Mécano / Mattia Filice

La découverte d’un métier et celle des luttes qui vont avec.

Mattia Filice raconte à partir de son expérience l’histoire d’un homme qui contre toute attente va devenir mécano, autrement dit conducteur de train. Un métier que tout le monde à en tête mais en réalité assez méconnu. L’auteur dans une prose libre aux images précises aborde la vie de son narrateur qui se familiarise avec le métier, se confronte au rythme singulier des mécanos, les mouvements de grève et toute la poésie qui se dégage derrière les trajets et la routine de ce métier. On réalise que les gares de triage ne sont pas toutes les mêmes et que certaines sont considérées comme l’enfer, on découvre comment les suicides sont vécus par les mécanos, on découvre aussi des hommes et des femmes qui travaillent dur pour ce métier pas comme les autres, qui demande un long apprentissage et une attention toute particulière au détail. Évidemment on pense à « A la ligne » de Joseph Ponthus, autre bouquin qui aborde avec beaucoup de justesse la condition ouvrière, avec cette façon de restituer l’expérience d’un métier au plus près de ce qu’elle est. Le livre de Ponthus est un livre qui m’a marqué comme rarement alors forcément en retrouvant un peu cette approche, cette façon d’écrire, j’ai beaucoup aimé « Mécano » de Mattia Filice. Il ne faut pas hésiter à découvrir ce genre de livre pour se rendre compte de la portée des mots, de ce qui se cache derrière. Il est aussi question de la SNCF dans ce roman même si l’entreprise n’est jamais nommée. Une entreprise qui légitime tout un système qui broie et qui pressurise les mécanos, dans les horaires, dans les conditions de travail, les tâches se multiplient dans la même journée. Mattia Filice restitue tout cela et laisse à penser au lecteur, et on le remercie d’avoir finalement choisit son métier comme thème de son premier roman après mûre réflexion. Une grande tranche de vie, celle d’un cheminot qui écrit.

extrait : « Il suffit d’un appel pour que des embryons de comités de grève se forment, pour que de simples travailleurs, sans autre mission que d’exécuter, se mettent à réfléchir ensemble, questionnent le monde tel qu’il devrait être.

L’Entreprise est un échantillon de ce qui nous construit tous, des rapports qui n’ont rien de naturel, que nous subissons en tant qu’individus, mais que nous pourrions tout aussi bien renverser collectivement, faire dérailler ou prendre une autre aiguille, comme la première fois où j’ai fait monter la Mamma en cabine. »

Mécano, ed. P.O.L, 22 euros, 368 pages.

Dans l’ombre de Paris / Morgan of Glencoe

La dernière geste, premier chant.

Après avoir fait un tour du côté du blog de « L’ours inculte », j’ai été très curieux de découvrir le début de cette série en littérature jeunesse. « Dans l’ombre de Paris » est un premier tome prometteur qui m’a beaucoup plu et qui donne vraiment envie de poursuivre. Yuri est une jeune princesse japonaise destinée à épouser un grand prince français. Le jeu des alliances et les enjeux de pouvoir mènent à ce mariage arrangé. Elle doit se rendre à Paris pour cette raison et le moins que l’on puisse dire c’est que ça ne l’enchante guère. Sauf que sur son chemin pour retrouver ce prince elle va faire une multitude de rencontre intéressantes qui vont changer la donne. A commencer par un singulier équipage, sur le train qui la transporte jusqu’à Paris. Ensuite elle n’est pas au bout de ses surprises une fois arrivée sur place mais ce serait dommage d’en dire plus. Morgan of Glencoe enchaîne les scènes touchantes et les scènes d’action avec un savant équilibre. L’univers est vraiment bien amené tout comme les contrastes entre les nobles et le petit peuple. On ne s’ennuie pas une seconde et on se laisse embarquer par l’atmosphère et par les personnages aux compétences bien particulières. Un excellent moment de lecture.

Dans l’ombre de Paris, ed. ActuSF, 17,90 euros, 456 pages.

La proie / Deon Meyer

Une nouvelle enquête de Benny Griessel et Vaughn Cupido entre Le Cap et Bordeaux.

Afrique du Sud. Le Cap. Un cadavre est retrouvé le long d’une voie ferrée où un train de luxe passe régulièrement. Ce cadavre est celui d’un ancien des services où travaillent Benny Griessel et Vaughn Cupido. Les deux compères, personnages récurrents chez Deon Meyer, font partie de la brigade des Hawks et s’occupent des affaires criminelles. Ils se retrouvent à enquêter sur ce cas épineux. Est-ce un suicide ? Un assassinat ? En parallèle à cela, un mystérieux personnage tente de se construire un quotidien banal à Bordeaux en France, en faisant table rase du passé. Un passé où il a été un ancien combattant de la branche militaire de l’ANC (l’African National Congress), autrement dit un agent de la lutte armée contre l’Apartheid.

Deux intrigues pour deux histoires qui cheminent de chapitres courts en chapitres courts comme souvent chez Deon Meyer. Les péripéties se déroulent en Afrique du Sud et en France, ce qui rend dynamique le récit. C’est efficace, prenant, avec jusque ce qu’il faut d’action sans être transcendant non plus dans les dialogues et dans les vannes. L’auteur aime toujours autant son pays mais ne peut s’empêcher de porter un regard désabusé, notamment sur sa politique.On sait à quoi s’attendre chez Deon Meyer et pourtant on se laisse porter et on y retourne. La recette est connue, certains clichés sont là et pourtant ça fonctionne. Un bon petit polar.

La proie, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 18 euros, 576 pages.

L’attaque du Calcutta-Darjeeling / Abir Mukherjee

La dangereuse moiteur de l’Inde coloniale.

Nous sommes en 1919 et la Première Guerre mondiale vient de se terminer. Officier dans la police impériale de Calcutta depuis peu, Sam Wyndham est rapidement confronté à sa première enquête lorsqu’un corps est retrouvé dans une ruelle, non loin d’un bordel de la ville. L’ancien de Scotland Yard ne déroge pas à la règle des privés en bout de course et s’inscrit dans la digne lignée des romans hard-boiled où le personnage principal traîne ses démons et tente tant bien que mal de s’en sortir.

Abir Mukherjee réussi à construire un capitaine complexe et ambivalent dans ce premier roman. La Grande Guerre est passée par là et on sent tout de suite qu’elle a laissé des traces chez son personnage. L’Inde est une colonie britannique durant cette période avec tout ce que ça charrie de contexte politique et de racisme envers les habitants de Calcutta. La société civile est très hiérarchisée, une grande partie de la ville vit au rythme des colons. On en apprend sur le contexte de l’époque, sur les luttes internes et pas uniquement sur les luttes liées aux colons. J’ai trouvé ce roman très bien documenté. À noter que certains raccourcis dans les relations intimes des personnages et dans les dialogues sont un peu tirés par les cheveux, voire gênants dans leurs tournures. Pour autant, j’ai pris plaisir à découvrir cet auteur dans cette enquête prenante et bien menée.

L’attaque du Calcutta-Darjeeling, ed. Liana Levi, coll. Policiers, 21 euros, 400 pages.

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