119 pages.

Wendigo / Rebecca Lighieri

Des évènements étranges viennent chambouler une famille et leur deux adolescents.

Ivo et sa petite soeur Selma grandissent à Marseille dans une grande maison chez leurs parents, tous les deux universitaires. Selma est très proche de son grand frère, mais ce dernier a besoin de beaucoup d’autonomie. Ivo sort la nuit, parle peu et a peu de relations sociales au collège. Lorsque Selma arrive au collège, elle fonctionne à l’opposé de son frère et a besoin de discuter, de sortir et de profiter de ses amies. Mais depuis peu de temps, le comportement d’Ivo change et Selma ne comprend pas. Ses parents ne captent rien, mais elle est certaine qu’il se passe des choses étranges. Elle va bientôt en être certaine. Rebecca Lighieri avec sa façon unique de conter ses histoires raconte avec beaucoup de justesse l’adolescence d’Ivo et de Selma. Le fantastique n’est jamais loin, l’atmosphère sombre et mystérieuse non plus. Les questions autour de l’environnement et de la protection des animaux constituent un autre fil rouge de ce roman jeunesse réussi et prenant.

Wendigo, ed. L’école des loisirs, 14 euros, 256 pages.

Amour chrome / Sylvain Pattieu

Hypallage – Tome 1

« Amour chrome » inaugure la série Hypallage, une série avec quatre romans en littérature jeunesse édités à l’école des loisirs. Sylvain Pattieu s’attarde dans chaque bouquin sur un des personnages d’une bande de potes. Dans « Amour chrome » il est question de Mohammed-Ali, un 3e avec de bons résultats et qui termine son collège tranquillement. La nuit il a une passion à l’abri des regards et sort de chez lui à l’insu de ses parents pour taguer. Il se passionne pour le graff et éprouve un sentiment de liberté unique lorsqu’il tague. Le reste du temps, il vaque entre ses potes et ses sentiments pour Aimée, une fille de sa classe qui ne vit que pour le football. Sylvain Pattieu écrit un roman sur des jeunes qui se cherchent. Les réactions et les dialogues sonnent juste ce qui loin d’être évident et on voit des amis se questionner sur les relations ou sur le monde qui les entoure. L’auteur n’en rajoute pas et laisse ses personnages vivre leur amitié, rencontrer des galères ou faire leurs expériences. À l’image d’une jolie scène dans laquelle Mohammed-Ali demande à son père de lui apprendre à se raser pour la première fois. Ce dernier se met alors en quatre et rend la chose importante, rendant le passage touchant. « Amour chrome » c’est aussi le roman d’une adolescence qui passe, du passage à l’âge adulte avec une fin inattendue. Sylvain Pattieu écrit un premier tome qui recoupe de nombreuses problématiques adolescentes, un bouquin que l’on a envie de faire lire autour de soi. Hâte de lire la suite.

Amour chrome, ed. l’école des loisirs, 14 euros, 192 pages.

Charbon / Sébastien Aja

Deux adolescents tentent de survivre au milieu des trafics de drogue.

Deux jeunes adolescents des quartiers nords marseillais réalisent un braquage dès le début de ce roman. Abou et Zine ont 16 ans. Ils sont plein d’énergie et ont surtout plein d’idées derrière la tête. Les petits vols leur apparaissent insuffisants et ils commencent à côtoyer les différents chefs des cités pour gagner plus et s’associer. Tout va alors beaucoup plus vite et les règlements de compte vont se multiplier. Abou et Zine ne sont pas encore dépassés par les événements mais ça ne devrait tarder, et on sent qu’ils ne réalisent pas dans quels engrenages ils mettent les pieds. Sébastien Aja sait de quoi il parle et on sent que son roman noir est réaliste, qu’il part de faits réels ou que son expérience personnelle transparaît. Malheureusement les descriptions un petit trop cliniques des scènes d’action et le rythme qui parfois s’essouffle rend le récit moins prenant. Plus compliqué de développer de l’empathie pour les personnages dans ce cadre là et d’entrer dans le roman. Dommage.

Charbon, ed. Gaussen, 15 euros, 208 pages.

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