Quarante jours après ma mort / Samira El Ayachi

Le narrateur vient de mourir et il s’apprête à raconter comment ses proches vont vivre les quarante jours à venir.

Un homme meurt dans une famille marocaine et le corps de cet homme va être rapatrié au pays pour y être enterré. Il va se passer quarante jours avant que la mise en terre ait lieu et pendant ces quarante jours, c’est tous les souvenirs familiaux qui vont ressurgir à travers la voix du mort lui-même, qui se mue en narrateur le temps du roman. Un narrateur pas comme les autres qui voit défiler les conséquences de sa mort sur ses proches et qui ne peut que relater les évènements sans pouvoir agir. Pour autant, il n’oublie pas le cynisme dont il est doté et n’hésite pas à en faire usage lorsqu’il raconte. Samira El Ayachi écrit un roman qui mélange avec subtilité l’humour noir et la chronique d’une famille qui vole en éclat. La mort de cet homme fait apparaitre les non-dits et occasionne des scènes marquantes. La plume de la romancière y est pour beaucoup, une écriture que j’avais déjà beaucoup appréciée avec « Le ventre des hommes » et « Les femmes sont occupées ». « Quarante jours après ma mort » est un livre à part, à découvrir sans hésiter. Un roman qui touche le lecteur, à la fois dans la justesse de ses propos et dans la construction de ses personnages.

extrait : « Comme tout le monde, j’avais déjà songé au jour de ma mort. Je me figurais celle-ci comme un grand moment de théâtre, et, en même temps, un grand moment de vérité. Des embrassades. Des gestes de réconfort. Des fleurs. Des voitures noires. De la musique classique. Des chapeaux sombres. Des souliers cirés. Des pas feutrés. Des bougies parfumées. Des doigts qui caressent le marbre et le bois. Mais à l’heure des séries américaines (qui ne montrent plus des funérailles mais des cadavres soumis aux lois biologiques de la décomposition), je ne pensais plus qu’à une chose : mon corps. Mon regretté corps. »

Quarante jours après ma mort, ed. de L’aube, 11 euros, 200 pages.

Et au pire, on se mariera

Un roman nerveux et singulier, sur une adolescente qui tente de composer avec ses premiers sentiments.

Aïcha du haut de ses treize ans n’a pas un quotidien commun dans les rues de Montréal. Elle ne supporte plus sa mère et a des copines prostituées pour discuter de ses blessures. Dans un long monologue sans filtre, elle se confie à une personne inconnue dès le début du roman. Elle se raconte à la première personne, elle raconte ses sentiments pour un homme qui a le double de son âge. Mais elle raconte aussi son rapport complexe aux hommes qu’elle croise dans sa vie notamment son beau-père. On distingue des sentiments ambivalents qu’elle tente de maitriser, mais qui ont tendance à la submerger. Avec une lucidité désarmante, ce jeune personnage décode les comportements des adultes et dans un exercice loin d’être évident et qui pourrait facilement tomber dans le cliché, Sophie Bienvenu donne une voix réaliste à une adolescente qui se cherche. Ce court roman a une force rare, il fait réfléchir sur les premiers émois adolescents, sur la construction identitaire ou sur la gestion de ses émotions. On est complètement pris par la parole d’Aïcha qui rebondit d’une anecdote à une autre, qui envoie des punchlines. Je découvre l’écriture de Sophie Bienvenu avec ce livre qui sort de l’ordinaire et qui peut faire penser à des livres où la parole d’un ado ou d’un enfant est travaillée. Un peu comme dans « La colère et l’envie » par exemple d’Alice Renard. « Et au pire, on se mariera » donne un texte marquant.

Et au pire, on se mariera, ed. Noir sur Blanc, 13 euros, 128 pages.

La prochaine que tu mordras la poussière / Panayotis Pascot

Le récit de soi et d’une relation au père.

En revenant sur son parcours et sur sa relation à son père, Panayotis Pascot écrit un récit autobiographique dans lequel chaque mot est pesé. L’auteur est un fin observateur de nos comportements et ça se sent. Que ce soit lorsqu’il revient sur son enfance ou sur ses premières découvertes de la sexualité, Panayotis Pascot se livre sans détour en choisissant l’image juste, en mettant en évidence le ressenti qu’il a perçu à ce moment-là de sa vie. Il est aussi question de nos contradictions, à commencer par les siennes. Ce récit plein de lucidité touche le lecteur, notamment cette relation à son père qui évolue, mais qui est loin d’être simple. Passer à l’écriture, poser des mots sur ses sentiments, il a très tôt procédé de la sorte et cela fonctionne très bien dans « La prochaine fois que tu mordras la poussière ». Après avoir travaillé pour la télé puis après avoir tourné avec son spectacle, l’humoriste prend le temps de s’arrêter sur sa vie, sur ses épreuves. Le temps de l’écriture a toute son importance. La lecture est fluide et on prend beaucoup de plaisir à suivre les pensées de ce narrateur qui se cherche.

extrait : « Moi aussi j’avais cet équilibre « ça ne sort pas, ça ne rentre pas ». Puis j’ai décidé de me battre contre. J’ai commencé à vouloir faire l’inverse de mon père, à vouloir tout faire sortir. Et j’ai choisi ce métier. Parler de soi, tout le temps, partout. Vider son sac, sur scène, à la télé, dans un bouquin. Ça me fait du bien, ça m’aide à me comprendre, à me sentir, à me constater, comme on constate un accident. On voit là où il y a des dégâts puis on essaie de combler, de repeindre, de réparer. On répare mieux quand c’est dehors, quand c’est visible, concret. »

La prochaine fois que tu mordras la poussière, ed. Stock, 19,50 euros, 240 pages.

