A crier dans les ruines / Alexandra Koszelyk

La relation amoureuse de deux adolescents qui traversent la catastrophe de Tchernobyl.

Léna grandit non loin de Prypiat en 1986 et ne se doute pas que la catastrophe de Tchernobyl couve. Elle n’imagine pas être séparée d’Ivan, un autre adolescent dont elle est amoureuse et avec qui elle nourrit une complicité unique. L’évènement va les séparer et on suit l’exil de Léna en France alors qu’Ivan reste sur place avec sa famille. La jeune fille apprend à se construire en composant avec la violence de cette séparation, avec le stigmate lors de son arrivée en France. L’écriture d’Alexandra Koszelyk sert à merveille cette histoire, un premier roman marquant. On n’oublie pas les vingt années que s’apprête à traverser la jeune fille après son départ forcé d’Ukraine.

A crier dans les ruines, ed. Aux forges de Vulcain, 19 euros, 254 pages.

Kaddour / Rachida Brakni

Un hommage vibrant au père de l’autrice et à son vécu en France.

Comme en écho au livre de Nina Bouraoui « Grand seigneur », dans lequel l’autrice écrit sur la fin de vie de son père hospitalisé dans un service de soin parisien, Rachida Brakni écrit aussi ici sur son père, comme dans un hommage. Kaddour Brakni est un homme plutôt discret et en même temps capable de nombreuses saillies humoristiques. Un homme important dans la construction de la comédienne, dès son enfance à Athis-Mons en région parisienne. On découvre dans ce premier roman et sous la plume de Rachida Brakni, le portrait d’un père algérien dévoué pour ses enfants. Un homme qui a toujours voulu retourner en Algérie et qui a été marqué par sa vie en France par différents évènements, notamment la répression meurtrière du 17 octobre 1961 dans laquelle de nombreux Algériens moururent. La plume est sensible et touche le lecteur. Ce texte restitue le lien fort entre une fille et son père. Un lien que l’on perçoit dès le début du livre lorsque l’autrice est dans le train pour se rendre sur Paris et qu’elle vient d’apprendre sa mort le 15 aout 2020.

extraits : « Pour vous j’ai dévoré les mots, insatiable je les voulais tous, prenant le temps de les ingérer, les malaxer, les digérer afin de mieux les brandir. Au besoin, ils constitueraient un bouclier pour nous protéger, une arme dont je n’hésiterais pas à me servir non pour blesser mais pour mieux nous défendre en cas d’attaque. J’ai fait mienne la citation de Kateb Yacine, « le français est mon butin de guerre ». À travers cette langue que j’aime tant, je serais votre voix et elle, compagne indéfectible, ne me ferait pas défaut pour laver les affronts et les humiliations. »

« Si, pour nous, tout s’est arrêté depuis deux jours, le temps de ton côté a continué son ouvrage même si le froid que tu détestes tant ralentit la décomposition. La mort est ton manteau d’hiver avant que tes os ne se réchauffent sous le soleil de Tipaza. »

Kaddour, ed. Stock, 19,50 euros, 197 pages.

Vous ne connaissez rien de moi / Julie Héraclès

Retour sur le parcours d’une femme qui a collaboré pendant la seconde guerre mondiale.

Julie Héraclès retrace le parcours de Simone Touseau, la « tondue de Chartres » pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette jeune femme a été prise en photo dans un cliché célèbre de Robert Capa, en août 1944, alors qu’elle tenait son enfant dans ses bras au milieu de la foule. Une foule en colère et qui l’invective pour avoir couché avec un allemand. De nombreuses femmes ont été tondu pour avoir collaboré avec l’Allemagne nazie d’une manière ou d’une autre, pas uniquement à travers des relations sexuelles. Mais cette photo est devenue iconique. Julie Héraclès réinvente l’histoire de Simone Touseau derrière le cliché. Rebaptisée Simone Grivise dans le roman, on découvre le parcours d’une femme ambigüe. Un parcours en partie fictionnel. Une femme qui souhaite s’émanciper de sa famille, de la précarité, et qui collabore avec l’occupant sans détour. Il se passe un truc ambivalent dans ce roman, à la fois le portrait d’une femme forte qui avance au milieu d’un conflit et en même temps celui d’une femme qui collabore tôt dans la guerre, avec un élan rare.

Vous ne connaissez rien de moi, ed. JC Lattès, 20,90 euros, 384 pages.

Djinns / Seynabou Sonko

Un regard acerbe et bien vu sur le poids des normes.

