Amour fou / Denis Michelis

Du suspense et de l’humour noir dans ce roman choral à la construction diabolique.

Barnabé est un jeune adulte érotomane qui a bien du mal à gérer ses émotions, et qui a déjà fait un séjour en hôpital psychiatrique suite a des débordements passés. Il y a quatre ans, il a été le suspect numéro un d’un premier meurtre, une femme retrouvée morte noyée non loin du belvédère de la ville côtière. Il a finalement été acquitté faute de preuves, et revient chez lui après l’hospitalisation alors qu’un nouveau cadavre est retrouvé, au même endroit. Il n’en faut pas plus pour que la petite bourgade s’agite. « Amour fou » est une « comédie macabre » comme le dit si bien son auteur dans une interview, un roman noir dans lequel on se régale et qui s’inscrit dans la pure tradition des romans à énigme, avec des intrigues complexes et savoureuses. On suit les personnages pour chercher à comprendre qui est le responsable du meurtre. On se doute que les apparences sont trompeuses, mais on apprécie de se laisser porter. C’est toute une petite communauté qui se déploie devant le lecteur, dans cette petite ville touristique de bord de mer. Chaque personnage a son obsession, les points de vue changent, les dialogues fusent. Du policier municipal grand lecteur de polars au jardinier érotomane, du journaliste à la voisine indiscrète, du père psychiatre à la mère envahissante, chacun brouille les pistes à sa manière. Ça m’a donné envie de découvrir les autres romans de l’auteur. J’ai beaucoup aimé le ton et le rythme de ce bouquin.

Amour fou, ed. Noir sur Blanc, 23 euros, 416 pages.

La colère et l’envie / Alice Renard

Un premier roman impressionnant de maîtrise. Un coup de coeur.

Isor est une enfant qui nait en décalage avec les autres bébés. Ses parents commencent à se poser des questions lorsque toute petite elle ne réagit pas aux interactions. On découvre alors une enfant qui chamboule la cellule familiale dans laquelle elle arrive. On guette la moindre de ses réactions verbales, on imagine ses ressentis. Après un long parcours médical, les parents finissent par s’occuper seuls de leur enfant. Ils s’éloignent de leur proche, peu de monde comprend, peu de monde a la patience et pourtant chacun y va de son petit conseil pour « aider » dans l’éducation d’Isor. Ce qui ajoute une charge supplémentaire aux parents. Alice Renard écrit un très beau roman sur une enfant en décalage avec le monde qui l’entoure et qui va faire une rencontre, une rencontre singulière et inattendue avec son voisin. Un vieil homme à l’humeur triste qui voit l’arrivée d’Isor avec étonnement dans un premier temps puis ravissement par la suite. L’autrice écrit une très belle histoire sur une enfant en marge, une enfant incomprise notamment par ses parents. Une belle découverte touchante et à l’atmosphère unique.

La colère et l’envie, ed. Héloïse d’Ormesson, 18 euros, 160 pages.

L’anguille / Valentine Goby

Un court roman jeunesse touchant sur la différence.

Camille d’un côté et Halis de l’autre. Camille vient d’arriver dans le collège et a la particularité d’être née sans bras. Les gens étaient habitués là où elle vivait, mais dans ce nouveau collège le regard des autres élèves devient difficile à supporter. La jeune fille ne vit pas bien son déménagement. Halis, un petit gars de 13 ans d’origine turque, voit l’arrivée de Camille dans sa classe comme une opportunité pour lui de se mettre en retrait. Il est d’habitude la cible des critiques des autres dans la classe en raison de son surpoids. Valentine Goby écrit avec « L’anguille » un roman sur l’adolescence et notamment les questions autour du harcèlement scolaire. Elle restitue très bien l’âpreté des relations entre les collégiens, qui ne se laissent rien passer entre eux. On suit ces deux personnages attachants qui vont être capables de se réinventer pour passer outre les moqueries. Un court roman accessible qui touche, et toujours avec la plume remarquable de l’autrice.

L’anguille, ed. Thierry Magnier, 11,50 euros, 143 pages.