La Sainte Touche / Djamel Cherigui

Les tribulations d’un duo pas comme les autres.

Le narrateur de cette histoire se retrouve à la rue au début du récit. Son père le met dehors après une embrouille et il tente de trouver un appartement pour se loger. C’est là qu’il tombe sur Alain Basile, le gérant d’une épicerie qui loue des chambres dans le même immeuble. Il se trouve donc une piaule au dessus de cette épicerie, « La belle saison ». Et sans s’en rendre compte, il met les pieds dans un engrenage car Alain Basile est en réalité un vrai truand. Et là le bouquin peut décoller. Le ton du narrateur plein de dérision et d’humour ne gâche rien. Djamel Cherigui écrit un roman bien amené aux chapitres courts. On se régale à suivre les galères du narrateur et la sauce prend vite. Je suis très curieux de découvrir son second roman, « Le balato ».

La Sainte Touche, ed. JC Lattes, coll. La Grenade, 19 euros, 256 pages.

De femme en femme / Hélène Couturier

Un singulier roman noir sur la violence faite aux femmes et ses origines.

Ilyas à 40 ans, il fait du Krav-Maga et adore danser. Dans ce polar il se raconte à la première personne, que ce soit dans son rapport aux femmes qu’il rencontre ou dans son rapport à sa mère. Il entretient un singulier respect pour les femmes qui l’entoure, avec une idée bien à lui de ce respect. Un soir, il fait la rencontre d’une flic et les évènements vont se précipiter à partir de là. Le lecteur découvre progressivement la personnalité de cet homme et la tension augmente crescendo. On est dans la tête d’un personnage torturé, qui insinue petit à petit une forme de malaise chez le lecteur. On découvre aussi des portraits de femmes sous la plume d’Hélène Couturier et à travers les yeux d’Ilyas. « De femme en femme » laisse sonner le lecteur une fois la dernière page tournée. Un sacré roman noir dans lequel on a le sentiment qu’une violence sourde n’est jamais bien loin.

De femme en femme, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 20 euros, 280 pages.

Le Roman de Jim / Pierric Bailly

Un roman sensible sur la paternité et les enfants de divorcés.

Aymeric a 25 ans et sort de prison au début de ce roman. Il vaque à droite à gauche, de mission d’intérim en mission d’intérim et il a des difficultés à se remettre d’une rupture qui date un peu maintenant. Ce personnage qui est le narrateur du bouquin va rencontrer une femme, Florence, âgée de 15 ans de plus que lui. Florence attend un enfant lorsqu’Aymeric le rencontre et comme tout se passe bien entre eux, il va naturellement assister à la naissance avant de voir grandir le petit Jim. Au début il a du mal à composer avec cette singulière paternité car il n’est pas le père biologique mais en même temps il commence à s’attacher à Jim. Jusqu’au jour où le père biologique revient dans la danse. Aymeric et Florence vont tenter de former un nouveau ménage, une nouvelle famille tant bien que mal mais quelque chose déconne. Et cela ne va pas être aussi simple. Pierric Bailly aborde dans « Le roman de Jim » la paternité, la situation à part des enfants de divorcés qui ont deux pères notamment. L’auteur aborde cette complexité dans les relations, dans les non-dits ou dans les effets sur l’enfant. Ce roman touche en plein cœur et restitue très bien les sentiments des personnages. On sourit, on a la gorge serrée, on passe un peu par tous les états en suivant le narrateur et son récit. Un gros coup de cœur.

Le roman de Jim, Ed. P.O.L, 19 euros, 256 pages.

Le soir du chien / Marie-Hélène Lafon

L’histoire d’une rencontre dans un petit village du Cantal, avec tout ce que cela va engendrer.

Je découvre Marie-Hélène Lafon avec ce court roman et c’est une très belle découverte. L’autrice avec une plume sensible, dépeint le quotidien de Marlène une jeune femme qui vit dans le Cantal. Cette histoire c’est aussi celle de Laurent, menuisier, qui vit avec elle dans leur petite maison. Les choses vont petit à petit se mettent en place autour du duo qui profite de cette maison reculée. On découvre leurs proches, leurs façons d’appréhender le monde. Jusqu’à un soir et jusqu’à un accident, celui qui va venir chambouler leur belle routine. Ce roman est raconté à travers les sentiments de chaque personnage, à travers plusieurs voix. Marie-Hélène Lafon choisit chacun de ses mots et les phrases simples sonnent juste tout comme le rythme qui émerge du récit. « Le soir du chien » est un livre qui prend le temps de décrire les paysages du Cantal, qui prend le temps de poser une atmosphère.

