Mungo / Douglas Stuart

Un roman marquant sur une relation impossible entre deux adolescents à Glasgow, dans les années 90.

J’ai redécouvert ce livre de Douglas Stuart suite à un retour de lecture sur Instagram et une fois démarré j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher. Mungo est un jeune homme qui grandit dans la banlieue de Glasgow avec sa mère alcoolique et rarement là, et sa soeur et son frère. Son grand frère étant une fois sur deux violents avec lui, une brute qui érige des valeurs machistes avant tout le reste. Le personnage vit une adolescence compliquée du haut de ses seize ans, une adolescence marquée par la précarité et par les conflits qui gangrènent la ville. Mungo va tenter de grandir avec en fond ces rivalités entre les protestants et les catholiques. Les altercations entre bandes sont nombreuses et il n’est pas rare que des jeunes perdent la vie dans cette rivalité religieuse. Le jeune homme fait une rencontre qui va chambouler son quotidien et qui va faire naitre de nouveaux sentiments pour lui. « Mungo » est un roman qui touche comme rarement et qui à travers une langue âpre restitue la condition d’un jeune homme en décalage par rapport aux autres jeunes de son âge. Un personnage qui découvre son homosexualité et qui se rend compte rapidement qu’il risque gros à la dévoiler, que ce soit dans son entourage proche ou plus largement dans la banlieue dans laquelle il habite. Mungo finira par être envoyé par sa mère dans un voyage avec deux repentis, deux hommes censés lui apprendre les valeurs qui forgent un soi-disant vrai homme, viril. C’est rare les livres qui m’embarquent comme ça et qui marquent. Plus d’une scène et plus d’un dialogue font cet effet-là dans ce roman terrible de Douglas Stuart. Une histoire qui alterne entre les moments très difficiles et des passages plus lumineux. Difficile d’en dire plus tant on ressort sonnée de cette lecture et en même temps, en ayant le sentiment d’avoir lu un sacré bouquin. À lire, vraiment.

Mungo, ed. Globe, 24 euros, 480 pages.

Le sang des innocents / S. A. Cosby

Une découverte, une claque.

Ancien agent du FBI pendant dix ans, Titus Crown est devenu shérif de Charon County au sud des États-Unis en Virginie. Un lieu où il a grandi et dans lequel il revient en tant que représentant de la loi. Il en profite pour se rapprocher de son père avec qui il a une relation forte, notamment depuis la mort de sa mère des suites d’un cancer. On ressent cette relation forte et touchante entre les deux dès les premiers passages et on sent que l’auteur a travaillé ses personnages. Les deux hommes sont marqués par la perte d’un membre de leur famille, tout comme le frère de Titus avec qui il reprend aussi contact depuis qu’il est de retour dans le coin. La population locale pour une grande partie d’entre elles ne voit pas d’un bon œil l’arrivée d’un policier noir à la tête de Charon County et le coup de poker qui lui a permis d’être élu n’a pas fait que rendre service à Titus. Au début du roman, un jeune homme déraille dans un lycée et tue un enseignant avant de sortir de l’établissement devant les forces de l’ordre. Titus est appelé pour se rendre sur les lieux au plus vite. C’est le début d’une longue et laborieuse enquête pour son service. Une enquête teintée d’un racisme crasse, avec en toile de fond une Amérique ségrégationniste violente. Je découvre S.A Cosby et pfiou c’est clairement une superbe découverte. Il y a tout dans ce roman noir. Des dialogues d’enfer, des passages plus dramatiques qui touchent sans tomber dans le pathos et une tension qui ne fait qu’augmenter. Difficile de pointer avec précision ce qui fait la différence entre un bon roman noir et un excellent, mais celui-ci fait clairement parti de la seconde catégorie. Très fort.

Le sang des innocents, ed. Sonatine, 23 euros, 400 pages.

La dernière place / Négar Djavadi

La radiographie d’un pays à travers un évènement impliquant la famille de la romancière.

Tout démarre avec le vol 752 qui décolle de Téhéran le 8 janvier 2020 et qui se crash peu de temps après avec 176 passagers à son bord. Un vol qui devait relier Téhéran à Kiev et dans lequel Niloufar Sadr la cousine de la romancière se trouvait. Le crash a lieu dans un contexte où les tensions sont exacerbées entre les États-Unis et l’Iran. L’autrice questionne tout au long de ce livre les raisons d’un tel crash en creusant au delà la communication politique de l’époque. Elle retrace le parcours de sa cousine qui devait se rendre à Toronto après son vol jusqu’à Kiev pour rentrer chez elle. A mi chemin entre le récit d’une famille qui évolue dans l’Iran d’aujourd’hui et une enquête fouillée sur le crash de cet avion, Négar Djavadi écrit avec « La dernière place » un témoignage fort qui résonne avec les évènements qui vont suivre en Iran, notamment le mouvement révolutionnaire qui s’est emparé du pays à l’automne 2022. A partir d’une tragédie impliquant sa famille, l’autrice finit par élargir sa focale en travaillant un point de vue plein de lucidité sur la situation politique dans son pays. Comme elle le dit très bien dans une interview cette histoire n’est pas uniquement celle de la chute d’un avion mais aussi celle des mensonges d’un régime.

