Soleil à coudre / Jean D’Amérique

Un roman porté par une langue magnifique, où une adolescente tente de survivre dans les méandres d’un Bidonville de Port-au-Prince.

« Soleil à coudre » est un magnifique roman, porté par une langue acérée. On avance d’image en image, tous les sens en éveil. Jean d’Amérique restitue l’atmosphère tendue des lieux traversés. Dans la Cité de Dieu, un vaste bidonville de Port-au-Prince, on retrouve la jeune narratrice Tête fêlée. Une jeune fille qui grandit à l’ombre de son père, un grand truand du coin qui finit par se tuer avec un révolver le jour de sa naissance. Sa mère, Fleur d’Orange, tente de survivre dans cet environnement en buvant du whisky et en vendant son corps à des clients puissants. Un des lieutenants de l’Ange du métal, le nouveau chef du quartier, rencontre sa mère Fleur d’Orange et devient le père de substitution de Tête fêlée. Un père violent qui ne laisse rien passer.

Tête fêlée est dans cet entre deux, avec la violence du monde des adultes d’un côté et l’envie de profiter des bonheurs de l’enfance et de l’adolescence de l’autre, notamment au lycée, où elle croise Silence. Une jeune camarade qui va envahir ses pensées, jusqu’à ce que Tête fêlée lui écrive et réécrive sans cesse une lettre. Une lettre qui restituerait ses sentiments, ce qu’elle ressent depuis qu’elle l’a rencontrée. Ce trop plein d’émotions qu’elle peine à maitriser et qui sort par écrit. Comme une forme de soupape.

Jean d’Amérique écrit un roman déchirant, sans pathos, où la violence transpire et où le lecteur est immergé dans ce bidonville d’Haïti. C’est un récit sur les ressources insoupçonnées d’une adolescente réservée et sur la volonté d’une mère qui essaie de s’en sortir. Elles tentent toutes les deux de s’extraire d’une longue nuit haïtienne qui n’en finit pas. Pour chercher la fuite. Loin.

Extrait : « Et tout ce qui subsiste de mon chant intérieur, c’est une flopée de métaphores engluées d’images pâles, un poème-douleur. »

Soleil à coudre, ed. Actes Sud, 15 euros, 144 pages.

Treize jours / Roxane Gay

Récit d’une prise de conscience en forme d’enfer.

Et bim ça y est je l’ai lu, ça faisait longtemps que je tournais autour de ce livre dont on m’avait beaucoup parlé à sa sortie chez Denoel. C’est loin d’être une déception, c’est même plutôt une grosse claque.

Un couple vit sa meilleure vie jusqu’à un enlèvement lors d’un séjour à Haïti. Mireille est enlevée devant son mari Michael et son enfant Christophe alors que la famille se rend à la plage en quittant la propriété de ses parents. C’est le début d’une descente aux enfers, une descente à base de souffrance physique, mais aussi psychologique. Mireille est la fille d’un des personnages les plus riches d’Haïti, un homme froid et manipulateur qui a vu avant toutes choses ses intérêts pour être là où il en est aujourd’hui. Où en est-il ? Au stade de la richesse. Et c’est bien pour ça que sa fille est enlevée, une rançon est attendue. Les ravisseurs sont cruels, mais c’est loin d’être l’unique propos de ce roman.

Cela démarre au quart de tour et Roxane Gay épaissit progressivement son propos au fil des pages et au fil des pensées de Mireille qui alterne entre flash-back sur sa famille et le temps présent là où elle est enfermée. Les propos sont rudes. Mireille fait l’expérience de la captivité dans sa chair, mais aussi psychologiquement.

La force de Roxane Gay est de faire réfléchir le lecteur sur la condition d’une femme dans un couple. Au-delà du cauchemar qu’elle vit, une constellation de problématiques vient se greffer à l’enlèvement de Mireille. L’auteure aborde par le biais de l’enfermement et de l’enlèvement les questions autour du corps de la femme, de la misogynie, de la relation entre une fille et son père, de la maternité. Cet enlèvement en lien avec l’argent de la famille de Mireille est un élément déclencheur et la suite découle et donne un roman fort et qui souffle le lecteur. Je vous conseille ce livre, il est disponible en poche foncez.

Treize jours, ed. Points, 8,20 euros, 432 pages. Traduit par Santiago Artozqui.

 

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