Penda vit avec sa grand-mère, mami Pirate, dans le 10e arrondissement de Paris. Mami Pirate veille sur elle depuis que son père l’a abandonné et que sa mère est morte. Mami pirate est revenu du Sénégal pour s’occuper d’elle et de sa grande soeur Shango. Elle décroche le téléphone au début du bouquin et apprend par hasard que son voisin Jimmy a été arrêté par la police puis transféré dans un hôpital psychiatrique pour sa schizophrénie. Elle décide d’apprendre les talents de guérisseuse de Mami Pirate pour aider Jimmy. Des talents pour lesquels elle a une prédisposition lorsqu’elle croise son djinn, un peu comme dans une double personnalité. Ce djinn apparaissant dans des attitudes qui déstabilisent Penda mais qui lui permettent en même temps d’apprendre à se connaitre. Tout commence ensuite par sa démission du job dans la supérette dans laquelle elle travaille en bas de chez elle. Elle croise à nouveau ses proches, de Chico un dealer avec qui elle a grandi à Sally une amie à elle dont elle s’est éloignée. La langue de Seynabou Sonko est unique, c’est un mélange d’oralité, d’images marquantes, de puchlines. Elle décrit la marge, le regard stigmatisant notamment sur la maladie mentale. Le tout à travers le regard de Penda sur une situation qui n’a pas prévu de s’améliorer pour elle. Un roman à l’écriture travaillée, hâte de lire le prochain roman de cette autrice.

Djinns, ed. Grasset, 18,50 euros, 180 pages.

La colère et l’envie / Alice Renard

Un premier roman impressionnant de maîtrise. Un coup de coeur.

Isor est une enfant qui nait en décalage avec les autres bébés. Ses parents commencent à se poser des questions lorsque toute petite elle ne réagit pas aux interactions. On découvre alors une enfant qui chamboule la cellule familiale dans laquelle elle arrive. On guette la moindre de ses réactions verbales, on imagine ses ressentis. Après un long parcours médical, les parents finissent par s’occuper seuls de leur enfant. Ils s’éloignent de leur proche, peu de monde comprend, peu de monde a la patience et pourtant chacun y va de son petit conseil pour « aider » dans l’éducation d’Isor. Ce qui ajoute une charge supplémentaire aux parents. Alice Renard écrit un très beau roman sur une enfant en décalage avec le monde qui l’entoure et qui va faire une rencontre, une rencontre singulière et inattendue avec son voisin. Un vieil homme à l’humeur triste qui voit l’arrivée d’Isor avec étonnement dans un premier temps puis ravissement par la suite. L’autrice écrit une très belle histoire sur une enfant en marge, une enfant incomprise notamment par ses parents. Une belle découverte touchante et à l’atmosphère unique.

La colère et l’envie, ed. Héloïse d’Ormesson, 18 euros, 160 pages.

Bien sûr que les poissons ont froid / Fanny Ruwet

Un premier roman qui oscille entre des réflexions sur notre condition et un humour noir bien senti.

La narratrice de cette histoire décide de partir à la recherche du garçon avec qui elle a entretenu une relation à distance sur MSN lorsqu’elle avait 15 ans. Un moment de sa vie qu’elle a toujours gardé en tête depuis le jour où ce mystérieux interlocuteur a disparu sans donner de raisons. Dix ans plus tard elle décide de chercher à le retrouver. Dans ce premier roman à mi chemin entre fiction et autobiographie, on retrouve le ton unique de l’humoriste mais aussi un juste dosage avec des passages qui touchent lorsque l’on découvre les névroses ou la vie de l’autrice. C’est toujours bien vu, Fanny Ruwet est une observatrice redoutable de nos petites habitudes, de notre condition. Ça donne à la fin un roman qui sort de l’ordinaire et qui touche. Un réel plaisir de lecture qui sort du lot.

Bien sûr que les poissons ont froid, ed. L’iconoclaste, 19 euros, 266 pages.

La Sainte Touche / Djamel Cherigui

Les tribulations d’un duo pas comme les autres.

Le narrateur de cette histoire se retrouve à la rue au début du récit. Son père le met dehors après une embrouille et il tente de trouver un appartement pour se loger. C’est là qu’il tombe sur Alain Basile, le gérant d’une épicerie qui loue des chambres dans le même immeuble. Il se trouve donc une piaule au dessus de cette épicerie, « La belle saison ». Et sans s’en rendre compte, il met les pieds dans un engrenage car Alain Basile est en réalité un vrai truand. Et là le bouquin peut décoller. Le ton du narrateur plein de dérision et d’humour ne gâche rien. Djamel Cherigui écrit un roman bien amené aux chapitres courts. On se régale à suivre les galères du narrateur et la sauce prend vite. Je suis très curieux de découvrir son second roman, « Le balato ».