La dernière place, ed. Stock, 20,50 euros, 320 pages.

Last exit to Marseille / Guillaume Chérel

L’arrivée mouvementée sur Marseille d’un ancien journaliste, qui découvre la ville à travers un dialogue fictif avec le grand Izzo.

Jérôme Beauregard est arrivé depuis peu sur Marseille. Ancien journaliste qui s’est reconverti en « détective public » comme il aime le dire, il emménage non loin de la porte d’Aix et taîne ses guettres dans une ville qu’il apprend à connaître. Et quoi de mieux que d’imaginer un dialogue fictif avec un pur auteur marseillais, Jean-Claude Izzo, pour la découvrir justement cette ville. Au début du roman le personnage assiste impuissant à la mort d’un pote à lui, Luc, victime d’une overdose. Le décès agit comme un électro choc pour le personnage qui se lance alors dans sa propre enquête pour comprendre d’où vient le produit à l’origine de l’overdose. La narration alterne habilement entre les dialogues fictifs entre Jérôme Beauregard et Izzo. Dialogues qui permettent de discuter de la ville, de ses évolutions et de son atmosphère. Un vrai plaisir du début à la fin. L’autre partie de la narration est plus portée sur l’enquête de Jérôme Beauregard qui tente tant bien que mal de remonter les filières des différentes drogues qu’il découvre. « Last exit to Marseille » mélange les genres, du roman noir au récit plus documentaire et permet de découvrir différentes facettes de la cité phocéenne sous un nouveau jour. On apprécie au passage la prose rythmée et sans détour de Guillaume Chérel.

Last exit to Marseille, Ed. Gaussen, 19 euros, 272 pages.

Voyage au bout de l’enfance / Rachid Benzine

La vie d’un enfant bascule lorsque ses parents quittent la France pour la Syrie.

Un jeune enfant dans une école de Sarcelles est passionné de poésie. Un jour, il est amené à présenter ses poèmes à sa classe et il n’a qu’une hâte, partager ses écrits. Il n’aura jamais l’occasion de les présenter car ses parents décident de partir la veille rejoindre Raqqa en Syrie et l’Etat Islamique. Ils emmènent leur fils avec eux et Fabien qui n’a rien vu venir ne comprend plus rien. Du jour au lendemain sa vie change et une fois la colère passée, l’incompréhension le frappe de plein fouet. Il va vivre à sa hauteur ce que représente le fait d’être un enfant dans l’Etat Islamique. Rachid Benzine restitue ce regard dans ce court roman poignant. L’auteur s’efface derrière son personnage, un personnage témoin des désillusions de ses parents. Fabien découvre l’horreur et va tenter de surnager, notamment à travers sa passion pour la poésie.

Voyage au bout de l’enfance, ed. du Seuil, 13 euros, 84 pages.

Le Carré des indigents / Hugues Pagan

Premier Pagan et première claque. Un polar à l’atmosphère unique.

Le lieutenant Schneider est muté dans une ville qu’il a connu par le passé. Nous sommes dans les années 70. Il vient de Paris et a déjà fait ses preuves. Flic taciturne et mélancolique, il n’est pas là pour s’entendre avec ses collègues ni pour faire traîner les affaires sur lesquelles il travaille. Le lecteur découvre rapidement qu’il a un passé plutôt sombre avec son lot de casseroles. Dans le nouvel environnement dans lequel il travaille, le cadavre d’une adolescente est retrouvée au début du roman. Schneider qui fait partie de la criminelle est mis sur cette affaire, une affaire qui va virer à certains moments à l’obsession. « Le carré des indigents » est un sacré roman noir très bien écrit. On sent que l’auteur connaît son sujet, même si l’enquête n’est pas des plus originales tout le reste fait de ce polar un roman à part. Hugues Pagan a beaucoup de talents pour faire naître des images et des atmosphères chez le lecteur. On retrouve toute une brochette de personnages, du flic raciste en passant par le chef qui hurle tout le temps mais que personne n’écoute. C’est un régal du début à la fin, du polar de haute volée. L’auteur en profite pour adopter un regard plein de lucidité et de réalisme sur l’institution policière. La police sert les puissants et ne va pas une seule seconde dans le sens des marginaux. Le lieutenant Schneider est le premier à ressentir de la colère lorsqu’il voit les traitements différents selon le statut de la victime. Ce personnage de flic pourrait paraître distant de part son caractère mais il n’en est rien, on sent un personnage complexe derrière les apparences et on a qu’une seule envie c’est de le suivre dans les méandres de ses pensées torturées. Je découvre l’œuvre d’Hugues Pagan avec cette lecture et évidemment j’ai très envie de prolonger la découverte avec ses anciens romans.

Le Carré des indigents, ed. Rivages noir, 20,50 euros, 384 pages.

Le jardin du bossu / Franz Bartelt

La découverte de l’univers de Bartelt avec ce roman noir déjanté.