Le soir du chien, ed. Points, 6,20 euros, 160 pages.

Paris-Brest / Tanguy Viel

Une lutte des classes au sein même d’une famille.

On entre dans l’intimité d’une famille dans ce roman de Tanguy Viel. Un roman étonnant qui tend vers le roman noir, dans lequel une famille se délite et où l’un des deux fils est le narrateur de l’histoire. C’est bien amené lorsque l’auteur aborde les relations entre parents et enfants. Tout commence à Brest lorsqu’un vieux bonhomme décide de léguer à la grand-mère du narrateur toute sa fortune après sa mort. 18 millions. Rien que ça. Le lecteur n’a plus qu’à découvrir ensuite les non-dits et autres secrets qui vont découler de cet évènement. Chacun se jauge et cherche à savoir ce que l’autre pense. Les personnages sont réussis à commencer par le narrateur qui décide de coucher tout cela sur papier pour y voir plus clair. On se retrouve alors avec une histoire dans l’histoire. Tanguy Viel écrit avec Paris-Brest un roman prenant et malin.

Paris-Brest, ed. de Minuit, 14,20 euros, 192 pages.

Appartement 816 / Olivier Bordaçarre

Un roman étouffant, sombre, où l’isolement et ses effets sont omniprésents.

Un homme de 41 ans vit avec sa femme et son fils au neuvième étage d’un appartement. Jusqu’à là rien de bien surprenant. Sauf que la société dans laquelle ils vivent traverse plusieurs vagues de virus et que le confinement chez soi est de mise depuis maintenant trois années. La France confine ses citoyens sur de plus ou moins longues périodes. Des règles précises sont édictées et elles réduisent les libertés de manière significatives en régissant le quotidien. Autant vous le dire tout de suite, cela va plus loin que ce que l’on est train de traverser en termes de restrictions. Du drone qui passe devant les fenêtres pour voir si les horaires d’aération sont respectés à la tenue intégrale nécessaire pour récupérer les livraisons de denrées de première nécessité devant chez soi en passant par les peines lourdes en cas de non-respect des règles, la sensation d’enfermement n’est pas loin pour le lecteur. Alors cet homme écrit. Didier Martin écrit sur son quotidien morose comme un exutoire, comme un baume. Ce qu’il pense du confinement qu’il traverse, ce qu’il pense des gens qui ne respectent pas les mesures et qui s’y opposent. Il parle aussi de sa famille, d’une vie qu’il prend le temps d’analyser, car il a ce temps, un temps nouveau.

C’est à partir de là que le lecteur découvre une personnalité singulière, voire plutôt inquiétante. Le narrateur n’écrit pas ce quotidien dans des carnets, mais utilise les surfaces qui l’entourent dans l’appartement. Voilà une première découverte étrange et il va y en avoir d’autres. Olivier Bordaçarre décrit ce vase clos qu’est l’appartement 816 et l’auteur injecte le malaise petit à petit dans ce récit pas comme les autres. Il pose sa focale sur la folie des hommes et son narrateur devient antipathique au fil des pages, flippant. D’un pragmatisme à toutes épreuves, on se demande où ses réflexions vont le mener. La suite n’est pas réjouissante et va nous faire réfléchir sur les conséquences inattendues d’un enfermement généralisé, notamment les conséquences psychologiques.

Appartement 816 est un roman très noir, qui montre à sa façon les aberrations d’une société qui lutte et où parfois le non-sens est roi.

Appartement 816, ed. L’Atalante, coll. Fusion, 14,90 euros, 160 pages.

Solak / Caroline Hinault

Un huit-clos mené tambour battant et très bien écrit.

Le narrateur Piotr fait partie des quatre personnages de l’histoire et raconte son expédition sur Solak, une presqu’ile sur la banquise plutôt inhospitalière. Il y côtoie Grizzly, un scientifique dans le coin pour faire des relevés, Roq un ancien soldat qui assure la sécurité du territoire et un jeune soldat taiseux et énigmatique, arrivé en dernier sur les lieux. C’est dans cet environnement où le climat est rude et où les corps sont éprouvés, que les quatre protagonistes vont tenter de ne pas sombrer face à la solitude, mais aussi, et surtout face aux passés de chacun d’entre eux. Un passé que l’on devine trouble et suspect au fil des pages. On ne se retrouve pas isolé du monde pendant des mois sans raison. La suite laisse le huis clos s’installer et l’atmosphère est de plus en plus oppressante et bien restituée jusqu’au final, à couper le souffle. Caroline Hinault écrit un roman qui sonne et qui est très bien amené. Sans détour, les phrases claquent et les images nous viennent rapidement. C’est prenant et en même temps dérangeant. Ça faisait un petit moment que je n’avais pas lu un roman noir comme celui-là.

Solak, ed. Le Rouergue, 15 euros, 128 pages.

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