Un colosse / Pascal Dessaint

L’histoire d’un homme à la stature hors normes au 19 eme siècle.

L’auteur s’éloigne de ses romans noirs habituels dans « Le colosse ». Il se penche sur le cas d’un homme au 19eme siècle, Jean-Paul Mazias. Ce dernier est né en 1847 dans le sud-ouest de la France. Il est issu d’un milieu paysan et à une taille et une stature hors normes. Il va en faire les frais toute sa vie et Pascal Dessaint qui a fouillé les archives de Haute-Garonne déterre un ensemble d’anecdotes qui vont former ce singulier bouquin. L’auteur restitue la vie d’un paysan dans un contexte politique que l’on redécouvre. Un voyage dans le temps qui se rapproche tout de même des thèmes que l’auteur affectionne, notamment la paysannerie et les rapports à la nature. On découvre un homme que l’on a défini neuf fois sur dix en fonction de sa singularité. Un homme qui a connu une ascension surprenante notamment dans le milieu de la lutte. Jean-Paul Mazias va malheureusement connaître l’ascenseur dans l’autre sens et sa vie va finir par se compliquer. Pascal Dessaint écrit un roman à la frontière entre fiction et documentaire. On découvre une période de l’histoire de France à travers sa ruralité. On découvre comment les singularités physiques étaient vécues à cette époque. Un livre original et bien ficelé.

Un colosse, ed. Rivages, 14 euros, 112 pages.

Jeannette et le crocodile / Séverine Chevalier

Un roman noir émouvant et très bien écrit.

Pascal vit avec sa sœur Blandine dans une maison reculée, non loin d’un petit ruisseau. Jeannette la fille de Blandine vit aussi avec eux, du haut de ses dix ans au début du roman. Le lecteur va la voir grandir au fil de l’histoire. Elle grandit avec un monde d’adulte qu’elle a parfois du mal à comprendre. Jeannette au début de ce récit s’apprête à se rendre au zoo de Vannes pour aller observer un crocodile qui a été récupéré dans les égouts près du Pont-Neuf. La jeune fille admire l’animal qu’elle attend de croiser depuis ses six ans. Malheureusement les vies amochées des adultes et de son entourage télescopent ce rêve d’enfant et les choses vont être plus compliqué que prévu. Blandine sa mère tente de se dépêtrer de son addiction à l’alcool tandis que Pascal son oncle tente de faire avec ses différences qui le marginalisent aux yeux des autres. Séverine Chevalier saisie des instants de vie dans ce récit plein d’humanité et on est touchés par ces personnages. « Jeannette et le crocodile » c’est l’histoire d’une enfant qui fait face à la dureté du quotidien et à la violence des adultes. Un très beau bouquin, poignant.

Jeannette et le crocodile, ed. La manufacture de livres, 16,90 euros, 176 pages.

S’adapter / Clara Dupont-Monod

Cévennes. Dans les montagnes. Une fratrie recompose avec l’arrivée d’un enfant ayant plusieurs handicaps.

Un enfant nait avec des handicaps et bouleverse la famille dans laquelle il arrive. Plus particulièrement l’ainé et la cadette qui ne vont pas réagir de la même façon devant les différences de leur tout jeune frère. Dans un roman plein de petites observations et très juste dans le ressenti des personnages, Clara Dupont-Monod adopte le point de vue des proches en commençant par l’ainé. Puis la cadette. Les réactions n’ont rien à voir et on découvre la fratrie de l’intérieur. Leurs pensées et leurs non-dits. L’environnement joue beaucoup dans l’atmosphère que campe l’autrice. Les Cévennes et la nature où grandissent les enfants font partie intégrante du récit. Un très beau roman qui mérite amplement les échos qu’il a eus je trouve.

Extrait : « Alors, forcément, la montagne apparaissait comme une masse dénuée de morale, accueillante comme le sont les animaux. Il y avait là l’étymologie du refuge, fugere c’était s’enfuir. La montagne permettait le recul, un pas en arrière du monde. »

S’adapter, ed. Stock, 18,50 euros, 200 pages.

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