Et voilà ça y est j’ai découvert l’univers de l’incontournable Franz Bartelt avec « Le jardin du bossu ». Je m’attendais à du roman noir avec un humour bien noir aussi et j’ai été servi. Un homme boit des coups dans un bar et il réfléchit à la manière dont il va s’y prendre pour ramener des ronds chez lui. Sa compagne ne tient pas à le voir rentrer les poches vides. Une occasion se présente lorsqu’un autre des gars du bar, fin saoul, explique à qui veut l’entendre que son tiroir chez lui est rempli d’argent liquide et qu’il n’a pas peur une seule seconde de laisser tout cet argent en évidence chez lui. Il n’en faut pas plus au fauché en question pour élaborer un plan et tenter de mettre la main sur l’argent du type. Une somme rondelette apparemment. Malheureusement son plan va connaître quelques accros plutôt inattendus. On est tout de suite dans la catégorie des polars déjantés, une catégorie plutôt exigeante. C’est pas toujours évident d’allier le sombre et le comique. Et ça fonctionne très bien dans « Le jardin du bossu ». On pourrait penser que la langue de Franz Bartlet en fait parfois des caisses, mais en fait non. Le tout se tient très bien et on dévore cette histoire de voleur amateur.

Le jardin du bossu, Ed. Folio, 8,70 euros, 235 pages.

L’espion qui aimait les livres / John Le Carré

Une première avec le maître du roman d’espionnage.

Pour une première incursion dans l’univers du maître de l’espionnage, c’est plutôt réussi. J’ai bien accroché avec ce roman noir qui se lit tout seul et avec des personnages comme on aime, ambivalents et en même temps attachants. John le Carré sait y faire et ça se sent tout de suite. L’intrigue est campée très efficacement et on décortique l’enquête progressivement et les non-dits de l’histoire. Un court livre qui peut se lire à plusieurs niveaux et que ne dépolitise pas un seul instant son propos. C’est rythmé avec un humour caustique bienvenu. Je n’ai plus qu’à découvrir les anciens romans de le Carré.

L’espion qui aimait les livres, ed. Seuil, 22 euros, 240 pages.

Minuit dans la ville des songes / René Frégni

Un récit autobiographique qui évoque une vie de lecture et en même temps une vie de lutte.

Tout démarre dans sa jeunesse dans le dernier livre de René Frégni, une jeunesse déjà bien mouvementée dans laquelle l’auteur fait les 400 coups. On suit ensuite son parcours accidenté dans la vie, de son opposition au milieu scolaire à la relation délicate qu’il entretient avec l’armée en passant par sa découverte de la littérature dans différents lieux (mais toujours avec une constante admiration). De Giono à Camus en passant par Dostoïevski, l’auteur découvre des auteurs au rythme de ses vagabondages, de ses voyages. L’auteur se livre sans fard. Il dévoile l’impact qu’a pu avoir les livres sur sa vie mais aussi l’importance de l’écriture, qu’on distingue petit à petit. Frégni ne s’est pas rêvé écrivain du jour au lendemain. Il a découvert et appréhender la puissance des mots, de la fiction. Son rapport au réel.

« Minuit dans la ville des songes » est un livre dense qui offre des réflexions sur la vie, sur notre condition. D’une écriture toujours aussi belle et accessible, on y découvre un auteur engagé qui lutte au quotidien face aux absurdités d’un monde qu’il a parfois des difficultés à comprendre. Encore une fois touché par la plume de l’auteur, je me retrouve avec un nouveau coup de coeur.

Minuit dans la ville des songes, ed. Gallimard, 19,50 euros, 256 pages.

La plus secrète mémoire des hommes / Mohamed Mbougar Sarr

2018, un écrivain en herbe met la main sur un manuscrit oublié à Paris et se met en tête de retrouver son auteur.

Un mystérieux manuscrit et son auteur que personne n’a vu depuis bien longtemps sont au centre de ce singulier roman. Un roman qui aborde à la fois une réflexion sur l’écriture et la littérature tout en permettant au lecteur de suivre la quête de Diégane Latyr Faye un écrivain en herbe. La quête d’un mystérieux auteur qui va le faire voyager d’Amsterdam au Sénégal en passant par Buenos Aires. J’ai trouvé très intéressants les passages où Diegane et les personnages qu’il rencontre dans sa quête les amènent à digresser avec un regard aiguisé sur le monde. Les saillis sur l’écriture notamment sont à méditer. Ces regards portent sur les relations humaines (la relation parents/enfant au fil du temps, l’amour dans un couple, l’amitié, le poids des traditions) mais aussi sur l’importance de la littérature dans une vie, qui peut parfois sembler bien futile. J’ai pourtant rencontré quelques difficultés à entrer dans ce roman de Mohamed Mbougar Sarr, qui part à certains moments dans tous les sens. J’avais peut peut être trop d’attente mais je n’ai finalement pas été plus emporté que cela. Pas évident de savoir exactement pourquoi.

La plus secrète mémoire des hommes, ed. Philippe Rey, 22 euros, 448 pages.

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