La Sainte Touche, ed. JC Lattes, coll. La Grenade, 19 euros, 256 pages.

La vallée des Lazhars / Soufiane Khaloua

L’immersion dans une vallée dans laquelle deux familles entretiennent une rivalité ancestrale.

Deux familles, les Ayami et les Hokbani habitent dans une vallée non loin de la frontière marocaine, la vallée des Lazhars. Une vallée qui a vu passer plusieurs générations et qui s’apprête à voir arriver les petits derniers notamment Amir Ayami. Un jeune homme né en France qui rentre avec son père voir sa famille et son cousin Haroun pour passer l’été. Et le temps d’un été il va redécouvrir comment ses proches ont grandi, comment les relations ont évolué au fil des années et surtout Amir va découvrir l’histoire de sa famille car son père ne lui a jamais raconté. Soufiane Khaloua écrit un très beau roman sur le temps qui passe et les générations qui se suivent. Amir débarque avec ses idéaux mais aussi avec ses à priori qu’il va apprendre à remettre en question le temps d’un été. Ce livre c’est aussi l’histoire d’une jeunesse qui se cherche à travers le poids des traditions et qui souhaite s’en émanciper. On est emportés par ces rivalités entre les deux clans et dans ces relations complexes qui se sont tissées au fil des décennies et qu’Amir découvre à son arrivée dans la vallée. L’auteur questionne ce qu’est l’identité et ses contours parfois flous. Durant cet été dans lequel Amir arrive, les deux familles vont aussi rencontrer plusieurs bouleversements et certains secrets vont ressurgir. « La Vallée des Lazhars » est un premier roman prometteur avec une plume sensible. Un roman qui démontre encore une fois tout le talent de la maison Agullo pour dénicher des textes singuliers et marquants. Un peu comme « Le livre de l’Una », une autre parution récente de cette maison d’édition.

La vallée des Lazhars, ed. Agullo, 21,50 euros, 278 pages.

Le soir du chien / Marie-Hélène Lafon

L’histoire d’une rencontre dans un petit village du Cantal, avec tout ce que cela va engendrer.

Je découvre Marie-Hélène Lafon avec ce court roman et c’est une très belle découverte. L’autrice avec une plume sensible, dépeint le quotidien de Marlène une jeune femme qui vit dans le Cantal. Cette histoire c’est aussi celle de Laurent, menuisier, qui vit avec elle dans leur petite maison. Les choses vont petit à petit se mettent en place autour du duo qui profite de cette maison reculée. On découvre leurs proches, leurs façons d’appréhender le monde. Jusqu’à un soir et jusqu’à un accident, celui qui va venir chambouler leur belle routine. Ce roman est raconté à travers les sentiments de chaque personnage, à travers plusieurs voix. Marie-Hélène Lafon choisit chacun de ses mots et les phrases simples sonnent juste tout comme le rythme qui émerge du récit. « Le soir du chien » est un livre qui prend le temps de décrire les paysages du Cantal, qui prend le temps de poser une atmosphère.

Le soir du chien, ed. Points, 6,20 euros, 160 pages.

Deux secondes d’air qui brûle / Diaty Diallo

Une bande de potes fait face à un drame.

Lecture coup de poing ce roman de Diaty Diallo. Un premier roman qui aborde la question des violences policières mais aussi les répercutions sur le quartier, les vies de chacun, les quotidiens qui basculent. « Deux secondes d’air qui brûle » campe une atmosphère pleine de sons et d’amitiés. On y croise les paroles de SCH, des X-Men ou encore de PNL. On y croise un groupe de potes qui connaît les rouages aussi bien du quartier que les réactions prévisibles de la police. Il y a vraiment une forme de débrouille mise en évidence par l’autrice qui marque le lecteur. La violence et le stigmate que subissent ces jeunes quotidiennement sont loin d’être les seuls propos. Diaty Diallo s’arrête sur ce qui fait le quotidien des quartiers. Les motos à réparer, les barbecues montés, la solidarité. C’est tout un environnement qui se déploie sous la très belle plume de cette autrice, des parkings à une dalle de béton en passant par les toits des tours.

Deux secondes d’air qui brûle, ed. Seuil, 17,50 euros, 176 pages.

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